Du 5 au 7 avril avait lieu au Palais de Tokyo la troisième édition de la Paris Ass Book Fair, une foire célébrant la culture du fanzine et de la micro-édition avec un fort penchant pour les choses de la chair. Entre les mouchoirs à sperme brodés, les livres de photos érotiques et les t-shirts crypto-lesbiens, on a retenu certains de nos artistes préférés parmi la soixantaine d’exposants.
Scott Ramsay Kyle
Spécialisé dans le collage et la réappropriation d’images, Scott nous a interpellés par ses pièces mettant à l’honneur le patrimoine français : « J’ai remplacé la Tour Eiffel par une grosse bite parce que c’est drôle, inapproprié et malpoli, et que j’aime faire ce genre de choses », explique-t-il. Si les pénis et un certain goût pour la provocation semblent omniprésents dans son travail, c’est en partie à cause de la « culpabilité catholique » héritée de sa mère, raconte l’artiste écossais vivant à Londres depuis quinze ans.
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Scott est également un grand fan de broderie : « Je vois l’aiguille comme mon pénis : quand je pénètre le tissu ou le papier avec l’aiguille, c’est comme si je baisais l’œuvre », confie-t-il. Mais l’artiste associe aussi la broderie à l’effort et à la résilience, deux valeurs héritées de son père protestant. « Quand tu fais de la broderie, tu as mal au dos et surtout, c’est répétitif, un peu comme la masturbation : plus tu le fais longtemps et plus tu te dis “ah, c’était génial”, disserte-t-il, et c’est pareil dans mon travail ». A l’aide de sa machine à coudre, Scott fabrique des cum rags (littéralement, des « mouchoirs à foutre ») que les gens peuvent faire personnaliser à leur guise. « Vous pouvez le donner à quelqu’un que vous aimez ou haïssez ou le mettre sous votre oreiller la nuit pour rêver de votre prince ou votre princesse », explique-t-il. Un cadeau idéal pour la prochaine Saint-Valentin.
Aïda Bruyère
Etudiante en 4e année aux Beaux-Arts de Paris, Aïda Bruyère s’intéresse à la question de l’empowerment féminin via deux danses, le booty shake ou le dancehall : « Un de mes derniers zines rassemble des archives d’images de filles qui font du booty shake, des captures d’écrans de Youtube », explique-t-elle. Confrontée dans ses recherches à de nombreuses compilations vidéos « assez vulgaires et faites pour le plaisir masculin », l’artiste voit dans ce détournement un vrai outil d’émancipation : « En tant que fille qui pratique ces danses, ça me permet de me les réapproprier, me dire que ce n’est pas quelque chose de dégradant ».
Plus que son art, le booty shake – qu’elle pratique depuis trois ans maintenant – a changé de nombreux aspects de sa vie : « J’ai été impressionnée par l’effet psychologique que ça a eu sur moi, puis je me suis rendu compte qu’il y avait un gros mouvement de booty therapy qui fait que grâce à ta fesse, tu te sens mieux, se souvient Aïda. En France on n’est pas dans une société qui met forcément en valeur les fesses. Le booty shake t’apprend à accepter ton corps comme il est. Tu gagnes confiance en toi, tu arrives à t’affirmer en société, ne pas avoir honte de ce que tu produis ».
Christopher Clary
Originaire du New Jersey, le net artist et performeur Christopher Clary a hissé le stalking au rang d’art. Baptisée On Kevin, sa série présentée à la Paris Ass Book Fair est tirée de son obsession pour Kevin, un acteur porno des années 90 qui le hante depuis plus de 15 ans et nourrit son travail depuis 10. Après avoir contacté plusieurs éditeurs de Kevin pour obtenir son contact, Christopher s’est vu répondre, après deux ans de recherches, que l’acteur était mort. Voulant ensuite faire un mémorial en hommage à Kevin, il a appris plus tard sur Facebook que l’acteur était en fait bien vivant. « Beaucoup de pornstars, lorsqu’elles prennent leur retraite, demandent à leurs éditeurs de dire aux fans qu’ils sont morts pour éviter les ennuis », explique l’artiste.
Inspiré par sa muse, Christopher a déjà produit des recueils de poèmes, des fanzines et même une appli. Installée sur ordinateur, elle s’appelle Java et ouvre 400 images de Kevin en boucle jusqu’à ce que la machine ne ralentisse et finisse par crasher : « Ça n’abîme pas votre ordinateur mais ça le rend inutile. C’est ça qui est magnifique : à la fin, l’ordinateur ne parvient plus à ouvrir les images et n’affiche que des carrés blancs… Ça évoque ma recherche de Kevin, qui n’a jamais abouti ». Aujourd’hui, le travail de Christopher s’intéresse à ce que c’est d’être fan – la relation qu’on entretient avec une image plutôt qu’une personne – et l’artiste ne cherche plus à contacter Kevin : « Si jamais il entend parler de mon projet et me fait un procès, on s’en occupera à ce moment-là », conclut l’artiste-stalker en riant.
Margaux Bigou
Fraîchement diplômée des Arts Déco de Paris, Margaux Bigou est également une grande fan de BD américaine et cite Robert Crumb, Charles Burns et Jim Woodring parmi ses influences. Coloré et intrigant, son univers mêle monstruosité, sexe et crustacés : « Je viens de Nouvelle-Calédonie et j’aime bien imaginer les créatures qu’on peut chercher dans le sable. Mes créatures ont souvent très chaud, elles suent, dégoulinent », explique l’artiste.
Elle qui trouve les coquillages et les huîtres érotiques aime cacher des organes génitaux dans les replis de ses oeuvres, comme des huîtres entre les rochers. A la Fair, elle a amené Andrée, un pantin nu et tatoué de la taille d’un grand enfant, qui se manipule à l’aide d’attaches parisiennes : « André.e est vendu.e avec une pochette optionnelle et on peut choisir si c’est plutôt une femme, un homme, les deux ou pas du tout » explique l’a
Pol Anglada – Faye and Gina
Originaire d’un bled près de Barcelone, Pol Anglada vit depuis huit ans à Paris où il a créé avec Helena Kadji et Rocío Ortiz le collectif Free Time. Très influencé par la BD, l’illustrateur dessine depuis ses treize ans sur des carnets qui l’accompagnent partout : « Mon père était fan de comics et j’ai découvert ma sexualité à travers des BD hétéros en me concentrant sur les bites des mecs, sur la manière dont tout cela était dessiné et comment c’était plus attirant que du porno ou un ordinateur… Tu vois, c’est comme quand tu lis un livre de Tom of Finland et que tu peux sentir le cuir et le lubrifiant », confie Pol.
L’illustrateur a également designé plusieurs t-shirts aux messages provocateurs comme « Come ass you are » ou « It takes guts to be a fairy » (il faut des couilles pour être une tapette), sur lequel on devine un fessier écarté vêtu d’un jockstrap : « L’idée n’était même pas d’être super gay mais d’arrêter d’attacher autant d’importance à la masculinité. D’ailleurs, tout le monde a un trou du cul ! » se justifie l’artiste.
Roxanne Maillet
Graphiste vivant entre Bruxelles et Paris, Roxanne Maillet dirige depuis trois ans un « club de lecture de meufs », baptisé Cave Club, qui emprunte aux codes des salons littéraires « mais pas ceux annoying de la haute bourgeoisie de l’Académie française », précise-t-elle. Je pense plutôt au Temple de l’Amitié quand je dis ça : c’était le salon lesbien orgiaque de Natalie Barney, qu’elle a fondé en hommage à son amante défunte Renée Vivien ».
Inspirée par le livre Take a lesbian to lunch de Charlotte Fischer, Roxanne décide de reproduire le titre sur un t-shirt accompagné d’un petit dessin de tarte au riz : « C’était une appellation pour désigner les gouines au siècle dernier en Belgique » rappelle l’artiste qui, avec ce t-shirt, rencontre alors un succès immédiat : « Après, toutes mes copines en ont voulu et puis toutes les plus bonnes de leurs copines aussi ». Désormais aidée par la sérigraphe Juliette Mérie, Roxanne produit des t-shirts aux messages issus « de slogans de manifs, de détournements de logo ou de titres de bouquins de paralittérature lesbienne ». Le but ? Faire de ses t-shirts un signe distinctif entre une communauté de lesbiennes élargie, explique l’artiste : « À part la légendaire violette épinglée à la toge sur l’île de Lesbos et le vernis en moins sur les ongles de l’index et du majeur, je ne vois plus vraiment de signes de reconnaissance ».
Spyros Rennt
Venu de Berlin où il réside, le photographe grec Spyros Rennt s’est rendu à la Paris Ass Book Fair avec des livres de photos qu’il tire lui-même entre 100 et 500 exemplaires. Tiré de ses expériences berlinoises, son travail documente la vie des personnes queers qui l’entourent. Très présent sur Instagram, où il compte près de 22 000 followers, Spyros voit en la micro-édition une « puissante forme d’expression » et un espace de liberté. « Le papier compte toujours, c’est sûr », analyse l’artiste, avant de poursuivre : « J’ai une présence en ligne très forte mais tout ça est très éphémère : dans la sphère de la sexualité, les comptes Instagram peuvent se faire supprimer très facilement ».
Récemment, Spyros a lancé le magazine Head On, où il invite des artistes explorant le corps et la sexualité à présenter des travaux particulièrement explicites. « Tumblr n’existe plus, Tumblr a changé du jour au lendemain », rappelle l’artiste. On traverse une époque néoconservatrice, il y aura peut-être des guerres dans le futur, mon travail est une façon de montrer que tout ça existe toujours, que c’est la façon dont on vit nos vies ».
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