Près de 100 000 Arméniens vivent actuellement au Liban. Tous ou presque sont issus de familles ayant fui le génocide de 1915, au cours duquel les autorités ottomanes ont tué 1,5 million d’Arméniens et en ont chassé beaucoup d’autres de leur foyer.
Certains ont trouvé refuge au pays des cèdres qui compte aujourd’hui l’une des plus grandes communautés de la diaspora arménienne – avec la Russie.
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Cent ans d’assimilation plus tard, elle se porte bien. La majorité des enfants fréquentent des écoles arméniennes où ils apprennent la langue et s’identifient à leur héritage. La nourriture joue également un rôle important dans le patrimoine culturel de la communauté.
Situé près de l’un des premiers camps mis en place par le gouvernement libanais pour les familles arméniennes, le quartier de Bourj Hammoud est aujourd’hui de facto le fief des Arméniens de Beyrouth.
Les rues étroites et bondées sont tapissées de graffitis condamnant la Turquie, qui refuse toujours de reconnaître les massacres de 1915 comme un génocide. Certains messages sont sans détour et à base de « Fuck la Turquie ». D’autres déplorent la perte des terres en faveur de l’Empire ottoman ; la mention « Turquie de l’Ouest » est barrée et juste en dessous, on peut lire « Arménie de l’Est ».
C’est la pause déj’ et le quartier fourmille de gens. Chez Mano, on se presse pour commander des sandwiches au basterma à 5 000 livres libanaises (2,67 euros). La viande, qui s’apparente plus ou moins au pastrami, est souvent surnommée « bresaola arménienne ». Le bœuf est séché à l’air libre et enrobé d’une pâte à base de paprika, de fenugrec, d’ail et de cumin. Des tomates et des cornichons sont souvent ajoutés au sandwich pour atténuer le goût salé.
Il reste peu de survivants du génocide à Bourj Hammoud. Pour Marie Korian, qui est née en 1920 à Adana, dans l’actuelle Turquie, c’est une raison de plus pour préserver les traditions de la communauté. « Le sang que nous avons perdu ne doit pas être gaspillé », déclare-t-elle.
Âgée de 95 ans, Marie porte en elle l’histoire de ses proches qui ont été forcés de fuir. Elle explique qu’à l’époque, les gens se préoccupaient plus de rester en vie que de commémorer le passé et ne parlaient pas vraiment de ce qu’ils avaient vécu. « Mais nous ne devons pas oublier », poursuit-elle.
« Nous sommes tous unis pour une même cause », déclare-t-elle, avant d’ajouter que de nombreux intellectuels arméniens se battent pour la reconnaissance et la préservation de la communauté. Je lui demande ce qu’elle pense de Kim Kardashian, qui a fait en 2015 le voyage jusqu’en Arménie dans le cadre de la commémoration du centenaire du génocide. J’ai pour seule réponse un regard vide.
Korian m’explique qu’en arrivant au Liban, les communautés ont apporté leurs propres spécialités régionales. Les plats d’Arménie occidentale étaient très différents de ceux de la région montagneuse qui forme aujourd’hui l’Arménie moderne et avaient plus en commun avec la nourriture méditerranéenne et levantine.
Le mélange d’assimilation régionale et de variété locale peut rendre la cuisine arménienne difficile à cerner. Cela se reflète sur la carte du Onno, un des plus anciens restaurants de Bourj Hammoud. Situé sous le pont d’Erevan – ainsi nommé d’après la capitale arménienne – cet établissement familial compte peu de tables mais vous pouvez faire un repas gargantuesque pour la modique somme de 10 balles.
Les plats qui résultent du croisement des cultures libanaise et arménienne réunissent le meilleur de chacune.
La cuisine libanaise se marie facilement avec les plats traditionnels arméniens. Les plats qui résultent du croisement de ces deux cultures réunissent le meilleur de chacune. La cuisine arménienne se distingue toutefois par son assaisonnement – la riche saveur des épices d’Alep qui imprègnent la salade de blé concassée (itch) et la pâte de piment rouge (muhammara) – ainsi que ses plats à base de yaourt et de viande, servis dans des sauces à la cerise et à la grenade.
Si vous préférez la cuisine arménienne typique, rendez-vous chez Mayrig, un restaurant gastronomique situé dans le quartier de Gemmayzeh. La carte, précise la co-fondatrice de l’établissement Aline Kamakian, ne propose que « deux ou trois » plats libanais.
Ouvert en 2003, Mayrig a introduit pour la première fois la cuisine arménienne sur la scène gastronomique du pays. À défaut d’avoir une école de cuisine arménienne à disposition, Kamakian a mis à profit un réseau de femmes arméniennes qui l’ont aidée à recréer les recettes de leurs ancêtres. Quarante femmes travaillent actuellement dans la cuisine de l’établissement.
Pour Kamakian, Mayrig (qui signifie « mère » en arménien) a pour but de récupérer et renforcer la culture arménienne. Il y a cinq ans, elle est partie dans l’est de la Turquie sur les traces des plats qu’elle propose dans son restaurant.
« [Les Ottomans] ont non seulement tué, mais ils se sont aussi approprié l’héritage et la culture de l’Arménie, dont la nourriture », déclare-t-elle. Le Su boureg (une pâtisserie salée) et les manti (des raviolis grillés nappés de yaourt) font partie des plats qui, à l’origine, étaient arméniens, mais que les Ottomans ont rebaptisés avec des noms turcs.
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« En réalité , le génocide a commencé avant 1915, quand on nous a interdit de parler en arménien », déclare-t-elle. « Quand j’ai essayé de tracer la source [de ces plats], j’ai découvert que même les chefs du sultan étaient arméniens. »
En 2012, Kamakian a ouvert une succursale de Mayrig à Dubaï et espère en ouvrir d’autres afin de préserver ces vieilles traditions arméniennes. « On a des millions d’amis, mais à la fin, on mange tout seul », déclare-t-elle. « Une fois que vous perdez ce sentiment d’appartenance, il ne revient plus. »
Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US.