En 1988, Poison chantait « Every Rose Has Its Thorns », une vérité froide et implacable, qui ne valait pourtant pas pour Rose McDowall, une jeune punk écossaise, à l’origine du duo Strawberry Switchblade. Aux côtés de Jill Bryson, elle a écrit les morceaux pop les plus touchants et fragiles de l’époque, sans jamais tomber dans le râle ou les plaintes adolescentes égocentrées et embarrassantes. L’arrivée du punk à Glasgow a fait de Rose, timide et incomprise, l’une des figures féminines du genre, suivant timidement les Siouxsie et Poly Styrene, sans pour autant jamais trahir ce qu’elle était. C’est pourtant cette détermination qui a causé la perte du groupe, lui ouvrant les portes d’un monde empreint de mélancolie, taillé à ses mesures, en compagnie de Death In June, Coil et Psychic TV.
Pendant 5 ans, Strawberry Switchblade ont réchauffé les cœurs transis au gré de reprises (« Jolene » ou encore « Don’t Fear The Reaper » enregistrée par McDowall seule) et de compositions originales, « Since Yesterday » par exemple, navrées et pourtant pleines de couleurs, à l’image de leur look, quelque part entre Cyndi Lauper et Minnie Mouse des ténèbres. Rose a poursuivi son chemin dans la musique, avec pour unique mission de toucher au plus profond de leur âme ceux qui accepteraient de l’écouter. Dans sa quête, elle a trouvé de l’aide et le soutien du label écossais Night School fondé par Michael Kasparis. Celui-ci vient de sortir une réédition exclusive de morceaux de Rose composés et enregistrés à la toute fin des années 80, dans une collection intitulée Cut With The Cake Knife — première sortie d’une longue série de rééditions et de nouveautés à venir.
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Nous avons pu revenir avec Rose sur son passé dans Strawberry Switchblade, sa participation aux projets les plus cool et les plus expérimentaux de l’époque et l’importance de rester intègre en toutes circonstances, dans une industrie qui se fout éperdument de l’épanouissement de ceux qui la font.
Noisey : Qu’est-ce que tu te dis quand tu repenses à Strawberry Switchblade et à l’époque punk à Glasgow ?
Rose McDowall : Je considère cette période comme un des moments les plus heureux de ma vie. À cette époque, nous étions libres et déchaînés, j’étais pleine de vie et, pour la première fois, j’avais confiance en moi. Je souffrais de timidité maladive et beaucoup essayaient de m’intimider quand j’étais plus jeune, mais je m’en fichais, ce n’était pas mon problème, c’était le leur. Le punk, la musique et la façon de vivre qui s’y rattachaient ont changé ma vie. C’était un affront à la beauté conventionnelle. Pour moi, c’était la liberté. J’ai pu rencontrer tellement de gens qui me ressemblaient, ils étaient de Glasgow, mais je me doutais à peine de leur existence. J’étais à la batterie dans mon premier groupe, The Poems, aux côtés de Drew McDowall qui a plus tard travaillé avec Coil et ELpH v Coil, entre autres.
Mais j’avais toujours voulu être une chanteuse, notamment grâce à mon père qui avait plein de disques des années 50 et 60 et qui passait son temps à chanter dans toute la maison. Tel père, telle fille. J’appartenais aussi à la chorale de mon église. J’ai fondé Strawberry Switchblade alors que j’étais encore dans The Poems. J’ai été de plus en plus occupée avec Strawberry Switchblade et j’ai dû arrêter The Poems. De plus, j’étais une jeune mère, et c’est déjà, en soi, un travail à plein temps. On a fait notre première tournée avec Orange Juice, des bons copains à nous. C’était magique. On s’est tellement éclaté, on ne faisait que ce qu’on voulait. C’est toujours ce qu’on a voulu faire, ce qui nous plaisait, mais tout s’est accéléré et le groupe a pris de plus en plus d’importance. On n’était pas prêtes pour ça.
Quand on évoque Strawberry Switchblade, on pense immédiatement à vos robes polka dot, vos touffes de cheveux et votre maquillage très travaillé. Est-ce que Glasgow était prêt quand vous avez débarqué ? Vous ressembliez à des Cindy Lauper tout droit sorties des ténèbres, c’était cool.
Pendant un temps, le punk était interdit à Glasgow, donc on devait faire des concerts en dehors de la ville. Les gens détestaient le punk, mais il en fallait plus pour nous faire déguerpir. Puis la situation s’est améliorée. Je me voyais plus comme une Minnie obscure — j’avais d’ailleurs d’ores et déjà prévu d’épouser Mickey quand j’étais enfant.
Vous étiez très populaires au Japon, vous êtes même passées sur une chaîne nationale japonaise en 1985. Tu crois que votre look a influencé ce qu’on appelle aujourd’hui les gothic lolitas ?
On était adorées au Japon, et on a eu une très grosse influence sur les jeunes japonais et leur manière de s’habiller, à l’époque tout du moins. En plus, quand j’étais là-bas, j’avais enfin une taille raisonnable ! Les Japonais sont assez dingues, c’est quelque chose que j’aime vraiment chez eux.
Après la séparation du groupe en 1986, tu as collaboré avec des gens comme Psychic TV et Coil. Comment as-tu rencontré Genesis P. Orridge ? Tu étais attirée par la philosophie du Temple ov Psychick Youth ?
Oui, c’est triste qu’on ait dû se séparer. C’était très difficile pour nous de continuer dans ces conditions, le label nous en demandait trop. Ils ont signé Strawberry Switchblade et ils ont essayé de changer ce qu’on était. Désolée, mais on ne changera pas, ni nous, ni notre musique. Notre situation n’a cessé d’empirer. Avec Jill, on organisait des réunions tous les vendredis pour le groupe. On avait préparé à l’avance ce qu’on allait dire au label, en tant que groupe. Mais quand on s’est retrouvées face aux gaillards de la maison de disque, j’étais seule à me battre pour ce qu’on avait prévu de défendre. Jill était si timide. Je me suis retrouvée seule dans le pétrin pour nous avoir défendu. Ça m’a déprimé, tout devenait si stressant… J’ai dû prendre une décision.
On voulait avoir un contrôle artistique absolu sur le groupe. Et si on ne pouvait pas unir nos forces pour ça, alors il valait mieux se séparer… C’était la seule solution, mais j’espérais que ça donnerait le courage à Jill de se faire entendre et de nous sauver. Je savais que Jill ne voulait pas que tout se termine, on adorait notre groupe, mais elle a accepté et on s’est séparées. Depuis, on ne s’est plus jamais parlé. Ca a été dramatique pour chacune de nous. On a vécu les jours les plus heureux de notre vie avec Strawberry Switchblade, notre musique défonçait. On formait une super équipe. Mais, une petite graine a germé pendant qu’on était ensemble et elle a fini par nous empoisonner.
J’ai rencontré Coil par le biais de David Tibet. Jeff [Berner] était comme une âme-soeur. J’ai fait la connaissance de Gen [Genesis P. Orridge] environ à la même époque, grâce à Bee, quelqu’un que j’aimerai toujours. J’étais très curieuse autant pour ce qu’ils faisaient que pour ce qu’ils étaient. Pourtant, je n’étais pas une disciple du Temple. Gen me voulait dans sa « chair » mais j’estimais n’appartenir à personne. Je ne suis pas une suiveuse, je suis maître de mon destin et ma Magik m’est personnelle. Gen et Paula [P. Orridge] avaient fait un pari pour savoir qui coucherait avec moi en premier. J’attendais plus de respect que ça.
Tu as aussi mené une collaboration de longue date avec Boyd Rice. Tu as contribué à plusieurs de ses projets, dont NON, et vous avez même enregistré un album en duo, sous le nom de Spell. Tu penses avoir trouvé ton double artistique en lui ?
J’ai passé de très bons moments à travailler avec Boyd Rice, en particulier avec Spell. J’adore sa voix et on s’est vraiment amusés à chanter en duo. J’aime vraiment cet album. On l’a enregistré dans mon studio, Velvet Hole. Mark Almond [de Soft Cell] nous y a rejoint un jour, il voulait que Boyd l’initie aux préceptes de l’Eglise de Satan, puisqu’il était porte-parole de Anton Lavey.
Douglas Pearce (Death In June), David Tibet (Current 93) et Rose McDowall.
Tu as eu un pied dans tous les projets dark folk les plus importants à ce jour, notamment Death In June et Current 93. Tu as aussi fondé ton propre groupe, Sorrow. Qu’est-ce qui t’a attiré dans ce genre ? As-tu des projets à venir avec Sorrow ?
Je faisais ce que j’aimais avec Current 93 et Death in June, leur travail était si précieux mais ils m’ont laissé une grande marge de manœuvre. Tout est venu naturellement. Douglas a écrit des morceaux pop superbes, qui se mariaient parfaitement avec mes mélodies et ma mélancolie. On a vécu des moments parfois envoutants. C’était pareil avec Current 93, même si c’était plus varié et plus expérimental. Je jouais de la guitare et de la batterie pour ces deux groupes. J’aurais joué de la guitare jusqu’au sang pour David Tibet. J’adorais jouer avec ces types.
Sorrow n’est finalement pas si différent de Strawberry Switchblade, j’ai changé quelques arrangements mais les morceaux sont toujours ancrés en moi. On évolue tous en tant qu’artistes, mais on suit toujours le même fil conducteur. J’ai voulu aller plus loin avec ma voix et Sorrow m’en a donné l’opportunité. Toute la discographie de Sorrow sera prochainement rééditée par Night School, à commencer par Under the Yew Possessed.
À ce propos, « Don’t Fear the Reaper » a été réédité à l’occasion du Disquaire Day 2015 par Night School, dans une version remasterisée. Ce label est aussi à l’origine de la réédition de la compilation Cut With The Cake Knife. Tu peux nous parler de votre rencontre ?
Michael Kasparis m’a contactée et nous nous sommes donnés rendez-vous — ce qui ne serait jamais arrivé s’il n’avait pas été un type aussi gentil. J’ai surtout accepté parce que Stephen Pastel le connaissait et il ne m’en disait que de bonnes choses. À l’instant où je l’ai rencontré, j’ai su qu’il était digne de confiance. Je me suis éloignée de l’industrie de la musique et de la cruauté dont elle fait preuve : faire rêver pour mieux laisser tomber les gens semble être le but le plus important de toute leur vie. C’est un milieu froid et sans cœur. D’accord, certaines personnes ne cherchent que la célébrité, mais pour la plupart, leur art et leurs oeuvres viennent du plus profond de leur âme. Tu ne peux pas les foutre dehors comme ça. Michael est passionné de musique, c’est ce qu’il aime et ce pour quoi il vit. Il a compris. Michael fait maintenant partie de la famille.
Strawberry Switchblade
« Don’t Fear the Reaper » est une reprise du grand classique de Blue Oyster Cult et avec Strawberry Switchblade, vous avez enregistré une version très personnelle de « Jolene » de Dolly Parton, ainsi que de « Sunday Morning » du Velvet Underground. Dans tous ces morceaux, vous avez insufflé quelque chose de très mélancolique. C’est un sentiment que tu cherches à entendre et à recréer dans la musique ? Récemment, dans une interview donnée au Guardian, tu as dit : « notre image était pleine de couleurs, mais nos pensées étaient sombres. »
J’ai fait beaucoup de reprises, et il y a en tellement d’autres que j’aimerais enregistrer. Je me suis toujours tournée vers la mélodie, j’étais inspirée par la mélancolie, le chagrin et le bonheur quand il te met la larme à l’oeil. J’aime être émue par la musique et j’adore pouvoir émouvoir les autres grâce à ma propre musique. La musique coule dans mes veines. Si j’arrive à vous faire verser une larme, alors vous m’aurez laissée toucher votre âme. Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose de plus précieux que ça ? C’est un moment de partage.
Tu as donné deux concerts exceptionnels, l’un à Glasgow et l’autre à la St Pancras Old Church de Londres. Tu as prévu d’autres concerts pour bientôt, ailleurs en Europe ?
Oui, je vais donner beaucoup de concerts en 2016, j’attends juste que Under The Yew Possessed soit réédité.
Cut With The Cake Knife revient sur un album que tu avais initialement écrit et enregistré dans les années 1988-1989. À quoi peut-on s’attendre de ta part dans le futur ?
Tout le catalogue de Sorrow va faire l’objet de rééditions et je viens de finir d’enregistrer un album avec Shawn Pinchbeck, un compositeur canadien originaire d’Edmonton. Il y a d’autres projets dans les tuyaux et bien évidemment, de nouvelles sorties à venir.
Cut With The Cake Knife est disponible depuis quelques semaines sur Sacred Bones.
Sarah Mandois est stagiaire un jour, contributrice un autre. On ne sait plus vraiment qui est Sarah Mandois. D’ailleurs, elle n’est même plus sur Twitter.