Le juge de la Cour Suprême Antonin Scalia — farouchement conservateur, passionné d’opéra, blagueur et qui faisait office de figure la plus polémique de l’autorité judiciaire suprême américaine— a été retrouvé mort ce samedi dans sa chambre d’un luxueux ranch de l’ouest du Texas. Terrassé par une attaque cardiaque à 79 ans, sa mort vient bouleverser la campagne américaine.
Scalia est né dans le New Jersey d’un père immigrant sicilien et d’une mère italienne. En 1987, quand il est nommé par le président Ronald Reagan, il devient alors le premier juge italo-américain à accéder à la Cour Suprême. Au cours des 29 années passées sur les bancs de la plus haute juridiction américaine, ses attaques acerbes et vicieuses sur divers enjeux sociaux — comme la question du mariage gay, les contraceptifs ou l’avortement — ont fait de lui un personnage controversé.
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Ses avis prononcés devant la Cour — souvent en opposition avec la majorité — incluent plusieurs dénonciations de l’homosexualité et rejets de l’égale protection entre les hommes et les femmes dans la Constitution. Ces prises de parole sur ces sujets sensibles ont fait de lui le juge aux positions les plus discordantes parmi les neuf à siéger à la Cour Suprême.
Le scandale du Watergate
La carrière de Scalia à Washington a débuté quand le président Richard Nixon l’a nommé au Bureau des télécommunications, où il a mis au point des règles fédérales pour régir l’industrie émergente de la télévision câblée. Après la démission de Nixon, à la suite du scandale du Watergate, le président Gerald Ford demande à Scalia de déterminer si les documents et cassettes contenant 3 700 heures de conversations téléphoniques secrètes de Nixon doivent rester privés ou non.
Scalia arrive à la conclusion que les cassettes ne devraient pas être diffusées. Cependant, la Cour Suprême va à l’encontre de son avis, votant unanimement pour le placement dans le domaine public desdites cassettes.
Quand le président républicain Ronald Reagan devient président en 1981, Scalia est nommé à une cour d’appel fédérale de Washington. Quatre années plus tard, Scalia a 50 ans et Reagan le nomme à la Cour Suprême.
Scalia était connu pour être un rigoureux adepte de la Constitution et un partisan de la doctrine dite de l’originalisme, ce qui consiste à interpréter la Constitution en accord avec la signification qu’elle avait à l’époque de son adoption.
Il était aussi connu pour sa gouaille à la barre, employée notamment pour clamer que le rôle de la Cour Suprême n’était pas de défendre les droits de différentes catégories de citoyens américains — notamment les gays. Par exemple, en 2003 lors du célèbre cas Lawrence v. Texas, qui devait déterminer si une loi étatique interdisant tout contact sexuel entre deux personnes du même sexe était constitutionnelle, Scalia a rendu un avis divergent. Selon lui, la loi « impose sans aucun doute des limites à la liberté. Comme les lois interdisant la prostitution, la consommation d’héroïne, et travailler 60 heures par semaine dans une boulangerie. » En d’autres termes, Scalia comparait les relations sexuelles homosexuelles à la prostitution ou à la consommation d’héroïne.
Dans une interview avec le magazine California Lawyer, donnée en 2011, Scalia expliquait pourquoi il refusait de traiter des sujets comme la défense de droits égaux pour les femmes dans la Constitution. « Vous n’avez pas besoin de la Constitution pour refléter les volontés de la société actuelle, » disait-il. « Il est certain que la Constitution ne prône pas la discrimination fondée sur le sexe. La seule question est de savoir si elle l’interdit. Et bien non. »
La volonté de Scalia de coller au plus près de la Constitution a fait de lui une figure chérie par les Républicains conservateurs. Le candidat aux primaires Ted Cruz a posté un message sur sa page Facebook après avoir appris la nouvelle de sa mort : « Le juge Scalia a fondamentalement changé la manière dont les tribunaux interprètent la Constitution et ses statuts, permettant de revenir ainsi à la signification originelle du texte après des décennies d’activisme judiciaire. »
Cruz a aussi salué l’action de Scalia lors du cas District of Columbia vs. Heller, qui a établi qu’une loi de Washington DC, régulant la possession d’armes à feu était inconstitutionnelle. Cruz a déclaré que cette décision était « l’une des plus importantes de l’histoire. »
Il a choqué Trump
Scalia a aussi tenu des propos controversés sur la discrimination positive. Un cas actuellement étudié par la Cour Suprême impliquant l’Université du Texas pourrait justement redéfinir le rôle joué par la discrimination positive dans le processus d’admission à la fac aux États-Unis. En décembre, Scalia avait insinué à ce propos que les étudiants noirs n’avaient pas le niveau pour suivre dans les grandes facultés américaines. Au lieu de réserver un certain nombre de places pour les étudiants noirs dans les grosses universités, comme celle du Texas, Scalia a estimé que la mise en place d’ « écoles de seconde zone [slower track schools] » serait plus appropriée. Pour nombre d’observateurs, la déclaration de Scalia rappelait étrangement la rhétorique utilisée pour justifier la ségrégation raciale aux États-Unis.
Ses commentaires ont même choqué Donald Trump, le candidat à la primaire républicaine. Dans une interview accordée à CNN, le tzar de l’immobilier américain a simplement laissé échapper un « Whoa » quand le journaliste lui a rapporté les propos de Scalia. Trump a ensuite ajouté que les commentaires du juge étaient « très durs avec la communauté afro-américaine. » Néanmoins, ce samedi soir avant le débat des candidats républicains, Trump a rendu hommage au juge sur Twitter, « La perte totalement inattendue du juge de la Cour Suprême Antonin Scalia est un revers majeur pour le mouvement conservateur et notre PAYS. »
Aux côtés de 3 collègues, Scalia avait voté contre l’adoption du mariage gay par la Cour Suprême en 2015. Pour lui, ce jugement représentait « une menace contre la démocratie américaine ».
Au cours d’un autre cas controversé, Scalia faisait partie de la majorité victorieuse dans Citizens United vs. Federal Election Commission, qui a établi qu’il était inconstitutionnel pour le gouvernement de limiter les sommes d’argent que les entreprises et syndicats peuvent donner aux campagnes politiques. Ce jugement a estimé que les « dépenses politiques » étaient une forme de liberté d’expression protégée par le Premier amendement.
Scalia était aussi opiniâtrement engagé à retourner le cas Roe vs. Wade, qui a mené à la légalisation de l’avortement en 1973.
Sur un plan plus personnel, Scalia était aussi connu pour être l’un des juges les plus drôles à siéger à la Cour Suprême. Un professeur de droit de la Boston University a analysé les retranscriptions de tous les débats et audiences de 2004 pour aboutir à la conclusion qu’à 77 reprises les boutades et commentaires de Scalia ont déclenché des rires.
L’étude montrait aussi que Scalia était 19 fois plus drôle que sa collègue, la juge Ruth Bader Ginsburg. Malgré leurs différences politiques, Ginsburg et Scalia étaient de bons amis et échangeaient souvent autour de leur amour commun de l’opéra. En 1994, les deux juges étaient apparus dans une production de Richard Strauss, Ariadne auf Naxos en tant que figurants.
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Cet article est d’abord paru sur la version anglophone de VICE News