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The Hard Times va vous faire changer d’avis sur les sites de clickbait

Depuis un peu plus d’un an, The Hard Times abreuve la communauté hardcore/punk internationale en infos de qualité supérieure. Ces types, qui ont emprunté leur nom aux adulés Cro-Mags et leur typo au respecté New York Times, ont un objectif net et précis : vous faire marrer, le plus possible, en tentant de vous faire réfléchir. Une sorte de Gorafi punk rock qui raille tous les travers de la pop culture actuelle et des scènes musicales alternatives en général. Des titres en vrac ? « Iggy Azalea clarifie les choses : elle n’écoute que les premiers albums de Skrewdriver » – « L’application de conduite d’Henry Rollins vous montrera à quel point c’était dur de se rendre à tel endroit dans les années 80 » – « Metallica poursuit un élève de quatrième pour avoir recopié leur logo sur son agenda » – « Le basisste de Deafheaven surpris en train de s’endormir sur scène », etc. Leur siteattire plus d’un million de visiteurs par mois et a même poussé l’ancien rédacteur en chef de Noisey US à accepter de devenir leur conseiller, c’est dire ! On a justement discuté des médias américains avec son créateur, Matt Saincome, ainsi que des récents déboires de Phil Anselmo et de la dernière saison de South Park.


Noisey : The Hard Times est né quand ? Et à quel moment c’est devenu du « sérieux » ?
Matt Saincome :
Peu de gens le savent mais The Hard Times a en fait été conçu pour la première fois en 1982, quand les fondateurs originels (RIP) étaient en studio, au 171A à New York, en train de grignoter des bris de verre avec les Bad Brains. Quelques temps plus tard, on a décidé de reprendre sérieusement les choses en main.

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Je pensais qu’un jour, tu avais lu un truc tellement débile que tu t’étais dit, « hey, je pourrais carrément inventer des histoires comme ça en lien avec la scène hardcore ! »
Monsieur, je suis un journaliste musical. J’ai quitté ma prestigieuse place, et le salaire qui allait avec, de rédacteur musique au sein du journal San Francisco Weekly pour gérer cette publication. Je n’ai jamais inventé une seule ligne de mes articles et je me sens offensé par cette accusation.

Les fondateurs de The Hard Times, toujours en train de se marrer.

Haha, bien. Tu avais d’autres magazines ou sites en tête avant de lancer le tiens ? J’imagine que tu as aussi sorti des fanzines quand t’étais plus jeune.
À la base, The Hard Times était une idée que j’avais eu pour une section de mon fanzine, Punks! Punks! Punks!. C’était un zine imprimé qui m’a permis d’interviewer quelques uns de mes musiciens préférés, comme Ian Mackaye.

J’ai toujours eu un sens de l’humour satirique et je m’en donnais à cœur joie dans mon zine. Par exemple, je chroniquais des concerts et j’attribuais des « points punk » aux actions de chacun en me basant sur mes propres lubies. Au dos du fanzine, il y avait une liste de tous les gens que je connaissais, classées du plus punk au moins punk selon leurs points accumulés, un total que j’appuyais avec des explications scientifiques. J’avais même inventé une formule pour que les gens calculent eux-mêmes leur quotient punk. Je me suis d’ailleurs fait quelques ennemis mortels en retirant des points punk à tout va.

Peu importe, j’ai ensuite eu mon bac et j’ai dû choisir une fac, je faisais déjà des zines depuis un moment alors j’ai pris « journalisme ». Quelques années plus tard, je suis devenu un vrai journaliste et j’ai commencé à écrire pour SF Weekly, VICE et Noisey, parmi d’autres. J’ai quitté mon job de valet de chambre dans cet hôtel – où les clients me proposait par ailleurs régulièrement du sexe de groupe – et j’ai commencé à bosser en freelance à plein temps (ce qui en gros signifiait que j’avais beaucoup de temps libre et que mes économies s’évaporaient à vue d’œil). Après avoir sondé mon entourage pour savoir je devais relancer le délire de mon vieux zine, on m’a une nouvelle fois traité de débile en me demandant de la fermer. C’en était trop, et j’ai décidé d’injecter toute l’argent qui me restait dans la création de TheHardTimes.net.

Quelques mois plus tard, j’ai dégoté cette place de rédacteur musique à plein temps au SF Weekly, ce qui m’a épargné l’embarras de devoir rentrer chez moi et d’être considéré comme un journaliste raté. Une fois en place, j’ai demandé conseil à mon rédacteur-en-chef, Mark Kemp, qui a été un vrai mentor pour la suite de ma carrière, mais aussi à des gens qui géraient plus la partie business du journal. J’ai planifié l’affaire, demandé à des gens qui bossaient dans la pub ce qui fonctionnait ou pas sur une homepage, pareil pour les gens du marketing, des réseaux sociaux, etc. J’ai appris aussi vite que j’ai pu.

J’ai aussi analysé le paysage médiatique, aucune publication ne faisait ce qu’on fait. Je ne connaissais pa vraiment The Onion en fait, et j’ai découvert le site quand des gens ont déclaré que mon site était une parodie stupide du leur et que je ferais mieux de la fermer. Je dois dire que ces mecs m’ont mis sur le cul. C’était tellement fou, hilarant, intemporel, malin et puissant, leurs articles te faisaient marrer et réfléchir en même temps. J’ai fouillé dans leurs archives et j’ai vu qu’ils faisaient beaucoup de blagues impliquant de « mettre ses enfants au lit », de « tondre la pelouse » ou de « se disputer avec son épouse ». C’était drôles hein, mais je ne me pouvais pas m’identifier à fond. C’est là que j’ai su autour de quels thèmes j’allais articuler mon site : pas seulement à base de blagues punk, mais avec du conetnu de qualité destiné aux gens des milieux alternatifs, musicaux et à la Génération Y.

Matt Saincome, sur scène avec son groupe hardcore Zero Progess. Photo – Gil Riego Jr

Est-ce ce que tu as été influencé par John Tole, le leader de Pitboss2000 ?
Je ne suis pas très familier de Tole et de son groupe, en fait. Je sais qu’il était anti-PC à fond. Hard Times n’est pas anti-PC, mais nous n’avons pas peur de critiquer les dérives du politiquement correct quand on trouve que c’est bien vu. On satirise autant un côté que l’autre quand on sent que c’est approprié. Les mecs anti-PC peuvent être aussi lourds que les cinglés de l’autre camp. Je crois que c’est Rival Mob qui a le mieux résumer le truc dans leur titre « Boot Party » : « PC’s and Nazis, get out of this place / Or we just might party on your fucking face ! »

À propos, comment a été reçue la dernière saison de South Park aux Etats-Unis ? Quel est ton avis dessus ?
J’ai adoré. C’était vraiment une critique acerbe de la culture actuelle du scandale. En tant que membre des médias, je ne peux plus supporter l’offensive continuelle de ces « thinkpieces » débiles et désarticulées qui polluent mon flux d’informations. Leur idée de « publicité vivante » m’a particulièrement fait rigoler aussi, vu que je dois gérer ce genre de trucs au quotidien.

Il y a eu quelques retours de flamme aux USA, mais le New York Times n’a écrit que des choses positives dessus, alors je dirais que la majorité des gens « ont capté ». C’est une démarche courageuse de critiquer la culture PC, parce que si tu le fais, tu seras immédiatement catalogué comme une sorte de démon réactionnaire. Je crois que la clé du succès de cette saison réside dans cette focalisation sur les côtés les plus ridicules de cette communauté Internet qui se bat pour la justice sociale à tout prix, et non dans le dénigrement du message égalitaire de base avec lequel la plupart des gens sont d’accord – voilà pourquoi c’était drôle.

C’est taré parce je parie qu’un programme comme South Park ne serait pas validé s’il était pitché aujourd’hui, et je respecte énormément le fait qu’ils aient conservé leurs thématiques et prennent toujours de gros risques aujourd’hui, au lieu de se reposer sur leurs lauriers.

Photo – Julian Berman

Je me posais une question, c’est votre bande qui est derrière le compte Twitter @iworkforvice ?
Ha ! J’aurais aimé, celui qui gère cette page est un génie. Après, moi je suis juste un freelance qui bosse de l’autre côté du pays donc à part avoir traîner 2/3 fois à Brooklyn pendant des tournées, je n’ai pas vraiment de vision globale de leur culture d’entreprise, mais je suis toujours pour la caricature – surtout quand c’est pour se moquer d’un truc que tu aimes ou dans lequel tu es directement impliqué. Je crois qu’il y a une connexion évidente entre ce que font @iworkforvice et @REALpunknews.

Quand j’étais stagiaire à SF Weekly, j’ai eu la chance de discuter avec Fred Armisen et Carrie Brownstein de la série Portlandia. Je leur ai demandé comment ils faisaient pour que leur programme soit aussi drôle en évitant d’être foncièrement méchant ou cynique et Brownstein m’a dit, « On ne se positionne pas d’un point de vue extérieur, en ciblant des gens. En fait, nous sommes ces gens, c’est un monde que nous aimons mais c’est aussi un univers qui possède des côtés aussi ridicules que prétentieux. »

Cette phrase m’est restée et ce mode de pensée est la raison pour laquelle beaucoup de gens se retrouvent dans notre site, de la fille qui s’occupe de l’aspect technique du site au type qui édite les photos, tout le monde est profondément impliqué dans la musique underground. On sait se moquer de nous-mêmes et critiquer notre propre communauté.

À ce propos, tu as versé une larme après la fermeture du site Stuffyouwillhate ?Personnellement non, mais certains de nos rédacteurs et contributeurs oui. J’ai fouillé dans les archives du site depuis, et en effet, c’était cool.

God Finalizes Supergroup Lineup – « Dieu finalise le line-up de son supergroupe »

Ex-Girlfriend Totally Normal Now – « Une ex-copine totalement normale maintenant »

Hardcore Singer Accidentally Swallows Microphone
« Un chanteur de hardcore avale accidentellement son micro »

BREAKING: Singer Billy Joel Quits Green Day
« SCOOP : Le chanteur Billy Joel quitte Green Day »

RECAP: Comedy Central’s Roast of Glenn Danzig
« RECAP : Danzig
roasté sur Comedy Central »

“Nothing Really Offends Me,” Says Walking Embodiment of White Privilege
« “Rien ne me choque vraiment” affirme la personnification du privilège Blanc »

Polyamorous Guy Who Brought Ukulele to Party Explains Feminism to Young Women
« Cet homme polyamoureux qui apportait un ukulélé pour expliquer le féminisme aux jeunes femmes »

7 Dead, Hundreds Injured After Joke Told at Punk Show
« 7 morts et des centaines de blessés après une blague racontée à un concert punk »

Straight Edge Friend Total Scumbag in Every Other Way Possible
« Un ami straight edge se révèle être une véritable ordure de toutes les façons possibles »

Lemmy Waiting Until End of Tour to Announce He’s Dead
« Lemmy attend la fin de sa tournée pour annoncer sa mort »

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Qui peut écrire pour The Hard Times ? Est-ce que la censure existe au sein de la rédaction ?
N’importe qui de drôle, bosseur, ouvert à la critique, qui a une connaissance poussée de différentes scènes musicales, et qui réussit le test d’entrée peut écrire pour nous. J’essaie de réfléchir à la différence entre l’« editing » et la « censure ». On refuse à peu près 1000 articles pour un publié. Ils sont refusés pour diverses raisons – surtout en termes de potentiel comique – mais on pense aussi parfois que le postulat de départ est stupide, ou que le caractère offensant de la blague dessert le message ou la valeur comique de l’article. Est-ce de la censure ? Je dirais que non. C’est de l’editing.

Est-ce le vrai Phil Anselmo qui vous laisse des commentaires sur le site ? T’en penses quoi de ses récentes aventures ? Mérite t-il la crucifixion ?
Je crois qu’Anselmo mérite d’être puni pour ses actions. Je ne le connais pas personellement donc je ne peux pas vraiment tirer de conclusion, mais quand j’ai vu sa vidéo et le regard qu’il avait, ça ressemblait à tout sauf à une blague. C’est pour ça que notre article « Phil Anselmo Apologizes for Waiting Until End of Show Before Paying Tribute to Hitler » me semblait juste.

Je crois qu’il y aussi un truc à dire sur la manière dont notre culture et nos médias condamnent les gens à vie sans leur laisser une seule chance de rédemption. J’ai lu un très bon livre sur le sujet qui s’appelle So You’ve Been Publicly Shamed écrit par Jon Ronson. Ca m’a ouvert les yeux sur la façon dont les gens étaient traités publiquement. On a passé des années à perfectionner nos méthodes d’humilitation mais personne ne semble intéressé par un procédé de rédemption publique.

Comment des mecs comme Phil Anselmo en arrivent là ? Ont-ils été mis de côté par la vie ? On dirait que le cycle médiatique est incapable de mener un débat poussé sur des questions comme ça – et peut-être que mon propre site non plus. On est juste dans « le bien » ou « le mal ». Ca n’est jamais aussi simple que ça. La vie est compliquée. Parfois les gens font des erreurs et parfois ces erreurs ont un long passif derrière. Donc heureusement que les lecteurs sont encore capables de lire les infos, d’avoir des débats avec leurs amis et leur famille et de se faire leurs propres opninions, sans simplement accepter la « mise au ban » qu’on nous impose chaque fois qu’un type fait une connerie (ou est un peu défoncé).

Matt, en pleine lecture du best-seller American Hardcore. Photo – Elon Gunning

Vous recevez beaucoup de plaintes de groupes ou de gens ? Vous avez déjà dû retirer des articles ?
Oui. Je suis très lié à ma scène locale donc à chaque fois qu’on titille un certain type de groupes, je reçois des sms… On s’y attend. Je mesure les conséquences de mes actions avant toute chose et j’assume tout comme un grand garçon. On ne nous a encore jamais collé de procès, mais on est préparés à ça aussi. On pèse bien le pour et le contre de nos blagues avant de les faire, et on n’a aucunement l’intention de battre en retraite après coup. On ne retirera jamais une blague pour apaiser quelqu’un. Le seul moyen, ce serait qu’une décision judiciaire nous ordonne de le faire.

Est-ce que The Hard Times peut devenir une option viable pour toi ? Est-ce que ça devrait le devenir ?
Chaque personne qui écrit, réalise des montages photo ou corrige des articles est payé, c’est un truc dont je suis fier. Ce n’est pas beaucoup – assez pour aller à un concert et acheter un disque ou deux – mais je crois que c’est important. Perso, je ne touche encore rien avec le site, mais en tant que journaliste, je mets un point d’orgue à payer les gens pour leur boulot fourni. Je pense que le site pourra bientôt me rémunérer moi aussi. Attendez-vous à ce The Hard Times grossisse et s’étende à d’autres médias et thématiques, tout en continuant à garder cette perspective DIY, notre base.


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