Rob Ford avait traité Justin Trudeau de quoi au juste?

Rob Ford était le plus célèbre homophobe de Toronto.

Ce n’est pas une affirmation controversée. Il a fui à répétition la parade de la Fierté, voté chaque fois qu’il a pu contre les propositions en faveur de la communauté LGBTQ, snobé une collègue gaie, fait des crises pour qu’on abaisse le drapeau de la Fierté. Et ce ne sont que les premiers exemples qui me viennent à l’esprit.

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Quand Gawker et le Toronto Star ont parlé de la vidéo de Ford qui fume du crack en 2013, on pouvait facilement croire qu’en état d’ébriété et défoncé, il avait pu traiter Justin Trudeau de tapette (« fag », en anglais). C’est ce qu’il a dit d’après les journalistes du Toronto Star. Selon ceux de Gawker, il aurait plutôt dit : « Pierre Trudeau était une tapette! », hors champ. Puis, plus tard, ils ont rapporté qu’il s’agissait plutôt de Justin selon le Toronto Star. « Difficile de ne pas confondre ces Canadiens les uns avec les autres », a ajouté le journaliste de Gawker, John Cook.

Tout Toronto tenait depuis pour acquis que Rob Ford, décédé plus tôt cette année, peu de temps après qu’on lui a diagnostiqué une forme rare de cancer, avait traité Trudeau de tapette. On l’a rapporté et répété encore et encore dans tous les médias (moi compris).

Mais maintenant qu’on a tous eu la chance de voir la vidéo de Ford, rendue publique la semaine dernière après que l’interdit de publication a été levé, il est difficile d’affirmer avec certitude que c’est bien ce qu’il a dit.

Dans cette vidéo, l’ex-maire parle (« marmonne de façon indistincte » serait plus juste) à Elena Basso, qui se trouve hors champ. Elle dit : « J’aimerais attraper ce putain de Justin Trudeau et lui enfoncer mon pied dans le cul profondément, parce que je suis sûre que je pourrais me rendre loin… Je suis sûr que mon putain de… Je lui chatouillerais les poils du nez avec mon pied, par son cul. »

Ford dit quelque chose pendant que Basso parle. Dans son sous-titrage de la vidéo, le Toronto Star indique que c’est « inaudible ».

Selon moi (et d’autres), il semble que Ford dit quelque chose comme : « C’est un puh… », avant de trébucher sur les autres mots qu’il essaie de prononcer. Quand il reparle de Trudeau, on entend les mots « grosse bite ». Il fait aussi des gestes sans y mettre beaucoup d’énergie, et je ne vais pas essayer de déchiffrer tout ça.

Les deux journalistes qui ont rédigé l’article original du Toronto Star sont aujourd’hui en désaccord. (John Cook, de Gawker, n’a pas encore répondu à mon courriel.)

J’ai demandé par courriel à Kevin Donovan s’il croyait toujours que Ford avait traité Trudeau de tapette. « Écoute la vidéo. Tu vas l’entendre. Ce passage est inaudible dans la transcription », m’a-t-il répondu.

Mais Robyn Doolittle, maintenant au Globe and Mail, m’a dit : « Je ne crois pas qu’on entende Rob Ford traiter Justin Trudeau de tapette. » (Divulgation : Comme tout le monde des médias à Toronto, je connais Robyn.)

Elle rappelle avec raison qu’ils avaient à l’époque regardé la vidéo dans des conditions plutôt mauvaises pour en rendre compte.

« Kevin Donovan et moi avons regardé cette vidéo trois fois sur un iPhone sans pouvoir prendre de notes. » Ils ont dû attendre 15 minutes avant de pouvoir prendre des notes. « Nous avons fait de notre mieux dans ces conditions difficiles. J’aurais aimé en avoir une copie en 2013. On aurait pu être parfaits dès le départ. Je suis contente que le monde ait la chance de la voir par eux-mêmes maintenant, même si évidemment tout ça est d’une tristesse incroyable, vu la fin de l’histoire. »

Elle a absolument raison sur deux points. Un : son évaluation honnête et objective de son propre travail est un changement rafraîchissant (jetez un œil sur les réponses très défensives de son ex-collègue). Deux : cette vidéo est vraiment d’une tristesse épouvantable.

Pendant deux ans de ma vie, j’ai probablement pensé à regarder cette vidéo de Ford fumant du crack chaque jour. Quand j’en ai enfin eu l’occasion, je me suis retenu aussi longtemps que possible. Après, je l’ai subie en entier comme si on me forçait à regarder un film d’horreur d’Eli Roth.

Comme je l’ai dit avant, Ford était une assez mauvaise personne. Mais regardant dans le rétroviseur, je le vois davantage comme un vilain touchant. Le garçon victime d’intimidation, sans confiance en lui, qui prenait son père pour un dieu, qui, même après être devenu un politicien puissant, n’était pas à sa place. Je ne suis certainement pas en train de lui trouver des excuses pour les terribles choses qu’il a faites en état d’ébriété ou défoncé, mais on comprend un peu mieux.

Comme les médias l’ont varlopé pour son refus de répondre de ses actes pendant son mandat, c’est bien de voir certains d’entre nous être aussi exigeants envers nous-mêmes. À répétition, les Ford ont mis en doute la crédibilité des journalistes, ce qui rend l’obligation d’admettre nos erreurs, en toute honnêteté ou à des fins sensationnalistes, encore plus importante.

Il n’y a pas lieu de s’excuser d’avoir traité Ford d’homophobe. Ses actions parlent d’elles-mêmes. Mais il me semble juste de retirer les commentaires à propos de Trudeau de sa longue liste de péchés.

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