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Le dilemme Swagg Man



À l’origine, Swagg Man faisait partie de ces « phénomènes du net » façon Amandine du 38 et Mickaël Vendetta, franchissant régulièrement les limites du pathétique grâce à d’innombrables vidéos -dans son cas, des interviews sans queue ni tête et quelques émissions de télé où il était, parfois ouvertement, traîté comme une bête de foire. Le tout étant caractérisé par une absence totale de talent (et même de musique), les commentaires des internautes se sont vite montrés extrêmement féroces, d’autant plus que Swagg Man arrivait bien après le Roi Heenok, mais aussi après Morsay. En gros, on était déjà complet rayon mongolos et il n’était de toute façon pas assez drôle pour qu’on s’intéresse à lui.


Mais ça, c’était avant. Le Swagg Man de 2014 a de toute évidence un peu réfléchi, ou s’est entouré de gens moins stupides qu’auparavant, afin de concrétiser ce qui semble être son objectif initial : devenir une star du rap (toute proportions gardées, hein). Finies donc les vidéos consternantes où il exhibait des liasses de billets dans l’indifférence générale -si l’on excepte bien sûr les sempiternels commentaires insultants. Swagg Man joue à présent son personnage à fond, avec une grosse part d’auto-dérision. Et comme Morsay à l’époque de La Vengeance, ça marche : certains internautes rient de plus en plus avec lui et de moins en moins de lui. Autre signe de réussite dans ce monde maléfique et viral qu’est internet : ses expressions sont désormais reprises en masse. Notamment son « posey » et d’une façon générale la manie de prononcer « ey » tous les mots qui se finissent en é.

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Et ça touche même des vrais rappeurs qui s’en amusent autant que le public. « C’est un pouvoir qu’il a, lui, ironise Zekwe Ramos. Il a dit ‘tatoué de la tête aux crottes de nez’, ça se respecte ça ! C’est le deuxième après Magic System à avoir tout niqué avec des rimes en é [Rires] ».

Bon, et la musique alors ? Pas de miracle, on reste au niveau zéro, mais ça a au moins le mérite d’être propre. Les clips sont de vrais clips, les beats sont franchement corrects, et plus surprenant, les textes aussi – certes, ils sont objectivement nuls, mais suffisamment idiots pour atteindre le niveau moyen des egotrips du moment. D’autant qu’il mise désormais à fond sur son côté complètement weirdo, abusant de gimmicks totalement cartoonesques et de punchlines sur-pétées (“plus d’argent plus de soucis, moins d’argent plus de saucisson“, “par Bill Gates je me suis fait violey“, etc.)


Ce qui nous amène à cette question : si Swagg Man n’est pas un rappeur (il l’admet lui-même), comment se fait-il que son « travail » se rapproche à ce point de celui des autres ? Peut-être qu’il a pris des cours de flow, peut-être qu’il a des ghostwriters (un en particulier), peut-être aussi qu’on n’en a rien à foutre et que ce n’est pas du tout la question.

Quand la parodie commence à égaler l’original, ça ne veut pas dire qu’elle est réussie, ça signifie juste que l’original commence à devenir franchement merdique. Vous pouviez adorer la marionnette de Chirac dans les Guignols, mais normalement vous étiez capable de faire la différence avec le vrai, ou alors c’est que vous aviez un gros problème. Bien sûr, des irréductibles vont relever des lyrics et se moquer. C’est une option, et ils auront probablement raison. Mais si ces irréductibles soutiennent en parallèle La Fouine ou Booba (dans leur version 2014), c’est qu’ils sont très, très, très loin dans le déni. Pour l’instant, niveau forme, ce qui sépare Swagg Man de certains artistes rap du moment, c’est uniquement le bagage technique, et l’écart se réduit dangereusement. Rien que le passage de « Billey » où il cale sans problème le flow saccadé qu’absolument tout le monde pompe en ce moment (*) devrait faire réfléchir certains.

Fous ta cagoule


Et maintenant un petit jeu, pour détendre l’atmosphère : dans le texte ci-dessous, des lyrics de Swagg Man se cachent parmi des rimes de Booba et La Fouine, saurez-vous les retrouver ?

Ton mec travaille à Monoprix, viens ici, ne sois pas grotesque

Même ton gamos n’a pas le quart de la valeur de ma chaîne

Mon président est black, ma carte bleue est black

Billets, billets mauves, tu es, tu es pauvre

Je touche le ciel, tu touches le RMI

Tu n’as aucun swag, comme les profs de dessin, putain c’est la honte ta meuf n’a même pas de faux seins

J’ai des cadavres de culs, j’ai les couilles déchargées

Je goûtais la ceinture de mon père étant petit, si je fais la même avec ma fille elle aura des traces Gucci

Tir de roque-que-quette, grosse qué-qué-qué-quette

Tu te fais des casse-croûtes, j’me fais des restos, j’envoie des diamants à ma go, t’envoies des textos

J’roule en lambo, ton gars à le pass navigo, ma black card est allergique au grec au quick au macdo

J’fais des cauchemars, j’ai des soucis, j’ai rêvé que j’roulais en Laguna

Tellement d’swag et d’argent que ta grand-mère me suce sans dentier

Spiderman lançait tout plein d’trucs pour s’accrocher aux murs. Ah bon ? Moi je lance du sperme sur des fesses bien dures

Black card ne meurt pas, même si j’retire dessus

On pourra danser toute la nuit, pose la teille et les glacons, mon swagg a dit oui et ton swagg a dit non

(*) Petite précision : on pourrait croire que les rappeurs français copient le flow des américains, que ce soit Migos ou certains rappeurs de Chicago, mais c’est faux. À la base c’est Janemba de Dragon Ball Z qui l’a inventé, dans sa version française, en 1995, bien avant tout ça. Sa façon de dire « Janemba, Janemba, Janemba-Janemba-Janemba », ce serait un tube aujourd’hui. Évidemment il n’avait pas d’instru de Young Chop ou de Zaytoven, et personne ne le reconnaîtra donc jamais comme le précurseur qu’il était. La vie est injuste.


Yérim Sar passe ses journeys à tweetey – @spleenter


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