L’auteur au Dominator, un festival hardcore qui se déroule tous les ans à Eindhoven (Photo : VICE)
En dehors de la ville d’Amsterdam et de sa cohorte de touristes, on ne peut pas vraiment qualifier les Pays-Bas de pays « extrême ». Si vous demandez à des gens de vous décrire la campagne néerlandaise, ils invoqueront systématiquement les clichés habituels – à savoir les moulins à vent, les champs de tulipes, les jeunes filles aux joues rosies par le vent et aux cheveux tressés, ou encore le fromage orange fluo.
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À mesure que je m’enfonçais dans la campagne néerlandaise pour les besoins d’un reportage, ces clichés ne m’ont pas semblé si éloignés de la réalité. Les plaines s’y étendent à perte de vue, le climat est typique du nord de l’Europe sans toutefois être nordique, et sa culture est fortement imprégnée d’éthique protestante et de tolérance. Néanmoins, une portion de terre qui traverse le pays – et s’étend de la région ouest de la Zélande jusqu’aux provinces d’Overijssel et d’Utrecht – dénote particulièrement du reste.
Cette zone invisible, située au beau milieu de champs de maïs, est considérée comme la « Bible Belt » européenne (les locaux l’appellent Bijbelgordel). Ses habitants sont nombreux à réprimander l’homosexualité, l’avortement et le sexe avant le mariage. La plupart se prononcent ouvertement contre la vaccination – c’est d’ailleurs pour cette raison que la région a connu une certaine notoriété il y a quelques années, quand une importante épidémie de rougeole y a sévi.
Toutefois, une action entraîne nécessairement une réaction – et le style de vie quasi amish qui régit la Bible Belt a poussé de nombreux jeunes à développer une obsession particulière pour le hardcore et le gabber néerlandais. Quasiment tous les week-ends, les villes de cette zone se font envahir par des centaines de jeunes Néerlandais passablement énervés qui foncent se vider la tête dans les clubs. Nous sommes allés sur place pour y tourner un épisode de la série « Big Night Out » qui a été diffusé sur VICELAND UK. Quand j’ai appris qu’une soirée hardcore sobrement intitulée « Fucking Bastards » allait avoir lieu dans le village de Beesd, j’y suis allé à la fois pour nourrir mon obsession maladive pour le gabber et le hardcore – mais aussi pour comprendre comment cette zone foncièrement insipide et conservatrice pouvait abriter l’une des cultures les plus extrêmes de la Terre.
La réponse est simple : le hardcore n’est plus le bienvenu dans sa ville natale, et s’est progressivement fait une place dans les provinces reculées.
Photo : Eloise Parry
Le hardcore ne pouvait venir que de Rotterdam, qui ne ressemble à aucune ville néerlandaise. C’est en partie dû au fait qu’elle ait été presque intégralement détruite durant la Seconde Guerre mondiale, à cause de son emplacement stratégique. À l’image de la ville anglaise de Coventry, Rotterdam a été très largement reconstruite. C’est une ville moderne, fondée sur le béton – une utopie industrielle qui continue d’attirer les gens du monde entier (ainsi que pas mal de trafiquants de drogues).
Le Rotterdam des années 1980 a bien changé. Avant, la ville était violente, brutale, imposante, et lorsque les jeunes se sont réapproprié le son techno pour y ajouter leur marque, cela a donné naissance au son le plus brut et impétueux que l’histoire de la musique ait connu. Ce genre a trouvé son nom en 1992 : le hardcore, et ses adeptes furent surnommés « gabbers ». Peu de temps après, la musique a aussi pris le nom de gabber et cette scène est devenue l’un des plus grands mouvements culturels chez les jeunes.
25 ans plus tard, le hardcore a peu à peu disparu de Rotterdam. La ville a préféré saisir l’opportunité de se réinventer, sur le même modèle que les quartiers de Williamsburg ou Kreuzberg. Les clubs passent désormais la même techno qu’au festival Pitchfork et les entrepôts qui accueillaient les Thunderdome et autres Rotterdam Terror Corps abritent désormais des vendeurs de burritos et des start-ups. Les jeunes Rotterdamois voient maintenant le hardcore comme une scène fantôme, peuplée de gens paresseux, de tarés, et de fanatiques sous ecstasy.
Une femme en tenue traditionnelle dans la petite ville de Staphorst (Photo : Eloise Parry).
Au sein de la Bible Belt, le hardcore est le meilleur moyen de pactiser avec le Diable, et ainsi de s’attirer la colère de Dieu et de ses disciples. C’est sur ces plaines que vit encore la scène hardcore en 2016, avec une nouvelle obscurité qui la pousse dans des retranchements toujours plus extrêmes. Survêts et crânes rasés y sont de mise, mais la scène ne cesse de se réinterpréter, insufflée par une envie générale de rendre le hardcore toujours plus brutal. Il semblerait qu’en Hollande, le hardcore n’est ni un genre, ni un mode de vie – mais bien une religion.