Voilà bientôt cent ans que Marcel Duchamp (ou, devrions-nous plutôt dire, R. Mutt), a bouleversé le monde de l’art en exposant un urinoir — sa notoire Fontaine. S’il est depuis reconnu comme une œuvre incontournable, le ready-made n’avait pas vraiment fait l’unanimité en 1917, d’aucuns le jugeant indécent. Il avait été ainsi retiré de l’exposition, au motif que « sa place n’est pas dans une exposition d’art et que ce n’est pas une œuvre d’art, selon quelque définition que ce soit ». Un siècle plus tard, il semble tout aussi inconcevable d’assimiler des latrines à une « œuvre d’art », comme en témoignent les réactions autour de la récente installation de Maurizio Cattelan au Guggenheim, à New York.
L’artiste italien a ainsi fait poser des toilettes fonctionnels en or massif — 18 carats — dans les commodités du musée new-yorkais. L’œuvre, intitulée America, est donc expérience, puisque les visiteurs peuvent l’utiliser pour sa fonction première : à savoir uriner et déféquer dedans comme dans n’importe quel toilette. Cattelan, habitué des polémiques, brise au passage l’une des règles sacrées de l’art, à savoir de ne jamais toucher une œuvre. Évidemment, les gens se sont précipités pour le voir de leurs propres yeux, et une file d’attente de plusieurs heures s’est mise en place devant sa porte.
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Tandis que le capitalisme creuse toujours plus les inégalités et ordonne le monde sur le genre, la classe, l’identité, ces productions scatologiques ont le mérite d’inverser les pôles en modifiant les règles autour de ce qui, comment et par qui l’art est fait et consommé.
L’artiste mexicain Yoshua Okón, en collaboration avec Santiago Sierra, a ainsi produit une pièce, The Toilet, reprenant la forme et le style exact du Museo Soumaya de Mexico City — un musée commandé par le milliardaire mexicain Carlos Slim pour héberger sa collection personnelle. The Toilet pointe du doigt les travers d’un capitalisme en pleine expansion à Mexico City. Slim et le Souamaya sont tous deux des symboles des dérives d’un pouvoir dérégulé et représentent ce qu’Okón appelle « le côté obscur du capitalisme ».
Les artistes mexicains semblent très inspirés par le motif des water closet puisqu’un autre d’entre eux s’en aussi emparé en 1997. America Letrina de Damián Ortega, un toilette de la forme du continent américain, évoque les arrangements du pouvoir mondial. « Vous tirez la chasse et le bas devient le haut du panier », disait Ortega à propos de son cabinet. « Un seul mot et vous créez un paradoxe. »
L’urinoir comme œuvre d’art a également refait son apparition dans un pub de Dublin, avec le visage de Donald Trump. « Mr Trump prêche la haine dans ses discours », dit le manager d’Adelphi, Tony McCabe. Notant la propension des clients à s’enflammer dans des débats politiques, il s’est dit que « le seul endroit où l’opinion de Mr Trump importait était sur le mur d’un urinoir. »
Comme Okón le souligne, « le genre de personnes qui va au musée sont avant tout des privilégiés. Elles sont bien placées pour opérer des changements. » Installer un chiotte en or dans un musée ou inviter les clients d’un bar à uriner sur la tête d’un homme politique revient à toucher un public moins hétérogène, tout en critiquant et reflétant la société. L’utilisation des toilettes dans l’art permet de repenser comment la culture fonctionne et d’inverser les notions de ce qui est supérieur et ce qui est inférieur dans le monde de l’art et au-delà.
America de Maurizio Cattelan est toujours en fonction au Guggenheim, à New York. Pour en savoir plus, cliquez ici.