Drogue

Si tout le monde prenait des psychédéliques, l’environnement ne s’en porterait que mieux

A man's head over layed with mountains and nature split with a hand holding a magic mushroom

Après avoir pris du LSD, Bill se tenait dans sa cuisine à Merseyside, en Angleterre, les yeux rivés sur un immense arbre. Quand l’arbre a commencé à lui parler, la seule chose qui a étonné Bill, c’est qu’il ne se soit pas présenté officiellement.

Tout au long de leur discussion de 15 minutes, l’arbre a fait comprendre à Bill que toute vie sur Terre, qu’elle soit végétale, animale ou humaine, était intimement liée. « J’ai senti qu’il avait beaucoup souffert de la façon dont la ville où je vis s’était construite autour de lui », dit Bill.

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Quiconque en a déjà pris, surtout en plein air, sait que les psychédéliques comme le LSD, les champignons, la DMT ou la mescaline, peuvent provoquer un sentiment d’émerveillement face au monde naturel et générer de nombreuses questions à son sujet. Tout cela a été reproduit dans un contexte plus formel : en janvier 2018, des scientifiques de l’Imperial College London ont découvert que la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons hallucinogènes, entraînait une augmentation significative du sentiment de connexion avec la nature après seulement une dose. Sept à douze mois plus tard, cette connexion persistait.

« Avant, j’appréciais la nature, mais maintenant, je me sens inhérent à celle-ci. J’avais l’habitude de la regarder comme je regarde la télévision ou un tableau, dit une personne ayant participé à l’étude. Mais maintenant je comprends qu’il n’y a pas de séparation ou de distinction : nous ne faisons qu’un. »

Les psychédéliques se sont déjà révélés efficaces dans la lutte contre la dépendance, l’anxiété et la dépression. Mais au-delà de la maladie mentale, les chercheurs se demandent aussi comment ils peuvent changer le caractère et les croyances d’une personne. Il semble que la relation à la nature soit un indicateur extraordinaire de bonheur, mais elle est aussi associée au bien-être de la planète : il existe un lien avéré entre le rapport à la nature et le respect de l’environnement.

Les Nations Unies ont récemment déclaré qu’il ne reste plus que onze ans pour éviter des « dommages irréversibles » dus au réchauffement climatique. Pourtant, un sondage mené en 2017 par le Pew Research Center a révélé que si les trois quarts des Américains sont soucieux de l’environnement, seulement un sur cinq s’efforce d’apporter un changement radical dans sa vie quotidienne. Pendant ce temps, les cent entreprises responsables de 71 % des émissions mondiales ne prennent pas de mesures décisives pour réduire leur impact et les gouvernements ne les tiennent pas responsables de leurs actes. Mais les chercheurs estiment que bombarder le grand public avec des données climatiques n’est pas la meilleure tactique.

En 1949, l’écologiste Aldo Leopold écrivait que « nous abusons de la Terre parce que nous la considérons comme un bien qui nous appartient. Dès lors que nous la verrons comme une communauté dont nous faisons partie, nous commencerons à la traiter avec amour et respect ». Et il en a convaincu plus d’un. « La crise écologique que nous connaissons actuellement est un effet secondaire de notre déconnexion avec la nature », estime Sam Gandy, écologiste et assistant scientifique à la Beckley Foundation, un groupe de recherche sur les psychédéliques au Royaume-Uni.

« Si je me sens en harmonie avec la nature, je commence à lui attribuer des caractéristiques humaines. Comme la capacité de ressentir la douleur ou la tristesse – Matthias Forstmann, psychologue

De tous les facteurs qui prédisent le comportement écologique, le contact et le lien avec la nature sont les plus importants, selon Gandy. Et les personnes qui consomment des substances psychédéliques déclarent être plus préoccupées par l’environnement que les personnes qui consomment d’autres types de substances. On a déjà vu ça avant : dans les années 1960 et 1970, la consommation fréquente de drogues psychédéliques a coïncidé avec des mouvements liés à l’environnement. Certains affirment que ce n’est pas un hasard.

Matthias Forstmann, psychologue et étudiant postdoctoral à l’Université de Yale, a tenté de confirmer cette corrélation dans une étude en 2017 : il a interrogé environ 1 500 personnes sur leurs expériences avec les drogues, leur relation avec la nature et leurs actions en faveur de l’environnement, comme le recyclage ou l’économie de l’eau. La recherche a également pris en compte d’autres substances, des traits de personnalité et des facteurs démographiques (tels que l’âge), « et, curieusement, nous avons constaté que seules les substances psychédéliques étaient prédictives d’un lien avec la nature », dit-il.

Forstmann croit que ce lien (et les actions subséquentes en faveur de l’environnement) est favorisé par un phénomène très discuté dans le monde de la recherche sur les drogues : la mort de l’ego. Normalement, nous savons clairement où commence et où s’arrête le monde extérieur, mais les psychédéliques rendent cette frontière plus floue. Gandy convient que la mort de l’ego est un mécanisme clé. On pense que les psychédéliques influencent le mode par défaut du réseau neuronal, un ensemble de régions cérébrales interconnectées qui sont les plus actives lorsque le cerveau est au repos ou concentré sur lui-même.

Une fois qu’une personne commence à humaniser la nature ou à l’anthropomorphiser, elle peut commencer à ressentir de l’empathie. « Si je me sens en harmonie avec la nature, je commence à lui attribuer des caractéristiques humaines, dit Forstmann. Comme la capacité de ressentir la douleur ou la tristesse. Si je sens que la nature souffre, je vais envisager de mieux la traiter. »

Forstmann travaille actuellement à un essai contrôlé contre placebo qui examinera la relation avec la nature et la mort de l’ego causée par les psychédéliques. Ce projet pourrait aider à exclure d’autres facteurs de confusion, notamment le fait que les gens tripent souvent dans la nature, ce qui rend difficile de distinguer l’impact du plein air sur l’expérience de la drogue.

Gul Dolen, neuroscientifique à l’Université John Hopkins, pense que tout ce qui se passe pendant le trip est important. Il étudie le phénomène de la plasticité synaptique : les synapses sont les points de connexion entre les deux neurones et contribuent à la capacité de notre cerveau d’apprendre de nouvelles connaissances et comportements. Après avoir administré de la MDMA à des animaux comme les souris et les poulpes, il a découvert qu’elle peut provoquer des niveaux élevés de plasticité dans le cerveau. Chez l’homme, elle peut générer la capacité de former de nouvelles associations et d’engendrer de nouvelles convictions.

D’autres chercheurs, comme le biochimiste David Olson de l’université de Californie à Davis, ont découvert que les substances psychédéliques peuvent modifier la structure des neurones dans le cerveau pour augmenter le nombre de dendrites, d’épines dendritiques et de synapses, qui jouent tous un rôle dans la plasticité du cerveau. Olson a appelé les substances psychédéliques et autres composés qui peuvent déclencher ce type de réorganisation du cerveau des « psychoplastogènes ».

Selon Dolen, pour transformer une personne peu soucieuse de l’environnement en militante, il faut lui présenter les notions de relation à la nature et d’importance de l’action climatique pendant le trip. Si cela se produit au cours d’une période de fenêtre de réouverture de la plasticité, alors ces effets peuvent durer bien au-delà de la durée des effets de la drogue.

Dans ce cas, faut-il donner des psychédéliques à tout le monde dans la forêt pour sauver la planète ? Évidemment, il s’agit de substances illégales et elles ne conviennent pas à tout le monde ; pour certaines personnes ayant des antécédents familiaux de psychose, les composants qu’elles contiennent peuvent présenter un risque. Passer plus de temps dans la nature est une façon simple de renforcer ce lien. Une étude récente a révélé que la proximité avec la nature augmente lorsque les enfants participent à des activités créatives et artistiques, comparativement aux promenades éducatives dans la nature.

Gandy et Forstmann se demandent également s’il existe un moyen de représenter la relation avec la nature à travers la réalité virtuelle – elle a été capable d’induire des expériences extracorporelles et d’affecter les préjugés et les humeurs. Une vision d’ensemble de la nature peut causer de puissants changements cognitifs, semblables à l’ overview effect vécu par les astronautes.

Le biologiste E.O. Wilson a écrit que les gens naissent avec une affinité pour les êtres vivants et la nature, une théorie qu’il appelle l’hypothèse de la biophilie. Elle fait valoir qu’une grande partie de l’histoire de l’évolution va de pair avec la nature : être capable de trouver de la nourriture et un abri, de comprendre la terre, et de trouver son chemin dans différents endroits. Selon Gandy, nous pouvons puiser dans cet héritage, que ce soit à travers la drogue ou toute autre manière.

« Je suis très conscient et profondément reconnaissant de tout ce que les psychédéliques peuvent apporter, dit Gandy. Mais selon moi, leur application à l’environnement et ses implications sont plus urgentes et plus importantes, et exigent plus d’attention que toute autre chose. Ce lien émotionnel et empathique est essentiel pour motiver les changements de comportement. »

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