J’ai débarqué dans l’est de l’Ukraine à l’été 2015, en passant par la frontière russe, et j’y suis retourné de nombreuses fois afin d’étoffer mon travail. Mes recherches m’ont conduit à parcourir la région de Donetsk, située en plein cœur de la « République populaire de Donetsk », ou RPD – une zone qui englobe notamment les villes de Donetsk, Gorlovka et Debaltsevo. Prise au piège d’une guerre civile qui dure depuis trois ans et qui a déjà fait officiellement plus de 10 000 morts, la région est déchirée entre « l’opération antiterroriste » du gouvernement ukrainien et « la résistance patriotique » du camp séparatiste – pour reprendre les termes consacrés de chaque côté de la ligne de front.
Pour les journalistes, l’accès aux républiques séparatistes ukrainiennes – RPD et RPL, ou « République populaire de Lougansk » – est restreint, c’est un fait. La raison est simple : il s’agit d’« États » récents et menacés, en guerre sur le terrain militaire comme sur celui de l’information. Les autorités, méfiantes et désireuses de défendre leur vision des évènements, sont très présentes sur place, même si ça ne m’a pas empêché d’exercer assez librement mon travail – hormis quelques cas précis, dont l’interdiction de clichés révélant des positions ou du matériel stratégiques, des personnes pas censées « être là » ou ayant de la famille de l’autre côté du front.
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Une fois sur place, malgré ces quelques obstacles, j’ai cherché à rencontrer des volontaires français combattant dans la milice locale – aujourd’hui devenue armée officielle. J’avais contacté l’un d’entre eux par Internet. Erwan avait accepté ma présence au sein de son groupe, et j’ai calé mon rythme sur le sien, le suivant sur le terrain, essayant d’être aussi « rustique » que les autres combattants hexagonaux. Depuis, par l’intermédiaire de publications « dépassionnées », j’ai pu garder de bonnes relations avec eux et y poursuivre mon travail d’auteur. Par contre, l’accès à l’Ukraine m’est désormais compromis alors que, dès 2015, j’avais pris soin de demander aux autorités ukrainiennes leur accord afin de produire un récit miroir sur les volontaires français engagés de ce côté-là du front – ce qui m’a été refusé. Au final, malgré ce déséquilibre apparent, j’ai tenu à livrer un récit s’éloignant le plus possible du traitement médiatique partial et partiel de cette guerre en France. Le déséquilibre informatif m’a toujours titillé – c’est ce qui m’avait poussé à me rendre sur place, d’ailleurs – et j’ai sans cesse rejeté l’opposition simpliste entre Ukrainiens ultranationalistes hystériques et poutinistes parano-débiles, qui ont pour point commun d’être des complotistes de salon ou de clavier.
Dans le cas du Donbass, on a très rapidement diabolisé un camp et enjolivé l’autre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que l’euphorie du début de guerre s’est évanouie et qu’on revoit progressivement notre jugement, car les faits nous y poussent : les gentils ukrainiens modernistes le sont moins, les méchants envahisseurs russes ne le sont plus tant que ça. Les seules vraies victimes sont les civils, et l’Europe. On sent désormais que sous leur vernis médiatique respectif, ces deux camps sont finalement plus complexes qu’il n’y paraît.
Quoi qu’il en soit, la plupart des comptes rendus occidentaux relatant les affrontements dans cette région sont toujours produits côté Kiev, et vont dans son sens – pour des raisons politiques et pratiques, avec des interlocuteurs pas forcément recommandables. Les motivations et souffrances des séparatistes sont bien souvent occultées. Ces derniers ne sont pas tous des terroristes, ou des mercenaires russes. Initialement, les populations séparatistes du Donbass n’étaient d’ailleurs pas spécialement prorusses, à les entendre. Elles le sont devenues, ne voyant pas vers qui d’autre se tourner.
La plupart des médias occidentaux occultent le fait que les Ukrainiens sont considérés comme des « occupants » par de nombreux habitants de la région. De même, peu de spécialistes et commentateurs évoquent les centaines de milliers – voire le million, selon Sergueï Lavrov – de réfugiés ayant fui l’Ukraine pour rejoindre la Russie. Il y aurait tant à dire et à développer. Je pense qu’un jour, on s’en mordra les doigts – ou pas, vu qu’on a déjà rangé sous le tapis la Yougoslavie, la Libye, l’Irak ou l’Afghanistan, et leurs morts.
On ne réalise pas à quel point le Donbass est une zone en guerre. Une guerre de basse intensité, certes ; une guerre à l’ancienne façon Verdun, avec ses tranchées et ses tunnels, mais une guerre quand même. Quand tu arrives à Donetsk, tu passes du centre-ville aux tranchées en quelques minutes. C’est surréaliste.
Lors de ma première rencontre avec Erwan, le groupe de combattants était constitué d’une quinzaine de Français – des étudiants, des boulangers, des militaires, des graphistes, issus des quatre coins de la France, novices de la guerre ou non. Il s’agissait de la deuxième vague de volontaires, moins sulfureuse que la première, à qui l’on a reproché d’avoir fait passer ses idées avant la cause séparatiste. Quoi qu’il en soit, je n’ai croisé la route d’aucun mercenaire. Tous les gars venaient sur leurs économies, ou étaient soutenus financièrement par des proches. Aujourd’hui, le groupe a éclaté, par déception, par ennui, ou par évolution des projets de vie. Certains ont été blessés, d’autres sont rentrés en France. En avril 2017, ils étaient moins de dix – dont trois qui souhaitaient s’installer définitivement à Donetsk.
Pour beaucoup, leur engagement résulte de l’incendie criminel d’Odessa en 2014 – où 42 civils prorusses trouvèrent la mort, la plupart brûlés vifs dans la Maison des syndicats. Les volontaires français que j’ai rencontrés dans la région de Donetsk critiquaient en chœur la révolution de 2013. Après, il est évident que certains avaient rejoint la région pour se confronter au mythe, chercher l’aventure de la guerre, ou se tester.
De son côté, Erwan vit toujours là-bas, à Donetsk, tout près de l’aéroport fréquemment bombardé. Il aide des civils à réparer leur maison et a monté une structure d’entraide. Dès que les combats s’intensifieront de nouveau ou que le fameux assaut ukrainien – auquel beaucoup se préparent – sera déclenché, il reprendra les armes.
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Guillaume est membre du studio Hans Lucas.
L’entretien complet et non-édité par la rédaction de VICE France est ici.