On pense généralement que l’intelligence est un trait inhérent aux personnes, une caractéristique qui les accompagne pour la vie et qui détermine en partie leur succès professionnel, intellectuel et social. Ainsi, on dira de nos pairs qu’ils sont brillants, géniaux, doués ou complètement crétins, en sous-entendant que leurs attributs cognitifs ne peuvent pas changer de manière radicale avec le temps. La bêtise serait une maladie chronique, tandis que le génie ne pourrait jamais vraiment être réduit à un tas de cendres une fois qu’il a émergé.
Pourtant, les psychologues décrivent volontiers l’intelligence comme un trait dynamique, qui peut être amplifié à certains moments de la vie. Difficile de définir le concept d’intelligence de manière scientifique, cependant. Elle ne peut pas être réduite au QI, un indicateur de performance cognitive dont la portée descriptive est limitée lorsqu’il est utilisé seul, et pourtant le QI est le seul outil dont nous disposons pour évaluer l’intelligence d’un individu.
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De fait, au sein même du monde scientifique, la définition de l’intelligence suscite des débats permanents et aucun consensus n’a encore émergé.
W. Joel Schneider, psychologue à l’Université d’État d’Illinois, estime que le QI est un concept dévoyé, peu sérieux, et suffisamment vague pour servir des usages parfois contradictoires. Certains experts s’accordent sur le fait qu’il existe vraiment quelque chose que l’on pourrait qualifier “d’intelligence générale”, quand d’autres débattent sur l’existence de différents types d’intelligences qui devraient être évalués par des tests distincts. Malgré tout de nombreux experts s’accordent sur une définition fluide de l’intelligence, évoquée entre autres dans cet article de 1994 du Wall Street Journal :
“L’intelligence est une capacité mentale très générale qui, entre autres choses, implique la capacité de raisonner, planifier, résoudre des problèmes, penser de manière abstraite, comprendre des idées complexes, apprendre de manière rapide et tirer des leçons de l’expérience passée. Elle n’est pas synonyme d’apprentissage encyclopédique (une compétence académique extrêmement restreinte) ni de réussite à des tests de performance standardisés. L’intelligence reflète une capacité plus large et plus profonde à comprendre notre environnement, à saisir des informations, à leur attribuer un sens, et à déterminer quel est le meilleur comportement à adopter dans telle ou telle situation.”
En théorie, la mission des tests de QI est de mesurer cet ensemble de capacités assez mal définies. La plupart des tests standard, comme le test de Wechsler, mesurent une combinaison d’aptitudes au raisonnement, de compétences linguistiques, mémorielles, ainsi que la vitesse de traitement de l’information. Les scores obtenus sont destinés à fluctuer à différents âges de la vie, ce pourquoi ils sont étalonnés par tranche d’âge. L’intelligence moyenne est définie à 100, et la plupart des gens obtiendront un score de QI situé entre 80 et 120. Les personnes ayant obtenu un score inférieur à 70 auraient un retard mental, tandis qu’un score supérieur à 140 est considéré comme “élevé“. Il est généralement admis que les individus obtenant un score de 160 et plus sont des “génies”, avec toutes les précautions que nécessite l’emploi de ce terme. Rappelons également que l’interprétation des scores extrêmes est sujette à controverse, car l’échantillon d’individus concernés est très faible. Un test de QI est difficile à administrer et à interpréter correctement, et seule une personne compétente sera à même de respecter les standards exigés.
Un score de QI ne peut en aucun cas représenter de manière exhaustive l’intelligence d’un individu. “Tous les chercheurs vous dirons que les test de QI constituent un reflet imparfait de la vraie intelligence ; de nombreux facteurs affectent la capacité d’une personne à être performante sur un test standardisé en un temps et un lieu donnés, explique Wayne Silverman, psychologue à l’Institut Kennedy Krieger et à l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins.
Considérons, d’abord, toutes les variables qui peuvent avoir un effet temporaire sur la cognition : l’état émotionnel, l’état de santé ou l’exposition aux psychotropes, par exemple. “Si je bois comme un trou et que je passe un test de QI le lendemain, mon score ne va pas être terrible”, explique Richard Nisbett, professeur de psychologie à l’Université du Michigan. Si votre meilleur pote est décédé la semaine précédente, ça ne sera pas plus brillant.
Sur la base de décennies de recherche, les scientifiques ont conclu que le score de QI d’une personne pouvait également changer au cours de sa vie (même si quelques études mettent en doute ce constat).
On sait désormais que l’intelligence est le produit d’interactions complexes entre des facteurs génétiques et environnementaux. Plusieurs études menées au cours des cinq dernières années ont identifié des centaines de gènes susceptibles d’être impliqués dans la performance intellectuelle. Les résultats des tests de QI peuvent même varier en fonction de l’état de développement d’une personne, lui-même régulé par l’expression des gènes : les plus grandes fluctuations dans les scores aux test se produisent habituellement au cours de l’adolescence, alors que le cerveau est toujours en plein développement.
Cependant, des facteurs non-génétiques peuvent affecter le QI de manière drastique. Certains éléments de l’environnement d’un enfant auront des répercussions sur son QI à l’âge adulte : la pauvreté, le niveau culturel au sein du foyer et l’exposition aux produits toxiques, par exemple. Les blessures répétées à la tête peuvent également influer sur le QI à long terme. Enfin, être entouré de personnes intelligentes favorise une augmentation des scores de QI, ainsi que les conditions matérielles d’existence et le milieu social. Ainsi un enfant qui changerait de foyer d’accueil et passerait d’une famille de classe moyenne à une famille de classe supérieure verra ses scores de QI augmenter très favorablement.
“Le cerveau a quelques traits communs avec un muscle : plus vous le sollicitez, plus il est fort. Cela signifie que vous pouvez doper votre intelligence tout au long de la vie”, explique le chercheur spécialisé en intelligence, James Flynn, à The Australian.
Pour l’individu moyen, il est plus courant de voir ses scores aux tests de QI s’effondrer avec les années que le contraire. Hélas, dès la fin de l’adolescence, l’intelligence décline. “Le QI a plus tendance à diminuer qu’autre chose. Une augmentation significative du QI est généralement le signe d’un test mal réalisé”, ajoute Silverman.
À l’échelle d’une population toute entière, à l’inverse, les chercheurs ont observé une augmentation du QI sur plusieurs générations. Ce phénomène a été baptisé Effet Flynn. Il s’explique en partie par l’augmentation du niveau d’éducation et par le fait que les gens travaillent désormais à des postes nécessitant un plus grand engagement cognitif qu’auparavant, expliquait Flynn dans un TED Talk de 2013.
Difficile de déterminer pour le moment si ces changements dans les scores aux tests de QI illustrent une augmentation de l’intelligence moyenne dans la population générale, explique Nisbett. De fait, de nombreux individus passent des test de QI pour le fun, et non dans un but diagnostique. “À la base, les test de QI ne sont pas faits pour les gens qui n’ont pas de problèmes. Ils sont conçus pour identifier les individus possédant un handicap cognitif majeur à long terme”, explique Silverman. “Dans ce cadre, les résultats du test sont vraiment importants, car la variation entre deux tests successifs permet de déterminer si oui non une personne devrait recevoir des aides du gouvernement pour l’aider à vivre avec son handicap.”
Si l’intelligence est moteur de réussite dans une carrière, ce n’est pas nécessairement le facteur le plus important. Comme le disait Warren Buffett, “Si vous êtes dans le secteur commercial et avez un QI de 150, vendez donc vos 30 points superflus à quelqu’un d’autre”. C’est également vrai dans le domaine scientifique, explique Nisbett. “En science, le succès dépend en partie de l’intelligence, mais sans doute encore plus de compétences sociales, de la ténacité et de l’engagement à long terme. Pas besoin d’être un génie pour devenir professeur d’université, il vaut mieux être un dur à cuire et un mondain.” C’est sans doute vrai dans des tas d’autres domaines.
Les chercheurs qui étudient l’intelligence se demandent s’il est possible de booster le QI d’un adulte à l’aide de jeux d’entrainement cognitif tels que Lumosity. Jusqu’ici, des études semblent indiquer que la réponse est non, mais Nisbett fait remarquer que “les preuves décisives ne sont pas encore là. Le sujet est très controversé.” D’autres explorent la relation entre l’éducation de l’enfant en bas-âge et les scores de QI à long terme, ou cherchent à définir d’autres types d’intelligence potentiels tels que l’intelligence émotionnelle et sociale.
Le rôle de l’environnement que le QI transforme la question de l’intelligence en problème politique et moral in fine. “La société a l’obligation morale de prendre en compte l’environnement des citoyens, en sachant que cet environnement lui permettra ou non d’atteindre son potentiel génétique”, ajoute Nisbett.
Quant aux tests de QI eux-mêmes, ils doivent être repassés tous les dix ans environ afin de pouvoir les calibrer (moyenne à 100) et d’observer l’évolution de l’effet Flynn. Dans tous les cas, il y a de grandes chances que vous deveniez de plus en plus bête par le simple fait de vivre.