Chier dans des sacs poubelles avec les squatteurs londoniens

En septembre dernier, suite à une campagne définissant les squatteurs comme une bande d’immigrants roumains capables d’envahir votre maison, de manger vos enfants et de vendre vos meubles sur eBay, la Grande-Bretagne a décidé de criminaliser le squat de propriétés résidentielles. Tout a commencé le jour où le Daily Mail a rapporté les multiples tentatives de Mike Weatherley, un député conservateur, d’interdire les squats. Ce dernier est d’ailleurs très fier d’entendre les squatteurs parler de la « loi Weatherley » ; c’est un peu l’accomplissement de sa carrière. Cela dit, il fait moins le malin depuis le jour où, suite à un débat mené fin 2012, il s’est fait chasser du campus de l’université de Sussex par un groupe de squatteurs et d’étudiants gauchos qui lui ont lancé des pierres, des œufs et des tomates.

Il est difficile de faire entièrement confiance aux chiffres, mais même s’il y a beaucoup de squatteurs, il est certain que leur nombre est inférieur à celui des propriétés vides de Grande-Bretagne. Squatter était déjà considéré comme un délit, mais les conservateurs étant des partisans de la réaction bourgeoise, il semble normal que ceux-ci préfèrent criminaliser les sans-abri plutôt que d’essayer d’en réduire le nombre.

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Des costauds sur le point d’évincer des squatteurs

Comme squatter une propriété résidentielle peut engendrer une amende voire une peine de prison, les sans-abri visent maintenant les commerces (même si certains membres conservateurs du Parlement veulent interdire ça aussi). Le Cross Keys, un pub de Chelsea, en est un bon exemple. Un jour, les squatteurs qui venaient d’y emménager ont fait une petite fête pour s’intégrer auprès des locaux. J’y suis allé pour comprendre leur détermination à s’en prendre aux individus les plus vulnérables de notre société : les grands propriétaires.

Le seul habitant du coin qui s’est joint à la fête était un homme assez âgé qui vivait dans une maison voisine. Il buvait du vin rouge et tentait d’engager la conversation avec les autres invités – un groupe de gens qui connaissaient les squatteurs et qui avaient entendu des rumeurs de bouffe gratuite. Je suis sûr qu’il fait la même chose tous les vendredis soirs lorsque cet endroit devient un bistrot plein d’aristos à tête de cheval plutôt qu’une cave à hippies aux cheveux en pagaille.

Je lui ai demandé ce qu’il faisait là. N’était-il pas agacé par ces jeunes morveux venus occuper son pub ? Au contraire. « Ils sont utiles à la communauté », a-t-il répliqué. Il m’a expliqué que le pub avait été acheté par un repreneur d’entreprises assez malin pour réaliser que même s’il est possible de gagner beaucoup d’argent en vendant de la India Pale Ale à des gens Made in Chelsea, on peut en gagner beaucoup plus en transformant des immeubles en appartements de luxe et en les vendant à des riches.


Jonny Remlab nous montre son tattoo dans la cuisine du pub squatté

Je ne sais pas si c’était à cause du vin, mais à un moment, j’ai trouvé que le pub ressemblait au QG d’une armée de saoulards anticapitalistes. C’était en tous cas le point de vue de Jonny Remlab, l’un des squatteurs, qui m’a confié : « On emmerde les gens qui pensent qu’ils peuvent nous faire payer une fortune pour un logement. C’est génial de se dire : “Je vous emmerde ! On habite ici gratuitement.” » Jonny fait partie de cette génération de squatteurs apparus à la suite du mouvement Occupy. « Bon nombre d’entre nous avons arrêté nos études pour pouvoir manifester indéfiniment et casser des trucs. Jusqu’au jour où les piliers d’Occupy sont passés à un activisme de classe moyenne – par le biais d’Internet et des technologies modernes – et nous ont laissés seuls dans la rue. »

Selon Jonny, les révolutionnaires sont des chasseurs de maisons très sélectifs. « Emplacement, emplacement, emplacement » est leur devise, et rester dans le centre-ville leur permet de facilement « sortir le soir, foutre la merde, emmerder les flics et le gouvernement » sans devoir payer un bus.

Mais il n’y a pas que ça. J’ai rencontré Arte Kane par le biais d’un autre groupe de squatteurs. Il est photographe, et les autres squatteurs aiment le charrier pour son style de « hipster ». C’est justement son manque de volonté de « changer le monde » et le fait qu’il travaille à son compte qui le distingue. « Certains squatteurs se sentent intimidés par les gens qui gagnent de l’argent grâce à leur créativité mais ils ne veulent pas le montrer », a-t-il dit.


Une squatteuse d’un squat aujourd’hui fermé dans Chancery Lane

Il me fait un rapide résumé des caractéristiques sociales des squatteurs : « 25% d’entre eux sont des “mâles dominants” qui s’attribuent les meilleures chambres, mais les filles ne sont pas comme ça. 20 % sont des jeunes un peu paumés, drogués, qui ont besoin de s’exprimer. Il y a aussi beaucoup d’étrangers. » Selon lui, le squat est devenu une pratique socialement acceptable et la démographie des squatteurs est en phase de transition : « Je vois beaucoup de filles et de gens à peu près décents qui préfèrent squatter que de payer un loyer. » Je lui ai demandé si les gens « à peu près décents » étaient ce qu’on qualifiait communément par « hippies ». Il a confirmé en ajoutant que c’étaient le même genre de mecs qui se rebellaient contre la décision du gouvernement de criminaliser le squat.

Pour découvrir ce que l’avenir réserve à ces squatteurs, j’ai visité une usine transformée en squat par un mec nommé Rob Voodoo en 2001. Aujourd’hui, dix ans plus tard, le squat est sur le point d’être fermé. J’ai parlé avec son fondateur qui m’a expliqué qu’après tant de soirées passées dans des squats, lui et un pote se sont dit que si des tarés pouvaient monter un squat, eux aussi en étaient capables. 

« Cet endroit était déjà ouvert quand on l’a trouvé. La première fois qu’on est entrés, les murs étaient couverts de tags racistes et il y avait des seringues partout. À côté d’un lit de camp, il y avait un gros étron humain et des habits de bébé. Pas d’électricité, pas d’eau. »

Cet endroit ne ressemble plus du tout à la description de Rob. C’est devenu une galerie d’art et un espace où sont organisés des événements, avec des chambres de chaque côté. « On a dû enfiler des gants de plombier et nettoyer les toilettes qui n’avaient pas d’eau. Les gens avaient mis des sacs poubelles dans les cuvettes pour pouvoir chier dedans, donc on a dû sortir tout ça. »


Mat Valentine, dont la carte de visite dit : « Contorsionniste, Magicien, Comédien, Divertissements de tout acabit. »

Chier dans des sacs plastiques est une chose assez récurrente dans la vie des squatteurs expérimentés que j’ai rencontrés. « Si je recevais un euro à chaque fois que je chiais dans un sac… » était une phrase qui revenait souvent.

C’était l’une des raisons citées par Mat Valentine, un ancien squatteur que j’ai rencontré, pour abandonner. « Tu arrives dans un bâtiment qui a l’air pas mal. En ouvrant le robinet, de l’eau sort et tu te dis : “Génial, y’a de l’eau ici.” Tu emménages et quelques heures plus tard, tu te rends compte qu’il n’y a pas d’eau. Donc il faut chier dans des sacs et c’est vraiment pas terrible. »

Ce n’était pas la seule raison qu’il a invoquée : « Puis, généralement, le proprio envoie des gros durs pour nous dire : « Si vous ne dégagez pas d’ici, on va vous buter sur-le-champ. » Ce qui est ridicule, c’est que les proprios n’ont même pas l’intention d’utiliser le bâtiment. C’est un peu enfantin. »

D’accord, ai-je dit, mais il y a bien dû y avoir des situations où tu squattais des bâtiments occupés, non ? Il a insisté : « Je n’ai jamais, jamais, pas une fois, squatté un bâtiment occupé. Les lois déjà en place protègent déjà largement les propriétaires – crois-moi. »

Il m’a dit ça d’une voix rauque. Il venait de passer la journée à gueuler dans Covent Garden, où il travaille comme acteur de rue. C’est le squat qui lui a permis de pouvoir vivre de son travail : lancer une tronçonneuse en l’air en la faisant tourner trois fois sur elle-même, puis la rattraper. Les yeux bandés. Il dit être la seule personne au monde capable de faire ça.

Les squatteurs m’ont plusieurs fois averti de l’impact culturel qu’allait avoir la loi sur le squat et ils ont sûrement raison. Sans cette amnistie économique qui aide les graines d’artistes, ce sont les riches étudiants en école d’art qui prendront notre culture en otage.


Gee Sinha promeut l’une de ses fêtes en se barbouillant la figure de maquillage de cirque

Gee Sinha souhaite utiliser la culture du squat pour contrer les projets du gouvernement. Son collectif, Suspenses, organise des soirées dans l’espoir de convaincre l’opinion publique. Il a expliqué : « On présente de jeunes talents au cours de nos soirées pour montrer à quel point on peut être créatifs avec l’espace. Ça inspire les gens, ça montre que l’usage d’un bâtiment est plus important que sa propriété. »

J’aimerais vraiment y croire mais ça m’étonnerait qu’une fête de squat puisse convaincre le parti conservateur. Je lui ai demandé s’il comptait vraiment là-dessus. « On va leur botter le cul, mon pote, a-t-il répondu. On va changer l’opinion des gens. On va réussir parce qu’on utilise des couleurs, du son, de la beauté et les gens en auront marre de lire le Daily Mail. »

Je ne sais pas si le fait de vivre dans des squats l’avait rendu ignorant de la puissance du Daily Mail ou s’il était juste beaucoup trop optimiste, mais ce journal est loin de manquer de lecteurs. Même ceux qui le détestent ne peuvent pas s’empêcher de tweeter leur mécontentement, tout en regardant les photos du cul de Beyonce dans la « rubrique de la honte ».

C’est dommage parce que même si mes nouveaux amis squatteurs sont un peu des moralisateurs de merde, ils sont loin d’être les monstres dont parlent les journaux. Je me suis plus amusé avec eux que si j’avais été voir les mecs qui achètent une deuxième propriété « juste pour investir », évincer tout le monde du marché et arrondir leurs fins de mois.

Tant que le prix des propriétés et des loyers reste aussi élevé que la fierté de Piers Morgan, le squat continuera et ce sont les propriétaires et non les squatteurs qui passeront pour les méchants.

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