Des phénomènes toujours plus intenses continuent de changer la face de notre monde. Alors que je pourrais assister impuissant à des bouleversements considérables, j’ai moi aussi décidé de me chauffer pour que mes actes aient un impact sur la société. En ce beau matin d’hiver, je me prépare mentalement à baisser mon froc dans un skatepark bruxellois pour me faire tatouer par un artiste un peu farfelu qui a besoin de personnes consentantes pour lui permettre d’exercer son art.
J’ai découvert Rixard sur internet. Ce qui m’a surtout interpellé, c’est sa façon de tatouer. Cet Espagnol de la trentaine est – en tout cas selon lui – l’un des précurseurs du « performance tattoo », du tatouage performatif, improvisé, spontané. Ce que je trouve intéressant dans sa pratique, c’est qu’il balance aux chiottes les codes figés pour arriver à un truc ultra brut et sincère. Ma première réaction quand j’ai vu ce qu’il faisait, ç’a été : « Wah, c’est n’importe quoi ce truc. » Puis petit à petit, en regardant ses nombreuses performances, j’ai commencé à comprendre le délire. Un message aux puristes de la ligne droite et du calque bien préparé : la suite risque de vous froisser profondément.
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Au début, je pensais simplement lui proposer une entrevue classique, des questions bateau pendant qu’il faisait son truc sur quelqu’un d’autre. Mais après ça, je me suis dit qu’en tant que journaliste gonzo des temps modernes, il fallait que je vive la chose de l’intérieur. Après un moment d’hésitation, j’ai décidé de me lancer. Quand j’ai compris qu’il allait faire une série de performances liée au graffiti – que j’ai pas mal pratiqué fut un temps – ç’a été la porte d’entrée.
On commence donc par échanger des messages sur Instagram. Il m’explique qu’il tatoue depuis 2013 et qu’il a tout appris en autodidacte. Niveau inspi, il dit suivre des artistes comme Fuzi UV TPK, Jan Hakon Erichsen, Marina Fujiwara ou Pablo Rochat, notamment pour leurs aptitudes à « créer des contenus en ligne très visuels et explosifs, des vidéos artistiques au rythme rapide qui deviennent virales sur les réseaux. » Son côté art contemporain lui vient de sa formation aux Beaux-Arts – il a un Master en Art et multimédia. C’est quand un pote lui montre comment mettre une batterie sur une machine à tattoo pour tatouer dans la rue que naît son intérêt pour la chose : « À ce moment-là, je me suis dit que je pourrais créer un processus totalement différent, un processus étrange : créer une difficulté dans la manière de faire le tatouage. J’ai commencé à utiliser des outils comme des bâtons de ski pour y accrocher la machine, ou même mes pieds. »
Après les présentations, on rentre dans le steak pour voir comment organiser la session à Bruxelles. Il m’envoie un texte tout fait qui décrit le principe :
« Cette série de performances consiste à recréer l’action de faire un tag dans la rue, de la même façon qu’un graffiti vandale. Le tag va être créé dans un environnement urbain d’origine, mais existera cette fois sur le corps. La performance va être filmée et fera partie d’un court documentaire, Rixard Tattoo Tour. »
On se met d’accord pour faire le tag-tatouage sur l’arrière de ma jambe (faut pas déconner quand même) et on se donne rendez-vous au skatepark des Ursulines, lieu qu’il valide direct.
Sauf que quand le jour J arrive, je suis encore en hésitation. J’en parle à quelques potes. Et ils me disent tous que c’est une idée de merde. Ils oublient juste un truc : on n’a qu’une vie. Et celle que j’ai choisi de mener implique de faire ce genre de trucs.
Avant de me rendre sur le lieu du carnage, j’achète quelques cigarillos – mon lot de consolation depuis que j’ai arrêté la clope il y a 8 mois –, mais avec le stress je prends malencontreusement des cigares à la place. Chiant. Très chiant. Donc j’arrive à la bourre, mais je retrouve direct Maryan, qui est là pour les photos de l’article. Autour de moi, je remarque pas mal de skaters, logique. Mais du coup, je commence aussi à flipper de me faire tatouer devant tous ces gens.
Quand Rixard arrive, on débute par une petite discussion pour se mettre en jambe. Il y a également Zaza, qui est aussi là pour se faire tatouer – mais qui a l’air beaucoup plus confiante. On se pose sur le haut du skatepark pour décider de la mise en scène à faire pour la vidéo. Je me dis que ça pourrait être finalement sympa d’intégrer les skaters. Je leur propose, et c’est OK.
Rixard prépare son matos et me rase la jambe. Je me cale dans le bowl. Le stress commence à se diluer dans mes veines comme l’alcool que j’ai ingéré la demi-heure précédente. Il fallait bien ça pour affronter cette épreuve de frappadingue.
On lance la vidéo, les skaters commencent à tourner autour de nous. Rixard se rapproche de moi, je sens l’aiguille qui commence à me déchiqueter la jambe. Il fait des mouvements de va-et-vient à travers ma cuisse. J’ai comme l’impression qu’il est en train de signer un document, mais en ratant à chaque fois la signature.
Au bout d’une trentaine de secondes, la performance est déjà terminée. L’adrénaline est tellement montée que je ressens même pas la douleur.
Mes potes sont pas mal mitigés quant au résultat. Certains valident à fond le délire, et d’autres tirent des têtes jusque par terre parce qu’ils osent pas trop dire ce qu’ils pensent. Mais bon, ils aiment pas. Pour ce qui est de mes parents, je vais pas leur montrer tout de suite, les deux sont encore en train de digérer mes anciens tattoos. Quant à moi, je me dis que pour le coup, c’est vraiment un tattoo unique et une expérience que j’oublierai jamais. Ce qui restera gravé dans les mémoires au-delà du tatouage en lui-même, c’est tout ce qu’il y a autour. Et c’est surtout Rixard qu’il y a autour. Ce qui me sied à merveille. Aucun regret.
On boit encore quelques pintes ensemble, Rixard, Zaza, Maryan et moi, puis on fait un bout de chemin avant de se séparer. Rixard doit partir assez vite parce qu’il enchaîne avec un autre tattoo. En vrai, le gars est ultra busy, les gens mordent à l’hameçon.
Avant la performance, il m’a confié que beaucoup de gens pensent qu’en réalité il fait n’importe quoi : « Je les comprends d’une certaine façon. Mais ils ont peur parce que c’est quelque chose de nouveau et unique. Certaines personnes sont même contre ce que je fais parce que je “détruis” l’art du tatouage. Mais je m’en fous. » En fait, Rixard dit surtout vouloir jouer avec l’humour. Selon lui, le tattoo est quelque chose d’assez obscur et c’est pour ça qu’il veut rompre avec ce « romantisme » parfois un peu trop sérieux : « Le principe de base de mon art, c’est d’avoir un procédé totalement aléatoire. J’essaie de faire de la difficulté du tattoo son processus. »
Un autre truc qu’il m’a dit me reste en tête : « Un jour, un type m’a laissé un commentaire sur Youtube qui disait que les gens appréciaient mes tatouages parce que c’était comme regarder un accident de voiture. Ça m’a fait beaucoup rire parce qu’au final, c’est un peu vrai. » J’aurais pas dit mieux.
Update 24/3/22: Les images qui accompagnent cet article ont été retirées.
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