Culture

J’ai fait un test pour savoir si j’étais accro à Internet – et j’ai gagné

Toutes les illustrations sont de Joel Benjamin

L’addiction à Internet n’est pas un trouble reconnu par le DSM-V. En revanche, une petite recherche Google avec les mots-clés « aide addiction Internet » montre qu’il existe des centres de désintoxication, des thérapeutes spécialisés dans le traitement de ce « trouble » et des Internet et Tech Anonymes.

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Je n’ai pas pris de drogues ni d’alcool depuis longtemps, mais je m’y connais pas mal en addiction. C’est pour cette raison que je m’inquiète parfois de mon rapport à Internet, qui constitue pour moi une échappatoire et un excellent fournisseur de dopamine. Tout n’est pas idéal pour autant : parfois, Internet me distrait, me déçoit, me paralyse et influence la fausse image que j’ai de moi-même.

Mais mon obsession pour internet relève-t-elle de l’addiction pour autant ? J’ai décidé de répondre à cette question en faisant un test intitulé Êtes-vous accro à Internet ? Bien que ma relation avec Internet soit complexe, il s’agit d’un simple questionnaire à choix multiple ; j’ai donc choisi d’écrire mes réponses en fournissant le plus de détails possible, sans jamais mentir. J’ai aussi tenu à faire ce quiz publiquement – pour la simple et bonne raison qu’il n’existe pas de meilleur endroit qu’Internet – et tous les accros qui le peuplent (je pense à vous, les aigris de la section commentaires) – pour confronter ses démons virtuels. C’est parti.

1. Avez-vous déjà réalisé que vous étiez resté en ligne plus longtemps que prévu ?
J’utilise mon iPhone dans ma salle de bains. J’ai passé des heures aux toilettes sans pisser. Parfois, ce sont mes propres toilettes. Il m’arrive aussi de m’aventurer dans cette vaste jungle qu’est le monde d’aujourd’hui, et de trouver une excuse pour aller aux toilettes. Je me dis tout le temps que j’en aurais pour cinq minutes. Ça ne dure jamais cinq minutes. Je sombre dans un puits sans fond et ça me fait du bien. Les gens croient que je suis morte. J’aime bien ça.

J’essaye de me fixer des règles pour contrôler mon utilisation d’Internet. Le fait de s’imposer des règles témoigne d’une potentielle addiction. Les gens qui ne sont pas accros ne se fixent pas de règles pour faire certaines choses – ils se contentent simplement de les faire.

Voici les règles que je me suis fixées : dix minutes de méditation avant d’éteindre mon téléphone ou mon ordinateur le matin ; pas de réseaux sociaux avant midi ; pas plus de 120 minutes de réseaux sociaux par jour ; seulement deux tweets par jour et uniquement après 19 heures ; cure d’Internet pendant 24 heures le week-end. Je les transgresse toutes quotidiennement.

2. Préférez-vous la stimulation procurée par Internet à un moment d’intimité avec votre partenaire ?
Oui. Bien sûr. Sauf si ledit partenaire est un étranger virtuel que je fantasme de choper dans une chambre d’hôtel.

Quand je dois vraiment m’acquitter d’une tâche, comme faire mon lit ou payer des factures, j’ai l’impression que ça va me tuer.

3. Négligez-vous les tâches ménagères pour passer plus de temps sur Internet ?
Quand je dois vraiment m’acquitter d’une tâche, comme faire mon lit ou payer des factures, j’ai l’impression que ça va me tuer. J’ai comme l’impression qu’une mère castratrice et cruelle m’oppresse et que le monde n’est fait que de tâches sisyphéennes où nous sommes condamnés à pousser un rocher sur le flanc d’une colline avant d’être écrasés ad infinitum. Un jour, je lavais des sous-vêtements dans l’évier et j’ai fait une pause pour aller sur Twitter ; l’évier a fini par déborder et il y a eu une fuite chez les voisins du dessous – lequel venait d’avoir un bébé. Finalement, le concierge de l’immeuble a fait irruption chez moi en défonçant la porte et je l’ai pris pour un tueur en série. On va dire que oui.

4. Négligez-vous votre travail (ou vos devoirs scolaires) à cause du temps que vous passez sur Internet ?
Mon travail se fait sur Internet.

5. Formez-vous de nouvelles relations avec d’autres en ligne ?
Je préfère passer du temps à ne rien faire avec des individus désincarnés et à moitié imaginaires que faire de vrais trucs avec de vraies personnes. Ça ne veut pas dire que tout ce qui est sur Internet est faux. J’ai forgé des relations profondes avec des gens que je n’ai jamais rencontrés via Internet. Parfois, je compare les gens qui m’entourent en vrai avec ceux que je connais grâce à Internet. Souvent, je me demande pourquoi les vrais gens ne peuvent pas être comme ceux d’Internet. C’est peut-être parce que les vrais gens ne sont pas pixelisés. Leurs erreurs et leur insipidité ne peuvent pas être recontextualisées pour faire partie d’un fantasme. Si une personne n’est pas réelle, c’est plus difficile pour elle de nous décevoir. C’est pourquoi Internet est une bonne chose pour les gens tristes. C’est un outil qui nous permet d’être avec des gens sans être vraiment avec des gens.

6. Vos proches se plaignent-ils du temps que vous passez en ligne ?
La personne avec qui j’entretiens une relation amoureuse parle de mon smartphone comme de mon « petit copain ». Il explose de joie quand ma batterie est déchargée. Un jour, il a menacé de le jeter par la fenêtre. Il craint plus d’être remplacé par Internet que je ne le trompe. Je lui assure que je ne le remplacerais jamais. Je me contente de remplacer la réalité. Malheureusement pour lui, il est réel.

7. Êtes-vous sur la défensive quand quelqu’un vous demande ce que vous faites sur Internet ?
Pour moi, seul le fait d’être sur Internet compte – ce que j’y fais n’a pas vraiment d’importance. Tout le monde sait ce que je fais : je tweete. Quand je suis en soirée, je précise à mon hôte que je dois aller faire la grosse commission. Puis je disparais jusqu’à la fin de la soirée.

En réalité, la chose dont j’ai le plus honte, c’est que j’aime le « porno pour meufs ». J’aimerais ne pas aimer les films porno expressément adressés aux femmes. Quand je regarde Xander Corvus brouter la chatte de Melanie Rios, j’aimerais ne pas me dire : Oh mon Dieu, il est tellement amoureux d’elle. Il est fou amoureux d’elle et ça fait longtemps qu’il rêve de ce moment. Ça se voit qu’il aimerait rester avec elle jusqu’à la fin de ses jours. J’aimerais ne pas avoir besoin de penser ça.

8. Votre performance au travail ou votre productivité pâtit-elle de votre temps passé en ligne ?
Clairement.

9. Vérifiez-vous votre boîte mail avant de faire quoi que ce soit d’important ?
Je ne peux plus m’impliquer dans les mails, parce qu’ils requièrent plus de 140 signes. Si j’envoie un mail, j’utilise Siri pour le dicter. Internet a modifié ma capacité d’attention au point que je ne puisse plus envoyer de mails. Internet m’a dégoûté des mails. L’iPhone m’a dégoûté des ordinateurs. Si un ordinateur, c’est de la cocaïne, alors l’iPhone, c’est du crack. J’inhale ces bouffées de crack avant, pendant et après avoir fait quelque chose.

10. Êtes-vous énervé si quelqu’un vous distrait quand vous êtes en ligne ?
En général, je suis dans un état comateux et j’oublie le monde qui m’entoure. Quand je suis dans mon trou, je ne vois plus personne.

11. Attendez-vous avec anxiété de pouvoir retourner sur Internet ?
J’ai déjà eu la tremblote, effectivement.

12. Chassez-vous vos mauvaises pensées par d’autres réconfortantes incluant Internet ?
Ma plus grande peur, c’est de mourir. La mort ça passe, mais mourir en soi – l’incapacité de respirer, la dernière attaque de panique – ça me fait vraiment flipper. J’ai aussi peur de la vie, puisque mourir en fait partie. Parfois, la vie me semble surréelle. Je regarde les gens et ils ressemblent à des robots ; comme s’ils étaient faits de caoutchouc. Dans ces moments, je me dis que je suis témoin d’un bug de la matrice révélant la vraie nature de la vie. Mais, c’est probablement juste l’anxiété qui parle. Parfois, je me dis : Merde, personne ne sait ce qu’il se passe réellement. Ma thérapeute ne m’aide pas du tout. Elle ne peut pas expliquer ce qu’il se passe mieux que n’importe qui. Elle ne peut pas m’empêcher de mourir. Internet non plus, mais c’est l’endroit idéal pour canaliser cette adrénaline. C’est toujours plus facile qu’en parler à des gens en caoutchouc.

Une autre chose dont j’ai peur : le rejet. Si quiconque doit me rejeter, autant que ce soit moi-même. Quand un être humain réel rejette mon vrai moi, ou que j’ai l’impression que mon vrai moi se fait rejeter, j’ai besoin de la confirmation que je vaux la peine d’exister. Pour parvenir à mes fins, j’engrange du faux amour offert par des étrangers à travers un avatar qui me ressemble.

Ces tentatives de réparation de mon moi, ou mon manque de moi, résultent en une avalanche de tweets. Je poursuis l’excès en supprimant tous les tweets – ou presque – avant de me morfondre dans un tourbillon de honte.

13. Pensez-vous que la vie sans Internet soit ennuyeuse, vide et sans joie ?
Non, je pense qu’elle serait merveilleuse. Je m’imagine sur une plage de sable fin, empoignant un truc vert ; sûrement des algues, ou peut-être de la mousse. Je bois beaucoup d’infusions. Je « m’assume ». Ouais, elle serait vraiment vide.

14. Vous arrive-t-il de dire « allez, encore quelques minutes » quand vous êtes en ligne ?
S’il existe une chose dont j’ai horreur, c’est le temps linéaire. Internet me permet de m’imaginer que je suis capable de modifier le temps. Je ne peux pas modifier le temps, alors je dis « encore quelques minutes » et je sombre dans un vortex. J’ai des trous noirs.

15. Pensez-vous à Internet quand vous n’êtes pas en ligne ?
Bien entendu.

16. Négligez-vous votre temps de sommeil à force d’aller sur Internet ?
Aujourd’hui, je me suis réveillée à 3 heures pour aller sur Internet. À l’heure où j’écris ces lignes, il est 6 h 30 du matin. J’ai fait ça à peu près toute la semaine, sauf lundi dernier – je n’ai pas dormi du tout. Je pense qu’Internet est une réplique du soleil. Peut-être que les gothiques/emos/personnes sensibles ne devraient pas aller sur Internet. Nous sommes tous condamnés à faner.

17. Essayez-vous de cacher le temps que vous passez en ligne ?
Quand je buvais encore, je me pointais dans les bars déjà bourrée et je commandais aussitôt à boire. Je faisais semblant d’être ivre à cause de ces premiers verres. Je garde mon compte Twitter So Sad Today anonyme, parce que j’ai honte du nombre de tweets que j’écris en une journée. Bref, oui.

18. Passez-vous plus de temps en ligne qu’à sortir avec vos amis ?
Internet me permet de traîner avec des gens sans avoir à quitter ma maison. En plus, je peux être avec des gens de mon choix. Je peux être une putain de sorcière sur Internet alors qu’en vrai, je suis devant mon ordi à manger des lasagnes végétariennes en portant un short avec des motifs de trompettes.

19. Avez-vous déjà essayé de diminuer – sans y parvenir – le temps que vous passez en ligne ?
Tous les jours.

20. Vous sentez-vous déprimé, de mauvaise humeur ou nerveux quand vous n’êtes pas en ligne ? Ce sentiment perdure-t-il quand vous retournez sur Internet ?
En vrai, ça arrive souvent que j’aille sur Internet et c’est Internet qui me rend déprimée, de mauvaise humeur et nerveuse. J’y vais, et deux secondes plus tard, je me dis : rien à foutre de tout. Mais, dans la vraie vie, c’est toujours pire.

Mais même quand Internet craint, il y a ce potentiel infini à exploiter. Je sais qu’un site sera à chier parce qu’il était à chier il y a quelques secondes, mais je continue à cliquer sur le bouton actualiser. Au bout d’un moment, il finit par changer. La vie, elle, reste la même. Quand j’appuie sur actualiser dans la vraie vie, j’obtiens le même résultat.

En fait, ce n’est peut-être pas entièrement vrai. Il y a une certaine spiritualité dans les choses répétitives : mantras, chapelets, Je vous salue Marie, ou comme dirait Prince : la joie dans la répétition. Le problème avec l’addiction, c’est que la joie dans la répétition est un mélange entre joie et problèmes. Ensuite, ça se résume juste à des problèmes.


Je pense que l’emprise qu’a Internet sur moi est en partie liée à ses zones d’ombre et de lumières. Elles sont toutes deux sexy et rendent presque tout possible. Je suis sûre que la vie a un potentiel infini similaire à celui d’Internet. Malheureusement, on me force à être une adulte dans la vie. Sur Internet, j’ai encore le droit d’avoir 16 ans.

De même, je gère sur Internet. Si Twitter était un jeu vidéo, je l’aurais vaincu. Je n’ai pas toujours géré dans la vie. Je n’ai pas accepté l’idée que j’allais mourir un jour.

Je ne m’imagine pas du tout utiliser Internet modérément. C’est tout ou rien. Soigner le mal n’a jamais fonctionné chez moi. Une fois qu’un concombre se transforme en cornichon, on ne peut pas le faire redevenir un concombre. Internet m’a transformé en cornichon il y a déjà bien longtemps.

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