Ils ont été quelques-uns à ne pas tenir le coup dans la salle, mais je suis restée jusqu’à la fin. Parce que même si j’ai trouvé The Mountain : une odyssée américaine dérangeant, j’ai aussi pensé qu’il l’était pour les bonnes raisons.
L’histoire commence comme ça : Andy, pas encore la vingtaine, interprété par Tye Sheridan (Mud, The Tree of Life), bosse pour son père dans une patinoire. On est aux Etats-Unis, dans les années 50, tout est marron, gris, parfois bleu fade. Le tout, filmé en 4:3. Pas de panique, c’est fait exprès.
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En quelques secondes à peine, on se sent mal à l’aise. Mais on a envie de savoir pourquoi. Enfin, moi j’ai envie de savoir pourquoi. Pourquoi ce jeune homme a-t-il l’air si mal dans sa peau ? Pourquoi s’est-il toujours laissé hurler dessus par son père et mépriser par les membres du club de patinage ? Et surtout, où est sa mère ?
Rapidement, le père d’Andy meurt d’une crise cardiaque. Sur la glace, au beau milieu de la patinoire. Sans lui, Andy n’a plus rien. Plus de job, plus d’argent. Lorsqu’un certain docteur Wallace Fiennes, ami de longue date de son père et médecin de sa mère – joué par Jeff Goldblum (Independence Day, Jurassic Park) – lui propose de le suivre sur les routes d’Amérique pour documenter son travail de recherche, Andy accepte. Dans l’espoir de retrouver sa mère, figure centrale du film, à la fois absente et idéalisée.
Les patientes de Fiennes sont des folles, des hystériques, comme on disait à cette époque. Enfermées dans des asiles. La solution du docteur Fiennes pour les soigner : la lobotomie, par chocs électriques ou par opération cérébrale, grande plaie sexiste de la médecine du début du 20e siècle. Ces techniques archaïques, qui ont fait la renommée de ce médecin carriériste, commencent à être délaissées au profit de traitements chimiques.
D’où la fuite en avant de Fiennes, qui enchaîne les opérations, de plus en plus dangereuses, de moins en moins nécessaires, pour prouver l’efficacité de ses méthodes. On passe d’un hôpital psychiatrique à un autre, à la recherche de nouvelles patientes, de nouveaux « exploits » à photographier. Ce road movie pousse sans cesse les personnages sur les routes de l’ouest américain. Pourtant, on semble faire du surplace. L’ambiance est lourde. Et la figure de la mère toujours aussi présente.
Car Andy ne peut s’empêcher de la chercher dans toutes les femmes qu’il photographie. Blondes ou brunes, âgées ou jeunes, bien nées ou non. A travers son nouvel œil d’artiste, il crée un lien de plus en plus fort avec les victimes de son mentor. Qui sont-elles ? Quelles sont leurs souffrances ? Sa mère était-elle comme elles ?
Alors que son patron se révèle être un homme profondément irrespectueux des femmes, que ce soit envers ses multiples coups d’un soir ou ses patientes, reléguées au rang de rats de laboratoire, Andy, lui, finit par déborder d’empathie pour ces femmes aux vies brisées. Au départ timide, souvent effrayé par les histoires qu’elles lui racontent, il réussit plus tard à les embellir à travers son objectif.
Jusqu’à tomber amoureux de l’une d’elles. Elle a son âge, elle s’appelle Susan – jouée par Hannah Gross (Mindhunter). C’est la fille d’un guérisseur français, Jack, interprété par Denis Lavant (de l’Académie française). Ils vivent reclus tous les deux dans une villa au milieu des montagnes enneigées. Susan veut être lobotomisée. Pour cette adolescente qui semble complètement piégée par les délires de son père, ce traitement est comme une fuite, une libération. Contrairement à toutes les autres patientes de Fiennes, elle en connaît les conséquences.
Par amour pour elle ou par envie de se rapprocher du sort de sa mère, Andy demande à son patron de lui infliger le même traitement. Les deux adolescents, hébétés, insensibles au temps qui passe, vivent alors au rythme imposé par Jack, dans une villa qui ressemble de plus en plus à une prison. Alors qu’on le pense imperméable à toute réalité, le jeune couple tentera ingénieusement de lui échapper.
Dans The Mountain : une odyssée américaine, on comprend peu même en réfléchissant beaucoup. « C’est un film formel avant tout », assume Rick Alverson. Le réalisateur voulait qu’on s’interroge sur la forme de son film, et c’est plutôt réussi. Même si le malaise est partagé, l’expérience est unique : le film regorge de signes, de silences et tout est interprétable. A chacun de se faire son film dans le film.
The Mountain : une odysée américaine, en salles à partir du 26 juin.
Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat avec Straydogs et a été rédigé en toute indépendance par la rédaction.
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