Music

Tom Morello est plus remonté que jamais


Photo – Andy Kellen/Rolling Stone

Du 18 au 21 juillet prochain, alors que les chiens de garde du Grand Old Party [surnom historique du Parti Républicain] devront se fader les discours (inter)minables de Trump pendant quatre longues soirées, les Prophets of Rage seront dans les rues de Cleveland. C’est devant cette même Convention Nationale Républicaine que le groupe – formé, on vous le rappelle, par des membres de Rage Against The Machine, Public Enemy et Cypress Hill – donnera le premier concert d’une tournée nationale qui prendra fin lors de l’élection présidentielle de novembre.

Videos by VICE

Et le groupe a un but précis : secouer à nouveau l’Amérique. Leur slogan, « Make America Rage Again », est d’ailleurs affiché partout dans les rues de Los Angeles depuis des semaines, à grand renfort de posters qui annonçaient leur tout premier concert au Whisky A Go Go le 31 mai dernier. Les membres de POR tentent de se nourrir du mécontentement populaire en proposant une alternative pour canaliser la rage qui mine la population depuis un an. Leur tournée passera dans tout le pays, et ce n’est pas innocent si elle débute à Cleveland, juste à côté du « Ground Zero de la classe dominante du petit parti de Trump », comme se plait à le dire Tom Morello. On sait déjà qu’ils y donneront un concert le 19 juillet, mais aucune info n’a fuité sur leurs performances à suivre.

Les Robin des Bois de la fusion ont d’ailleurs fixé un prix d’entrée strict pour chaque concert de la tournée, 20 dollars le ticket, dont une partie sera reversée aux centres d’accueil pour sans-abris et aux banques alimentaires locales. Le groupe prouve ainsi qu’il s’adresse à tout le monde, y compris les exclus. Nous avons discuté avec Tom Morello du climat délétère qui régnait aux Etats-Unis et de la stratégie des Prophets of Rage pour revitaliser le pays.

Noisey : Ce n’est pas trop perturbant d’aller jouer dans un tel environnement politique et social à Cleveland, en plein milieu des manifestations ?
Tom Morello :
Non, au contraire ! J’ai une longue expérience de ce type d’ambiances et de ce genre de concerts. Et ça ne me rend pas nerveux du tout. Quand on joue dans une salle de concert rock, les paramètres sont toujours les mêmes, sans surprises : soit on assure et ça se passera bien, soit on n’est pas bons et ça se passera mal. Là, en revanche, on n’a aucune idée de ce qu’il va se passer. Et au lieu de me rendre nerveux, ça m’excite !

Est-ce que ce genre de concerts nécessite une préparation spécifique ?
On est encore en train de régler quelques détails. Un des concerts aura lieu à l’Agora Ballroom. Comme ce sera un concert rock dans une salle rock, je sais à peu près comment ça va se passer. Mais pour le reste de la tournée, qu’on ne compte pas annoncer, c’est une autre histoire. Ça demande pas mal de préparation. Il faut s’assurer de la sécurité des gens, et maîtriser – du mieux qu’on peut – tout imprévu dans ce que l’on va entreprendre. Cleveland est la première étape de la tournée américaine des Prophets of Rage. On fait juste un concert de préparation avant Skid Row à Los Angeles, puis on se rendra ensuite à la Convention Républicaine. On s’est dit que c’était l’occasion parfaite pour inaugurer notre morceau « The Party’s Over » : ça va être le Ground Zero de la classe dominante du petit parti de Trump.

Sur cette campagne présidentielle, tu mets les Démocrates et les Républicains dans le même panier. Est-ce que vous avez envisagé de jouer à la Convention Nationale Démocrate la semaine suivante ?
J’ai déjà joué à une Convention nationale démocrate. Là, on a un souci d’agenda, mais j’espère bien qu’on y sera avec les Prophets of Rage, même si on ne joue pas dans la rue. Je peux te dire qu’Hillary n’est pas tirée d’affaire.

Si vous ne donnez pas de concert, qu’est-ce que vous allez y faire ?
Quelque chose qu’il ne faudra absolument pas rater…

Dis m’en un peu plus à propos de votre slogan, « Make America Rage Again ».
Une des raisons principales pour laquelle on a monté Prophets of Rage, c’est que les médias n’arrêtaient pas de dire que Donald Trump et Bernie Sanders « enrageaient contre le système » [« raging against the machine »]. N’importe quoi ! On va leur montrer ce que signifie réellement « raging against the machine ». Et même si ces deux candidatures révèlent un rejet sain et profondément ancré de la politique traditionnelle, je crois que les électeurs n’ont pas suffisamment d’options. C’est donc important d’introduire un point de vue alternatif dans cette campagne. Trump est une très mauvaise réponse à des questions très pertinentes : est-ce que l’on est en démocratie, ou est-ce que ce sont les banques qui décident ? Qui sont les perdants de la mondialisation, et pourquoi sont-ils négligés et rejetés par les politiciens et les médias dominants ? Est-il juste que les riches récupèrent tous les bénéfices des transactions financières internationales ?

Depuis les années 80, les élites des pays riches captent tous les gains de l’économie mondialisée à titre individuel, et sont sourds à toute critique. Aujourd’hui, les dirigeants des partis démocrate et républicain sont effrayés par la révolte populaire. Trump a réagi avec beaucoup de cynisme en exploitant pour son propre compte les préoccupations légitimes des électeurs, et n’a finalement provoqué que division et racisme. Parmi ses partisans, certains sont vraiment racistes, et il faut les combattre fermement. Mais la plupart des autres ont des préoccupations légitimes, et la seule issue électorale, le seul choix qu’on leur offre pour exprimer leur « allez vous faire foutre » à destination des gens qui les ont exclus économiquement et ignorés politiquement, c’est ça : Trump. Une bien piètre solution. Nous, on essaie d’offrir un point de vue alternatif qui rende justice à la rage exprimée par ceux qui soutiennent à la fois Sanders et Trump.


Photo – Kevin Winter/Getty

Ce que tu dis est encore plus pertinent, et inquiétant, depuis le Brexit, avec le Royaume-Uni qui a voté pour quitter l’Union européenne.
C’est exactement la même chose. Ce que je viens de dire sur Trump, on peut l’appliquer au Royaume-Uni.

Là-bas aussi, l’idée était de se débarrasser des dirigeants non élus et de la bureaucratie. Beaucoup de gens de droite ont sans doute l’impression d’avoir remporté une bataille en votant pour le « leave ».
Exact. Le temple s’effondre parce que les Grands Prêtres du Capital sont tellement fiers d’avoir créé la mondialisation qu’ils peuvent aujourd’hui se payer six yachts au lieu de deux par le passé. Sauf que désormais, le palais est assiégé par le peuple armé de fourches et de flambeaux et ces Grands Prêtres se demandent, « qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » Ce qu’il se passe, c’est qu’il y a des gens qui sont dépités par un système qui ne pourra pas se soigner tout seul. Et ils croient, à raison, que les gens qui possèdent et contrôlent la planète ne méritent pas ce rôle.

Quel genre de public assistera à votre concert de Cleveland ? Les opposants à Trump ou les soutiens du Parti Républicain ?
Pour nous, en tant que Prophets of Rage, le plus important est de faire le meilleur concert de rock’n’roll possible. On n’est pas à une conférence universitaire, et il ne s’agit pas non plus de distribuer des tracts devant Starbucks. On doit balancer le rock’n’roll le plus violent possible et faire cracher les murs de Marshall. Et on a les deux MCs les plus géniaux de l’histoire de la musique avec nous [Chuck D de Public Enemy et B-Real de Cypress Hill]. Sans ça, on n’obtiendra rien. Et c’est parce que la musique a un véritable pouvoir qu’on parle aujourd’hui encore des chansons de Rage Against The Machine, 25 ans après la sortie du premier album. Alors il faudra vraiment qu’on assure. Bon, et puis avec ce politicien scandaleux qui vient organiser à Cleveland son propre couronnement, la colère des habitants s’est largement amplifiée et répandue. Il y a aujourd’hui des millions de personnes pour dire « on ne laissera pas faire ça. Pas ici, pas maintenant. On ne va pas rester les bras croisés à ne rien faire, et laisser ce populiste raciste se balader librement dans notre ville ». Ce sont eux, les gens pour qui nous allons jouer.

Les précédents candidats républicains étaient moins ouvertement racistes que Trump dans leurs discours, mais ils l’étaient tout autant dans leurs idées. Aujourd’hui, le fait que quelqu’un comme Trump soit aussi près du pouvoir a-t-il eu un impact sur la création des Prophets of Rage ?
Bien sûr, Trump est un leader raciste. Plus c’est flagrant, plus c’est facile de le combattre. Le racisme et la misogynie ne sont jamais vus comme des tares au sein du Parti Républicain. Jamais. Les élites républicaines se sont offusquées non pas du racisme et de la misogynie de Trump, mais de sa tendance à ne pas suivre l’orthodoxie républicaine concernant, par exemple, les gays dans l’armée, ou tout autre sujet sur lequel il aurait un point de vue trop new-yorkais, « trop urbain » [référence à une interview donnée par Trump en 1999]. Et c’est uniquement ça qui les scandalise. Pas le fait que Trump prône ouvertement le nettoyage ethnique des États-Unis par l’expulsion de 11 millions de gens, la construction d’un mur et l’interdiction du culte musulman. C’est ni plus ni moins une politique de nettoyage ethnique. Et ça, les Républicains s’en foutent. Ils sont énervés parce que Trump prend position contre l’orthodoxie culturelle du parti.

On peut donc imaginer que les Prophets of Rage pourront avoir un impact beaucoup plus profond qu’avant, quand les candidats habillaient toutes leurs idées nauséabondes dans un langage poli ?
Le discours ouvertement raciste de Trump a tendance à déformer et souiller les préoccupations légitimes de ceux qui le soutiennent. On peut appeler ça du fascisme. Ou du populisme, qui exacerbe la haine des gens avec l’idée que « le problème, ce sont les gens de couleur ». Au lieu de dire « non, le problème, c’est le système bancaire ». La raison pour laquelle les Blancs des Appalaches n’ont rien à manger le soir n’a rien à voir avec les immigrants mexicains ou les professeurs d’universités syriens qui enseignent à Georgetown. C’est uniquement parce que la classe dominante définit ces personnes comme des parias de la société américaine.

Une dernière question : est-ce que tu penses que Paul Ryan [haut cadre de l’aile droite du Parti Républicain, qui a cité Rage Against The Machine parmi ses groupes préférés] va se pointer à Cleveland pour voir le concert ?
Il sera toujours le bienvenu à nos concerts ! Et s’il achète un ticket, je promets d’en reverser 100 % des recettes à un syndicat de travailleurs local.


Alex Robert Ross and Nik Kosieradzki sont sur Twitter.