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Totalement snobée en France, Colleen trace depuis dix ans une voie royale à l’international

La musique de Colleen ressemble à une étrange équation, à un entrelacs d’effets ou se mêlent depuis plus d’une décennie pédales, clarinette, guitare, samples, piano et viole de gambe, son instrument fétiche. Au début de chaque disque, se construit un dispositif qui intègre ou rejette instruments et technique jusqu’à obtenir ce son si particulier où boucles mélodieuses et couloirs d’échos se répondent au terme d’un échange délicat.

C’est derrière ces nombreuses recherches que se cachent Cécile Schott, multi-instrumentiste française basée depuis plus de dix ans à San Sebastian en Espagne, où elle compose depuis son studio une oeuvre saluée à l’étranger et vivement ignorée dans nos contrées. Pour tenter de réparer (un peu) cette injustice, nous sommes allés passer un moment avec elle pour discuter de son parcours, où l’intimité du studio occupe une place centrale et où l’ombre d’Arthur Russell et de la musique Jamaïcaine n’est jamais très loin.


Noisey : Tu as fais des tournées un peu partout dans le monde, tu es relayée par d’importants médias étrangers comme Fact ou Pitchfork, pourtant en France tu as l’air encore aujourd’hui cruellement méconnue. Comment peux-tu expliquer ça ?
Colleen : La France c’est toujours un peu bizarre. Avant que le disque sorte, tu n’arrives pas vraiment à trouver des dates, et comme j’ai plein de concerts prévus ailleurs, je suis un peu épuisée, et je ne pense pas spécialement à chercher des dates en France. Si ça devait décoller ici, ce serait déjà fait. C’est peut être lié à des questions de label au départ, il y aurait peut être eu plus de visibilité en France avec un label français, mais comme la contrepartie aurait été d’en avoir moins à l’étranger, je ne regrette absolument pas. Après, est ce que c’est le fait de faire une musique qui ne tombe pas vraiment dans une case ? Il y a des réseaux de salles en France mais pour des choses plus ciblées, des choses expérimentales mais improvisées, ou alors il faut que ce soit de la pop, ou plus du rock, ou du hip-hop. Peut-être qu’à l’étranger, c’est moins cloisonné.

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J’ai lu dans ta bio que ton sixième album, A flame my love, a frequency, sorti en octobre 2017, avait démarré avec la découverte d’un synthé, d’une marque appelée Critter And Guitari . Tu as par la suite acquis le pocket piano de cette marque, ils ont un design et un son très particulier. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Eh bien, j’avais vaguement l’idée de me trouver un tout petit synthé portable parce que je fais mes tournées toute seule en avion. Pour des territoires grands comme les États-Unis, c’est un peu ma seule option. Donc, avant de partir, il y a toujours cette idée que le matos ne doit pas dépasser 23 kilos.

Par contre, le monde des synthés était un monde que je ne connaissais pas vraiment, je ne savais pas trop par où commencer. En fait, il y a un producteur de musique électronique qui s’appelle King Britt, qui fait de la musique depuis longtemps à Philadelphie et qui est fan de mon travail. Il m’a contacté un jour. C’est grâce à lui que j’ai découvert les pédales d’effet de chez Moog, qui jouent un rôle aussi important que les petits claviers de Critter And Guitari dans le disque. On s’est rencontrés en 2015 aux Etats-Unis, il m’a invitée dans son studio pour que je vois un peu comment c’était, et puis là je vois ce tout petit clavier et je lui demande ce que c’est. Il m’a fait une démonstration et j’ai trouvé ça génial. C’est basique mais léger comme deux boîtes d’allumettes. J’en ai acheté un, et de fil et aiguille, mon but était de fabriquer des rythmes un peu inhabituels, en faisant passer ce pocket piano par une pédale de Moog.

En fait ça n’a pas marché, je voulais continuer de jouer de la viole dessus, mais le mélange ne prenait pas. À côté, j’ai commencé à écrire des petites mélodies, et je me suis retrouvée avec ma config’ de base qui est le pocket piano, le delay de chez Moogerfooger et la pédale de filtre. Finalement, au bout de huit mois peut-être, il avait une promotion sur un autre synthé un peu plus grand, avec des sons différents, je l’ai pris et à partir de la, j’ai pu faire la deuxième partie de l’album.

De manière générale, ce dispositif où tu cherches des connexions semble se répéter à chaque album avec un processus différent. Qu’est-ce que tu aimes là-dedans ?
Sur ce disque, c’est la première fois que j’explore une manière un peu plus compliquée de connecter les instruments entre eux. Sans trop rentrer dans les détails, j’utilise beaucoup la stéréo, c’est-à-dire les deux sorties des pédales ; soit pour l’une c’est une sortie droite/gauche, et pour l’autre une sortie delay et mix. Ça me permet d’avoir une ouverture qui sans ça, serait difficile à obtenir avec un dispositif aussi ramassé.

Par le passé, je faisais pas ça, parce que j’avais tendance à connecter des pédales en chaine et à jouer sur le sampling, le delay. Mais ce qui est certain c’est que je n’ai pas forcément pour but de me renouveler à chaque disque. Pour Captain Of None, mon dernier album, j’en étais quand même très contente, j’avais la sensation d’avoir trouvé une combinaison unique au niveau sonore et en théorie j’aurais voulu continuer, mais quand on se met au travail sur un nouveau disque, on voit tout de suite si la configuration peux encore donner quelque chose, et je pense que dès que quelque chose a l’air forcé ou si j’ai l’impression de me répéter, de faire la même chose mais en moins bien, je sais que ce n’est pas la peine.

Après, il y a toujours des directions qui se préparent. Par exemple les périodes de tournées, on rencontre des gens, on observe le matériel, on discute avec des musiciens, et on se dit qu’on ne connait pas ce truc de « matos », mais que ça a l’air super. Et de fil en aiguille l’avenue qui parait bloquée nous fait bifurquer vers autre chose. Mais ce n’est jamais totalement nouveau. C’est moi qui fais la musique, j’ai une manière d’écrire qui m’est particulière, j’ai un type de son que j’aime. Ce qui est vraiment excitant, c’est de se dire que je fais un album de musique électronique. Mais j’ai envie que ce soit très chaleureux, alors comment obtenir ça avec mes machines ? C’est une exploration que j’adore de plus en plus, être dans les paramètres, la production du son.

Tu es passée par énormément d’instruments et de pratiques depuis ton premier album. Sampling, guitare, une commande sur les boites musicales où tu incorpores des extraits de films. Quelle est ta formation musicale ?
Je n’ai pas vraiment de formation. J’ai commencé a jouer de la guitare acoustique à quinze ans, pris des cours pendant deux ans avec un prof dans ma petite ville d’origine à Montargis. Je suis rapidement passée à la guitare électrique, qui est mon premier coup de coeur en tant qu’instrumentiste. J’étais toujours collée à ma guitare de l’âge de seize ans à dix-huit, dix-neuf ans. Par la suite, il a fallu du temps. Mon évolution est parallèle à celle de la technologie, sa disponibilité, ses prix. Mais j’ai toujours été assez obsédée par l’idée de sculpter un son, faire la boucle parfaite, pitcher, ralentir. Finalement il y a quand même des liens entre tout et je pense surtout que plus je vieillis, et plus je vois que chaque étape est nécessaire à la suivante.

Tu as posté récemment sur ton Bandcamp un morceau d’orgue que tu as composé en 1995 ou tu racontes que tu as ralenti la cassette en expliquant que c’était ton premier geste de productrice. Ce besoin d’expérimenter ne t’a jamais quitté finalement ?
Je me souviens vraiment de l’émotion que j’avais ressenti, très exactement la sensation d’écouter une chose que tu as faite, mais tu as l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui l’a fait. Quand j’ai cette sensation là, je sais que je tiens le bon bout. J’ai besoin de me dire que si c’était quelqu’un d’autre qui l’avait fait, j’adorerai. Être surpris par quelque chose que tu as obtenu. Ici, c’était ce petit orgue tout pourri qui faisait plein de bruits, et puis le fait de le ralentir, ça a donné complètement autre chose. Et c’est cette surprise là que j’essaye de retrouver à chaque fois.

https://soundcloud.com/factmag/fact-mix-494-colleen-may-15

Tu as acquis ta viole de gambe en 2006 selon ton site. Tu l’as décrit comme “l’instrument de tes rêves”, quelque chose que tu voulais depuis très longtemps. Pourquoi ? Est-ce que tu peux présenter cet instrument ?
J’ai découvert le film Tous les matins du monde quand j’avais quinze, seize ans. Et j’ai adoré le son, ça m’avait vraiment touchée, alors que dans ma famille on n’écoutait pas vraiment de musique baroque ou classique. Mais venant d’une famille avec des revenus très moyens, n’ayant pas de formation classique et vivant dans une toute petite ville, c’était totalement inaccessible. Quand je me suis mise à jouer du violoncelle, vers vingt-cinq ans, je suis allée chercher des cordes de rechange pour mon violoncelle et quelqu’un a amené une viole de gambe à vendre. En la voyant je me suis dit que je pouvais passer le pas. Je venais de devenir prof d’anglais donc j’avais de l’argent pour la première fois de ma vie. À partir de là, j’ai fait des recherches pour trouver un luthier qui me conviendrait et j’ai commandé ma viole.

On se limite souvent nous-même. En réalité, il y a très peu de choses ou très peu de gens qui peuvent limiter ce qu’on peut faire dans la vie, souvent on pense nous-même qu’on n’est pas capable de, qu’on n’a pas le droit à, accès à, et cet achat ça a été un peu le déclic de me dire : je fais ce que je veux. J’ai pris ensuite des cours pendant un an pour me donner une base, et ça a été une libération.

Qu’est ce que tu aimes tant dans la viole ?
C’est difficile à décrire, mais il y a une expression qui dit que la viole c’est le son des voix humaines, et vu que ce sont des cordes en boyaux et non pas en métal, il y a une qualité sonore qui est différente. Il y a plus de chaleur, plus d’harmonique, l’instrument est fait différemment, ça résonne énormément. Et le fait qu’il y ait entre six et sept cordes, ça la rapproche de la guitare. Quand je l’ai modifiée pour faire mon quatrième et mon cinquième album, c’était une manière pour moi de rassembler la guitare et la viole, ce petit instrument hybride qui a été génial en terme de malléabilité.

C’est comment de mélanger un instrument de ce type avec une approche plus moderne ?
Je ne sais pas trop comment te répondre, un instrument c’est juste un outil. C’est comme pour les instruments électroniques, c’est une erreur de pas les considérer comme des instruments à part entière. L’instrument c’est uniquement ce que tu en fais. Tu n’as qu’a voir un instrument comme la guitare, les 10 000 manières dont ça peut être joué, sans compter la production et son influence.

C’était quelque chose de très naturel pour moi la viole, le fait qu’elle soit petite, que je puisse l’emmener en voyage facilement, ça a été une relation. Une relation comme si elle était une amie, qui m’aide à faire des choses. Et je pense que cette relation n’est pas finie. C’est très tactile, comme tout ce que je fais qui commence toujours par une expérimentation dans mon studio. Quand je trouve quelque chose, je note et j’explore, je vais plus profond.

Tu commences à chanter sur The Weighing Of The Heart ? Comment se passent tes débuts au chant ?
En fait, ça a eu lieu après un break qui n’était pas si long que ça. Le moment où j’ai arrêté de faire de la musique a duré un an, mais ça parait plus long de l’extérieur. Et ça m’a paru plus long parce que mon dernier album était de 2007, j’ai fait mon break à partir de 2009, j’ai senti que j’avais besoin d’une coupure. Dès 2010, j’ai essayé de m’y remettre mais la machine était un peu rouillée, j’avais un peu peur. En 2010, après avoir observé un silence presque total pendant un an, j’ai eu cette envie naturelle d’essayer de chanter. Et en fait, c’est assez physique, quand j’ai envie de jouer d’un truc ou de chanter, c’est une espèce de désir qui ne s’explique pas vraiment.

Ça s’est passé naturellement, j’ai mis du temps a trouver ma voix, je n’ai pas pris de cours donc ça a été un peu laborieux, mais j’ai quand même un peu douté jusqu’au dernier moment, parce que je n’ai fait écouter à personne et j’ai chanté toute seule pendant deux ans, avant que quiconque n’entende le son de ma voix. Ça a été un gros changement, et maintenant je me sens à l’aise avec l’aspect instrumental de ma musique et l’aspect chanté quand il a lieu d’être. À ce moment la, je dois mentionner la musique d’Arthur Russell dont j’ai lu une biographie en 2010 juste avant mon déménagement en Espagne, au moment où je voulais m’y remettre. Mais je manquais un peu de courage pour affronter le fait de refaire de la musique, et en fait j’ai plongé dans sa musique, j’ai adoré sa biographie qui est excellente. Arthur Russell c’est le musicien qui ne s’est pas mis de barrières, qui chantait, qui faisait de la musique instrumentale, qui a fait des choses très calmes, d’autres avec plein d’effets, qui a fait des choses dance, pop. Même si j’écoute moins sa musique maintenant, parce que je l’ai tellement écouté que j’en ressens moins la nécessité, c’est le modèle de musicien que j’essaie d’être.

J’imagine que World Of Echo a du être un disque important pour toi.
Oui, je l’adore. World Of Echo c’est l’album qui m’a convaincu que les effets ne sont pas un vernis cosmétique qu’on met sur les instruments, ça donne une forme à la musique et aux compositions, et dans l’idéal, ça fait un avec l’instrument et ça devient inséparable. Ça m’a fait voir qu’un instrument nu ça peut être très bien, mais qu’un instrument avec plein d’effets, ce n’est pas forcément un cache-misère.

Ensuite est venu s’ajouter le fait que j’ai écouté de la musique jamaïcaine non stop pendant deux ans, et là ça a parachevé cette réalisation que la production n’est pas juste une décoration autour d’instruments. Tu construis le morceau par le biais d’outils de productions. Le dernier disque que j’ai fait est simple au niveau des accords, il n’y a rien de virtuose mais tout se passe avec les jeux sur le delay, les filtres, le panning, c’est le traitement sonore qui participe à fabriquer le morceau.

Quand as-tu commencé à écouter de la musique jamaïcaine ?
En 99, j’ai déménagé à Paris, je faisais mes études d’anglais à la Sorbonne Nouvelle rue de l’Ecole-de-Médecine, juste à côté de Gibert Joseph. J’ai commencé à écouter les disques qui étaient aux bornes d’écoute, c’était le début de la sortie des séries de Soul Jazz 100% Dynamite.

Avec le peu d’argent que j’avais, de temps en temps j’en achetais une, j’avais le frère d’une amie qui de temps en temps m’en donnait une, et par ailleurs j’ai commencé à arpenter les bibliothèques de Paris, où j’ai fait le plein de musiques jamaïcaines.

La seule différence quand j’ai commencé à faire les disques de Colleen, c’est que c’était un univers plus calme, je voyais pas du tout comment réunir ces deux univers. J’écoutais pas mal de hip-hop à l’époque, et le côté très cyclique des machines et des samples, on le retrouve dans mon premier album, même si ça ne ressemble pas exactement à du hip-hop. Le dub c’est comme une musique jouée, avec beaucoup de rythmiques, de lignes de basse. Maintenant j’ai des éléments rythmiques qui sont présents dans ma musique, mais je n’ai jamais joué de batterie, il y a jamais eu de ligne de basse dans ma musique à part sur Captain Of None. C’était une musique que j’adorais, mais c’était pas incorporable. Alors que quand j’ai commencé à jouer de la viole de gambe, je me suis achetée une pédale Octaver qui permet de faire des lignes de basse avec n’importe quelle instrument. Je me suis acheté le Moogerfooger que j’utilise encore sur ce disque et la tout à coup, c’est devenu l’influence principale. Avec la viole de gambe qui n’a rien de voir avec la musique jamaïcaine, je me suis dit que je n’allais pas avoir l’air ridicule, et que ce ne serait pas du plagiat, d’une petite française qui essaye de faire du dub.

Comment ça se passe au moment de l’écriture de tes paroles ?
Ça reste assez difficile, peut-être moins pour Captain Of None où j’avais des choses à exprimer qui sont venues plus facilement. Alors généralement j’ai un thème plus ou moins établi avant de faire un disque, je ne fais pas de concept album, mais il y a eu une unité que j’ai déjà en tête.

Généralement, quand je fais un disque, j’ai toujours un petit carnet avec moi, j’essaye aussi souvent de lire de la poésie. Avant d’écrire mes premières paroles, je me suis lue l’intégrale d’Emily Dickinson. Dès que j’ai une idée, une image, je fonctionne comme ça, ce n’est pas une narration précise. Je pense qu’il est très difficile de chanter avec beaucoup de mots, il faut beaucoup de talent. L’idée c’est toujours comment faire pour que ce ne soit pas banal et pour ne pas trop découvrir de ma vie privée. Mes albums sont assez intimes finalement, faire de la musique c’est quelque chose d’intime pour moi, je n’ai jamais enregistré dans un studio, je préfère être dans l’intimité de mon studio à moi, pouvoir rater mes prises, les refaire 10 000 fois si je veux, sans avoir une oreille extérieure.

Et du coup pour les paroles, c’est un peu pareil, je vais travailler jusqu’à ce que je sache si ça passe ou pas. C’est comme la musique, il y a même des fois où j’écris des paroles plus tard et je les enlève. C’est en trop, ce n’est pas nécessaire. Cet album-là, c’est un album sur l’angoisse de la mort, le thème de la maladie, ce sont des sujets sur lesquels il est très difficile de parler, donc j’y suis allée par petites touches.

Comment t’es venue ce thème qui s’oppose un peu à Captain Of None qui apparaît comme plus lumineux ?
Il y avait quand même des thèmes sombres dans Captain Of None. Moi je suis assez obsédée par le cerveau humain, pourquoi on est et on nait, qu’est-ce qui fait que par moments on débloque. Sur le nouveau disque, ce qui s’est passé, c’est qu’une personne de ma famille est tombée malade en septembre 2015, et en fait au retour d’une visite pour aller la voir, il fallait que je passe par Paris pour faire réparer un archet de viole, donc j’avais à choisir une après-midi, le hasard a fait que c’était le vendredi 13 novembre. Je suis allée le déposer rue des Trois Bornes, je suis passée par la rue de la Fontaine aux Rois vers 17h, je suis retournée vers mes amies, on nous a appelées pour nous dire qu’il se passait quelque chose de grave, et je suis repartie en Espagne le lendemain. J’ai repensé à cette personne de ma famille qui était gravement malade, à tout ce qui venait de se passer, à quoi était dû le hasard d’être passée à Paris pour même pas 24h, alors que je n’y suis jamais, à Paris.

Mais j’ai été angoissée, je pensais tout le temps à la mort et j’avais prévu de faire un nouveau disque, j’avais déjà fait le travail préparatoire avec le pocket piano, je savais vers quel univers sonore j’allais. Au lieu de broyer du noir, je suis retournée faire mon album, et forcément, au niveau des paroles ça ne pouvait être que lié à ça. Et par ailleurs, ce qui était intéressant, c’est que j’avais besoin d’une musique en mouvement. C’est ce que j’aime avec la musique électronique, c’est qu’on peut jouer avec des paramètres qui donnent l’impression d’avancer constamment, et tous les premiers morceaux sont les plus gais du disque, mais les morceaux les plus sombres je les ai faits quand ça allait mieux. Sur le coup, j’avais besoin d’une thérapie, de couleur. J’ai commencé à la même époque à faire mes propres vêtements, et pareil, j’ai pris des couleurs claires. L’art, ça peut aider à créer des réalités parallèles, qui font quand même partie de la réalité. Ça n’empêchera jamais rien de terrible d’arriver, mais on exprime quand même quelque chose avec son art. Moi je veux exprimer de la lumière, du mouvement, du mouvement dans le calme.

Alors, pourquoi tes propres vêtements ?
Ça faisait longtemps que ça me tentait, une amie à moi n’avait plus besoin d’une petite machine à coudre Ikea vraiment pas chère, je me suis dit que je pourrais essayer, je ne trouvais pas les vêtements que je voulais dans le commerce, quand je voyais quelque chose de beau, ça coûtait 400 euros. J’avais vraiment envie de vêtements de couleur claire, et finalement trouver des vêtements de la couleur qu’on désire dans les magasins ça n’est pas forcément évident, parce qu’il y a une uniformisation de tout dans les magasins. Je me suis dit que j’allais apprendre à coudre, choisir mes tissus, de préférence des tissus de qualité, pas synthétiques, bio. Ça participe aussi d’un mode de vie qui est assez anti-consommation, minimal, même dans le matériel, je suis pas du tout dans l’accumulation de matos. En général, j’adore apprendre, je trouve ça fascinant de penser qu’on peut ne pas du tout connaître quelque chose, et puis tout apprendre. Et voilà, en deux ans, j’ai fait tous mes propres vêtements, c’est gratifiant. J’ai tout appris par les blogs, je n’ai pris aucun cours.

Quels sont tes prochains projets ?
Je pense prendre un break au niveau des concerts, j’ai beaucoup travaillé ces dernières années, l’idée c’est de me reposer, de recharger un peu les batteries.

Cela dit, j’ai été invité par Moog dans leur usine, c’était il y a une dizaine de jours en Caroline du Nord, pour une session vidéo et en fait je suis reparti avec trois MoogerFooger différentes, et donc vraiment j’ai été hyper enthousiaste par rapport à ces trois pédales. Donc je crois que j’ai déjà la direction du prochain disque qui sera encore électronique, mais qui aura encore plus loin dans l’exploration du son. J’ai plus de matériel, j’ai rencontré des gens qui font du synthé modulaire, donc il y a peut-être une possibilité que je me dirige vers ça.

Comment ça se passe de faire des tournées seule ?
C’est difficile au point de vue physique et psychique, tout est calé, mais il n’y a personne pour te dire que tu dois prendre ton avion, prendre ton taxi à telle heure, c’est moi qui réserve l’hôtel, les avions. C’est toujours avoir dans son téléphone les adresses dont on a besoin, c’est donner la liste des invités, faire son soundcheck comme il faut, avoir assez d’énergie pour faire son concert, rentrer à 1 heure du matin en taxi seule dans des villes qu’on ne connait pas, se taper des heures d’attente dans les aéroports, c’est beaucoup de choses qui ne sont pas vraiment glamour, et c’est pour ça qu’il faut se ménager. Moi j’ai 41 ans. Après, les rencontres humaines et le plaisir de jouer, quand un concert se passe bien, c’est un privilège. Mais il faut que ça reste un moment privilégié. C’est des moments ou tu es seule avec toi-même, tu réfléchis, et tant que c’est des moments qui sont choisis et non subis je suis contente.

Colleen a sorti son dernier album A Flame My Love, a Frequency en octobre dernier sur Thrill Jockey.
Elle sera en concert au festival Nuits Sonores à Lyon le 10 mai prochain.

Frédéric Gendarme est sur Noisey.