Je suis Saint-Gillois mais pour des besoins techniques, ma playlist est réunionnaise. La Réunion est dans l’absolu, idéalement placée : loin de tout. Saint-Gilles-les-Bains se situe à l’Ouest de l’ile – nombre d’habitants : 3500. En gros, c’est une ville connue pour son port, sa surconsommation de weed et de pain bouchon gratiné sur les plages, ses vagues jadis propices à la pratique du surf – les attaques des squales ont depuis tout anéanti –, ses bars qui laissent boire des gamins de 15 ans et ses murs remplis de graffs signés DKPEZ et TEA crew.
FUTUR CREW
Ces mecs ont fait exploser la sphère du hip-pop réunionnais en réunissant bon goût – à dose minimale – et mauvais goût (mauvais mais drôle) pour obtenir la recette parfaite. A cette époque, la plupart de mes potes et moi allions au collège en bus – 30 minutes de trajet. Et le deal était simple : se faire mettre le chauffeur dans la poche dès le début de l’année pour qu’il accepte de jouer le CD qu’on lui tendait le matin. Le son de l’autoradio des bus scolaires est puissant mais la qualité est assez merdique – seul du rap réunionnais qu’on peut qualifier de lourd pouvait répondre aux exigences des baffles. Alors quand on arrivait à mettre un morceau de Futur Crew, et spécialement « Mon Cabo Lé Magik » (traduction : « ma bite est magique »), la journée commençait nickel. A nou lé futur crew allé fé fuck a ou ! (Un des membres fondateurs du groupe, DKpit, a depuis réussi à s’exporter en réalisant un clip pour Seth Gueko et Orelsan. Crédibilité street : point mort.)
Videos by VICE
BACKSTROKE
Il y a aussi une scène metal hardcore ici, c’est l’autre histoire de la musique réunionnaise. Backstroke, ce n’est pas « dos crawlé » en anglais, il faut le prendre au sens le plus familier du terme – le sens que l’Angleterre profonde lui donne, celui qui est utilisé dans le milieu métallurgique et qui signifie « retour de force ». Et « retour de force », ça leur va en effet carrément mieux que « dos crawlé ».
CAMELEON
Pour les besoins historique de l’article, je suis obligé de mentionner Caméléon qui jouait de la musique typiquement locale, voire endémique. Entre yéyé et bossa nova, le séga old school réunionnais est d’une pureté comparable à l’herbe qui fait rire et qui pousse sur le sol volcanique de l’ile.
MAXIMILIEN
Qui habitait l’Ouest de l’ile et ne connaissait pas Max ? Qui ?! Le Mystical Marginal (comme on l’appelait) déambulait et dormait dans les rues de Saint-Gilles. D’après la légende, il était devenu fou après avoir fumé des graines de datura. On le voyait tout le temps, déambuler calmement avant de partir dans une trance mystérieuse en plein milieu des rues. La légende dit égalment qu’il fut aussi doué à la guitare que Jimi Hendrix, mais il n’a jamais partagé sa musique. Extrême sensibilité ou fragilité psychique ? Il est mort fin 2014, puis ressuscité par la postérité saint-gilloise.
OUSA NOUSAVA
Le zamal c’est la weed réunionnaise, et elle est très bonne et pas chère. Quand on grandit sur une ile entourée d’océans avec un soleil tropical qui brûle la moindre parcelle de peau dénudée, on est presque automatiquement obligés d’appartenir au dogme hippie. J’ai réussi à y échapper mais certaines tonalités claires et douces ont tout de même réussies à s’incruster dans le tunnel de mes oreilles et les fissures de mon cerveau.
WARFIELD
La musique réunionnaise est assez axé coutumes locales – séga, maloya avec des instrus comme le kayamb, le tambour malbar, le matalon et le bobre. Soit l’exacte opposée des préoccupations de Warfield qui oeuvrait dans la scène metal-death, plutôt restreinte à l’époque – et elle l’est toujours malgré l’émergence de groupes qui enchainent les concerts locaux et métropolitains, comme Warfield. A la Réunion, on voit surtout des metalleux à Saint-Denis ou dans les hauteurs – soit loin, très loin des plages de surfeurs.
K-LIBRE 420
Ce morceau a bonne place dans le top 3 des tubes phares d’une grande partie des mecs ayant vécu à la Réunion dans les années 2000. C’est le seul son local qui m’a marqué au collège. Le flow de K-libre était sans bavure. Une tempête arrêtée qui blastait dans les enceintes de ma radio pourrie datant de mes 12 ans – ce qui donnait un son encore plus obscur. K-libre était notre Ideal J.
LE RHUM CHARRETTE
Une fois, j’ai vu deux mecs saouls se battre à coups de sabre à canne pour savoir qui aurait le droit de boire la flasque de rhum local qu’ils avaient acheté. Les flics ont fini par se pointer pour les séparer. C’est ça le rhum Charrette. Mais c’est aussi une track à part entière, et ce pour deux raisons. La première c’est qu’après quelques verres le cerveau ne maitrise plus le corps – et les oreilles plus particulièrement – alors chaque son dégueulasse qui passe dans un bar miteux devient un morceau passable et presque dansant. La deuxième raison est qu’à forte dose, le cerveau ne maitrise plus l’esprit, ce qui donne lieu à des hallucinations sonores d’intensité moyenne. C’est la boisson locale à l’état pur. En fait, c’est la plus grosse exportation de l’ile avec Houellebecq.
MICHEL HOUELLEBECQ
Transition. Né à Saint-Pierre, au Sud de l’ile.
« Playa Blanca » est un morceau poético-érotique de Houellebecq joué avec son groupe de baluche, soit plage blanche, alias Zorey land, alias plage de Saint Gilles, alias Les Roches Noires. Tu me suis ? Avec un soupçon de mauvaise foi, La Réunion se résumerait exactement à ça – entre les images du clip et les lyrics qui mentionnent les touristes germaniques. Quand j’y habitais, les touristes allemands affluaient dans l’Ouest chaque semaine avec leurs sandales à scratch confort été. Leur peau blanche était alors rageusement ponctuée de coups de soleil – l’inaptitude de leur épiderme à s’adapter aux UV nous faisait marrer. Schadenfreude !
LE MANAPANY SURF FESTIVAL
C’est un festival mélangeant surf et musique organisé tous les ans à la Réunion. Je me souviens de nos potes bodybordeurs tournoyaient comme les spirales de Van Gogh au-dessus des vagues alors que nous on restait posés sur la plage à boire de la Dodo (bière locale), ou faire du skate entre non-surfeurs. Et tout ça en écoutant les live. C’était un esprit Lords of Dom-Tom tu vois le délire. Il a été raccourci en Manapany Festival en 2014, toujours à cause de cette foutue crise requin.
Felix ne craint aucun requin, qu’ils soient marteaux ou de la finance. Il a son propre site Internet.