En tant que partenaire de Black History Month Belgium, VICE vous propose une série d’articles en accord avec les thématiques mises en avant cette année : le passé et le futur des cultures noires.
Inévitablement, tout travail artistique est teinté de l’identité de la personne qui le pense. C’est à travers la photo que des artistes noir·es comme Dandyfuego, Agneska ou Nafissa ont trouvé le moyen de transmettre leurs messages liés à l’identité mais aussi de trouver leurs marques dans une société qui ne les représente pas forcément.
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VICE leur a parlé de leurs motivations et de leur lien avec l’Afrique.
Joe Diensi (@dandyfuego), 29 ans
VICE : Qui se cache derrière Dandyfuego ?
Dandyfuego : Je m’appelle Joe, je suis né et j’ai grandi à Anvers et j’ai des racines congolaises. Je me suis mis à la photo en 2016 via des potes quand je travaillais pour un magazine. J’ai d’abord commencé par le numérique, mais j’ai rapidement découvert que mon truc, c’était l’argentique. Ça donne une autre dimension et plus d’authenticité à l’image et développer les photos rend l’argentique plus passionnant.
Le terme « dandy » vient d’un personnage que j’ai vu un jour à la télé. Je trouvais que c’était assez accrocheur. En plus, il faisait gaffe aux détails, un peu comme moi. Je prête aussi beaucoup attention aux injustices sociétales. Je veux que le monde soit meilleur et que ça se ressente à travers mon taf. Je suis quelqu’un d’idéaliste.
Quel propos tu défends via la photo ?
Ce qui me préoccupe dans mon travail, c’est la représentation des personnes noires. Depuis des années, on voit circuler des images de Noir·es humulié·es, mutilé·es et assassiné·es. J’ai toujours ressenti le besoin de raconter des histoires, plus particulièrement celles de personnes pas ou trop peu entendues. Et ça, je le fais par le biais de la photo.
« Je veux donner un autre regard sur le récit de la douleur et de l’oppression liée à notre histoire, en la rendant plus belle. »
Je veux donner un autre regard sur le récit de la douleur et de l’oppression liée à notre histoire, en la rendant plus belle. Je veux briser cette image déformée en soulignant la beauté, la force et la polyvalence des personnes noires. Dans mon travail, j’utilise principalement des modèles noir·es. En utilisant l’éclairage adéquat, en les faisant se sentir à l’aise lors d’une séance photo mais aussi en montrant à la fois leur vulnérabilité et leur force, leur teint de peau foncé prend toute sa valeur.
Avec mes photos, je pars toujours de ma propre perception de mon propre monde. Un monde qui, malheureusement, reçoit trop peu d’attention des médias grand public. Mais si une personne qui a aussi des racines africaines peut s’y reconnaître, alors j’ai atteint mon objectif. Par exemple, le port de nœuds bantous par les femmes noires : cette coiffure est commune, c’est une façon de soigner les cheveux. En la photographiant, je la normalise. Du coup, je peux présenter aux gens certains aspects de mon monde qu’ils ne connaissent pas.
C’est quoi ton lien avec le continent africain ?
Je dis toujours que je suis belge mais que j’ai été élevé comme un Congolais. Je pars toujours de mon propre univers. Cet univers, il est plein d’éléments qu’une personne d’origine africaine reconnaîtra. Par exemple, de manière générale, nos pères (congolais) ne regardent jamais directement dans l’objectif sur les photos de famille. Ils regardent plutôt à mi-chemin. C’est ce genre de petits détails que je veux faire ressortir dans mon travail, pour qu’on comprenne, en tant que spectateur·ice, que c’est typique d’une famille africaine.
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Agneskena (@agneskena et @agneskena_visuals), 26 ans
VICE : Qui est Agneskena ?
Agneskena : J’ai toujours considéré la photo comme un hobby mais aussi comme une sorte d’autobiographie qui m’aide à construire mon identité. Agneskena et Agneskena_visuals, c’est une même personne. Le compte Visuals a juste un esprit un peu plus ouvert sur le monde extérieur. Il est stimulé par la nature, les gens et plein d’autres choses. Agneskena, c’est plutôt la recherche de soi-même. Je suis fière de porter ce nom parce que c’est celui de ma grand-mère, une personne que j’admire beaucoup. Je suis donc aussi très fière que ce nom puisse s’associer à la beauté et à l’art.
Quel est ton lien avec le continent africain et comment ça se reflète dans ton travail ?
Je suis née ici, mais j’ai grandi avec les valeurs et les normes du Congo. En regroupant ces deux cultures, on peut en faire quelque chose d’unique. Dans ma série Tinted Souls, j’ai remarqué que je cherchais des gens qui me ressemblaient. Le genre d’identité commune que je n’ai pas forcément trouvée chez les gens dans ma jeunesse. En vieillissant, j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui me comprenaient. Inconsciemment, je pense que je cherche des jeunes qui ont une culture différente et qui sont aussi intéressé·es par l’art.
Comment donner de la visibilité aux jeunes créateur·ices noir·es ?
Je pense que c’est important de savoir ce qu’on recherche à travers notre art avant de vouloir atteindre quiconque, peu importe l’origine. C’est important d’être conscient·e de ce qui est centre de sa pratique et pourquoi.
« J’ai toujours considéré la photo comme un hobby mais aussi comme une sorte d’autobiographie qui m’aide à construire mon identité. »
Si on montre cet amour pour nos racines, je pense qu’on peut attirer les bonnes personnes ; des personnes qui ont les mêmes racines ou qui peuvent simplement partager ce sentiment avec nous. Je pense qu’on ne devrait pas avoir peur de se soutenir les un·es les autres jusqu’à ce qu’on s’aime pour ce qu’on accomplit. J’ai besoin de savoir qu’il y a une femme ou un homme qui me ressemble, qui comprend d’où je viens et qui peut apprécier mon art.
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Nafissa Yao (@nafiyaofemmephotographe et @women.we.share), 41 ans
VICE: Salut Nafissa. Qui est la personne derrière l’asbl Women We Share ?
Nafissa: Une femme, 1m79, 41 ans, qui a repris l’appareil en main et à décidé de mettre en avant des femmes militantes, des femmes feministes, des femmes d’action. Des femmes qui font bouger les barrières d’une société patriarcale qui a trop longtemps classifié, sélectionné et qui a mis en avant certaines personnes au détriment d’autres. Je réalise des images de ces femmes en action.
Je soutiens aussi cette énergie au travers d’ateliers photographiques et de cours réservés aux femmes. Évidemment, je ne fais pas ça toute seule ; je suis entourée de bénévoles qui consacrent du temps à cette asbl.
T’es la plus âgée de notre sélection. T’as toujours baigné dans la photo ?
Elle est née il y a très longtemps, quand j’étais pré-ado. À cette époque, je n’ai pas eu la possibilité de faire des études de photo. Je venais d’une famille de commerçant·es pour qui le métier de photographe, pour une femme de surcroît, était inconcevable. Mais finalement, j’ai suivi des études de photographie à l’INRACI à Bruxelles.
Et puis il y a eu un espèce de vide pendant une dizaine d’années où le conditionnement a repris le dessus sur ce que je souhaitais être. Jusqu’au moment où je me suis dit : « J’en peux plus en fait, c’est pas ce qui me correspond, j’ai besoin de faire entendre ma voix. » J’avais besoin de recréer des images pour me libérer. À ce moment-là, j’ai tranché : je m’achète un appareil photo numérique au lieu d’acheter un nouveau salon. J’ai repris là où je m’étais arrêtée. C’est là où j’ai admis et intégré que la photo était pour moi un moyen d’expression nécessaire à mon identité.
« Je venais d’une famille de commerçant·es pour qui le métier de photographe, pour une femme de surcroît, était inconcevable. »
Quel est ton rapport avec le continent africain et comment ça se reflète dans ton travail ?
Mon rapport avec le continent a longtemps été mis sous cloche. C’était pas ma priorité dans les premières années de mon évolution. Il y a en moi cette double culture et cette constante recherche – encore aujourd’hui – de qui je suis entre ces deux univers. Je suis née en Belgique d’une mère belge et d’un père camerounais, mais je suis partie vivre au Cameroun très jeune. J’y ai grandi et suis revenue en Belgique quelques années plus tard rejoindre ma famille belge, blanche. C’est à ce moment-là que ma culture africaine a été mise de côté. Aux alentours de mes 20 ans, j’ai pu réaliser un reportage photo au Niger. Cette cloche a explosé et il y a eu toute une reconnection à cette partie de moi-même.
Selon toi, comment on peut permettre aux créateur·ices d’origine africaine d’avoir plus de visibilité ?
Je pense qu’on a « la chance » de vivre dans un monde en pleine évolution. Un monde qui met le doigt sur certaines de ses failles. Ça peut générer beaucoup de positif pour chacun·e d’entre nous. C’est possible de trouver sa place, son public et ses accompagnateur·ices pour gagner en visibilité.
Mais c’est important de faire entendre sa voix et de s’entourer de personnes qui résonnent en toi. Au tout début du projet d’expo photo Women We Share, j’avais écrit des post-its avec les noms des femmes que je voulais photographier. Ce projet me semblait insurmontable et je me sentais ridicule. Mais j’ai contacté une première femme, puis une seconde, une troisième… Et la réalisation des portraits s’est mise en place.
Découvrez Nafissa sur son site web et sur celui de Women We Share.
De janvier à février, quatre étudiant·es ont rassemblé leurs histoires personnelles aux problématiques concernant les photos de famille lors d’un workshop, dont les résultats seront visibles à Anvers à l’occasion du Black History Month.
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