Société

Tronçonneuses, flics et complotisme : les dessous d’une rave anti-masque au Canada

On a small Toronto beach, tucked away near an industrial area, COVID-19 conspiracy theorists bump and grind each other every Saturday night.

Chaque samedi soir, les complotistes de la Covid-19 se bousculent sur une petite plage de Toronto, nichée à proximité d’une zone industrielle. Le 15 août, en raison d’une vidéo virale montrant des hommes avec des tronçonneuses menaçant la foule, leur routine depuis plusieurs mois, qui consiste à tester les masques et les mesures de restrictions dans le centre-ville pendant la journée et danser sans masque ni distanciation sociale le soir, se trouve quelque peu ébranlée. Ils sont contraints de faire la fête sous des lumières aveuglantes installées par la ville pour tuer l’ambiance. Autour des danseurs, les autorités de Toronto patrouillent sur la plage.

Pour lutter contre les efforts de la ville visant à inonder la piste de danse de lumière, les fêtards ont accroché des draps et appuyé un sommier contre un arbre pour avoir un peu d’intimité. Il y a une cabine DJ et des haut-parleurs installés sur la plage. Derrière la rave, il y a un campement où des personnes vivent dans un cadre communal.

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Vers minuit, debout sur le sable devant la cabine DJ, un homme en chemise grise essaye de motiver la foule en disant que les autorités veulent leur retirer leur liberté, et que, pour les emmerder, il faut danser. Il crie « liberté » avec tout l’entrain d’un William Wallace démasqué. Quelques-uns des participants se mettent à se dandiner sur la musique, d’autres commencent à chanter timidement le terme de « scamdemic » [fusion entre « scam » (« arnaque ») et « pandemic » (« pandémie »), NDLR].

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La rave antimasque sur la plage de Cherry Beach à Toronto. Photo via Mack Lamoureux et Ryan Dicecca.

Selon un policier présent sur la plage, les autorités surveillent l’événement depuis des semaines (généralement jusqu’à 3 heures du matin) et ont constaté une augmentation de la criminalité dans la région depuis le début des fêtes. Mais le plus souvent, tout est calme. « À part les tronçonneuses », dit le policier en rigolant.

La vidéo qui a propulsé cette fête à la une des journaux est quelque peu étrange, même selon les normes de la vidéo virale. Elle met en scène deux hommes lourdement tatoués, dont l’un saigne de la tête, qui traquent une foule. Tous deux portent des tronçonneuses et les font tourner de façon menaçante. « Vous êtes foutus maintenant », crie l’un des hommes.

L’incident montré dans la vidéo a eu lieu le 9 août vers 9h30 du matin. David Sullivan, qui vit dans le campement et qui a filmé la scène, explique avoir joué un rôle important dans la gestion de l’incident. Les hommes sont arrivés plus tôt, alors que la fête commençait, et il les a rapidement reconnus. Ils assistent aux raves de Cherry Beach depuis des années et sont connus pour être des « fauteurs de troubles ».

Selon Sullivan, le duo a traîné sur la plage jusqu’à la fin de la fête. Puis l’un d’eux a déclenché une bagarre avec un fêtard. Plusieurs témoins ont rapporté que, soit pendant la bagarre, soit peu après, l’autre membre du duo a été frappé à l’arrière de la tête avec quelque chose.

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Les deux hommes avancent vers la foule avec des tronçonneuses. Photos via une capture d’écran vidéo sur Facebook.

Les deux hommes sont partis et sont revenus, ensanglantés et enragés, avec des tronçonneuses – on ne sait pas exactement d’où elles venaient, mais on nous a dit qu’un des hommes les utilisait pour le travail – et ont poursuivi la foule. Sullivan a vu les hommes à la tronçonneuse arriver et s’est empressé de faire sortir tout le monde du camp pour qu’ils puissent courir, et a essayé de désamorcer la situation en les dirigeant vers le matériel du DJ de l’événement, Omari Taylor.

« Nous sommes également contre la distanciation sociale dans les écoles. Nous ne voulons pas de ça, parce que ça va causer des dommages psychologiques aux enfants » – Taylor, un des organisateurs de la fête

« Tout à coup, j’entends des tronçonneuses qui jaillissent de la forêt, dit Taylor. Et j’entends crier “tronçonneuse, tronçonneuse” ! Ces mecs arrivent avec des tronçonneuses pleines de sang dessus. Et ils s’approchent de moi et de mon équipement ! » Taylor s’est alors écarté de leur chemin et les a vus détruire son matériel.

« Un des types a poursuivi quelqu’un dans la foule à travers la pelouse, poursuit Sullivan. Quand ils sont arrivés, ils étaient hors de contrôle, dans une rage aveugle. Des gens allaient être blessés ou tués. C’était inévitable. »

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Des policiers regardent la rave antimasque à Cherry Beach. Photo via Mack Lamoureux et Ryan Dicecca.

La police est venue rapidement. Les deux hommes ont été arrêtés et font face à de multiples accusations. Un agent de sécurité dit qu’il travaillait sur l’événement depuis un mois, mais qu’il est parti avant que les tronçonneuses n’arrivent et qu’il s’agit certainement d’un événement unique. « D’habitude, il y a une centaine de personnes, dit-il. Mais à cause de ce qui s’est passé la semaine dernière, les gens ont peur de venir. »

Les raves anti-masques sur la plage de Cherry Beach à Toronto ont lieu depuis des mois maintenant. Selon l’agent de sécurité, alors que le nombre de participants a diminué après l’incident, le nombre de policiers a augmenté de façon spectaculaire.

« Les gouvernements exagèrent radicalement la gravité du virus pour étendre leur pouvoir politique sous le couvert de la sécurité publique » – Saccoccia, autre organisateur de la rave et président du groupe Mothers Against Distancing

Taylor, qui est l’un des organisateurs de la fête et son DJ résident, explique que des agents de la police lui ont donné un PV de 250 dollars pour infraction au règlement sur le bruit au tout début de l’événement. Il qualifie la pandémie d’« escroquerie ». « Nous sommes contre le port du masque obligatoire, dit-il à propos de son équipe. De mon côté, je suis plutôt anti-masque, mais je me fiche que vous vouliez en porter un. Nous sommes également contre la distanciation sociale dans les écoles. Nous ne voulons pas de ça, parce que ça va causer des dommages psychologiques aux enfants. »

Taylor dit qu’ils continueront à organiser des fêtes aussi longtemps que le temps le permettra. Chris Saccoccia, un autre des organisateurs de l’événement, se dit pas totalement opposé au port du masque. Il pense que les personnes malades devraient porter des masques de qualité médicale, mais que les personnes en bonne santé ne devraient pas en porter. Comme beaucoup de ceux à qui nous avons parlé, il pense que le gouvernement laisse volontiers les entreprises fermer et les gens souffrir.

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Un homme et une femme s’embrassent lors de la rave anti-masque. Photo via Mack Lamoureux et Ryan Dicecca.

« Les masques obligatoires conduisent à la traçabilité obligatoire des contacts, puis aux vaccins obligatoires, dit Saccoccia. Ce n’est pas un accident ou une coïncidence. La Covid est bel et bien une pandémie, mais les gouvernements exagèrent radicalement la gravité du virus pour étendre leur pouvoir politique sous le couvert de la sécurité publique. »

Ce soir-là, d’autres figures canadiennes anti-masques sont présentes, comme Letitia Montana, la femme qui a attiré sur elle la colère d’Internet en publiant une vidéo d’elle refusant de porter un masque dans un hôpital.

Les opinions sur la pandémie varient énormément au sein de l’événement, mais elles suivent toutes une sorte de tendance conspiratrice. Pour certains participants, si le coronavirus est réel, il n’est pas aussi grave que les experts veulent nous le faire croire. Et les masques obligatoires sont une pente glissante vers les vaccins obligatoires. D’autres qualifient carrément la pandémie d’escroquerie ou de canular. Un homme dit que, même s’il pense que le Covid-19 est réel, il a été « détourné et transformé en une crise pour servir les intérêts de ceux qui veulent contrôler la population. »

Le rejet du masque et des mesures de sécurité concernant le Covid-19 se développe rapidement dans le monde entier. Récemment, au Canada, des manifestations contre le masque ont fait leur apparition dans presque toutes les grandes villes. En juillet, un groupe anti-vaccin a lancé un procès de 11 millions de dollars contre le Canada pour sa réglementation liée au coronavirus.

Les scientifiques recommandent le port du masque car il permet de contenir la propagation des gouttelettes respiratoires qui peuvent contenir la maladie. À ce jour, le Canada a enregistré plus de 120 000 cas et plus de 9 000 décès dus au Covid-19. Pour lutter contre ce fléau, de nombreuses régions ont mis en place des réglementations qui ont entraîné la fermeture d’entreprises et rendu les masques obligatoires.

Tout comme la colère, les théories du complot liées à QAnon, au coronavirus et à la 5G ont explosé pendant la pandémie. Selon le Dr Stephan Lewandowsky, titulaire de la chaire de psychologie cognitive à l’université de Bristol et expert en pensée conspiratrice, nous vivons une époque extrêmement éprouvante et effrayante et ces théories permettent aux gens de donner un sens au chaos et à la souffrance qu’ils vivent.

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Une femme danse seule à la fête. Photo via Mack Lamoureux et Ryan Dicecca.

Les manifestations et les raves sont organisées par plusieurs groupes. L’un d’eux est appelé M.A.D. (Mothers Against Distancing) et est dirigé par Saccoccia, qui est un riche héritier sans enfants travaillant pour SkyHomes Corp, la société immobilière de son père à Vaughan. Plusieurs personnes présentes à la fête nous ont dit que Saccoccia finance une bonne partie des activités du groupe, notamment le recrutement des agents de sécurité. Saccoccia n’a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet, estimant que cela « ne regarde personne ».

Récemment, au grand plaisir de ses partisans anti-masques, Saccoccia a posté une vidéo de lui, sans masque, à bord d’un avion d’Air Canada. D’autres organisateurs ont lancé un « mask-off challenge » où ils encouragent les adeptes à se rendre dans des commerces et à se filmer sans leur masque. Saccoccia dit avoir dû faire face à une forte résistance de la part de la ville. « La ville fait tout ce qui est en son pouvoir pour non seulement limiter notre capacité à protester ou à nous rassembler, mais aussi pour nous discréditer par des mensonges et de la diffamation via les médias traditionnels », dit-il.

Certains des participants à la fête ne sont pas là pour des raisons politiques. Quatre jeunes nous expliquent qu’ils ont entendu parler de l’événement par leurs amis et qu’ils ne savaient pas que c’était une manifestation anti-masque : ils sont juste venus là pour danser.

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Le DJ Omari Taylor tente de remettre la musique après la coupure. Photo via Mack Lamoureux et Ryan Dicecca.

Pour ceux qui sont là pour protester par la danse, le moment le plus excitant arrive vers 1h15 du matin, lorsque la musique s’arrête soudainement. Des murmures traversent le public. Serait-ce la police ou la ville qui les arrête ? « Va te faire foutre, John Tory », hurle au ciel l’homme en chemise grise, visiblement toujours en colère.

Mais très vite, les participants découvrent que ce n’est pas le maire de Toronto qui vient s’en prendre à eux. Qu’il n’y a pas de complot. Qu’il n’y a personne pour les attraper. C’est juste un fusible qui a sauté.

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