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Un bref historique des animaux dans les clips de rap français

« Négro j’ai pas de poto, je préfère les animaux ». Ainsi parlait Alpha 5.20 en l’an de grâce 2010 et il avait raison. Le rap français aime les bêtes en tout genre, et réciproquement. Cela s’est aussi vérifié avec la diffusion du clip de PNL, « Da ». La vidéo filmée sous forme de célébration, puisqu’ils ramènent leur disque d’or dans leur quartier d’origine (les Tarterêts à Corbeil), met en scène un singe, tranquillement posé sur un trône avec un T-shirt QLF. Pied de nez aux codes habituels ou simple délire, en tout cas c’est assez cocasse. Ça nous rappelle en plus que dans l’extrait précédent, N.O.S précisait « on n’est pas comme eux, on pisse sur le trône ». Plutôt normal qu’eux et leurs potes rechignent à poser leurs fesses dessus juste après, en revanche, leur singe a l’air un peu plus tolérant et ouvert à ce genre d’expérience.

D’ailleurs, dans le clip de « La Vie est belle », les deux frères partageaient pratiquement autant de temps à l’image que les girafes, zèbres et autres illustres membres de la faune de Namibie : la PETA serait fière. Mais le vrai triomphe du règne animal chez PNL, ça reste quand ils ont fait venir un petit singe nommé Tito à leur place à Planète Rap, d’une part parce que les petits singes c’est toujours mignon, d’autre part parce que cet épisode nous a donné cette photo, que vous pouvez regarder dans les moments de déprime et de solitude afin de vous rappeler qu’il existera toujours pire que vous.

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Passons rapidement sur les photos (le crocodile d’Ärsenik, le jaguar de la pochette de Mister You, les fouines sur la cover de Bourré au son de La Fouine, le chat de Booba et son regard façon actor’s studio…), les utilisations discrètes (l’instant où Kaaris prend le visage de King Kong dans le clip « Zoo ») et concentrons-nous sur l’essentiel.

Les chevaux

Outre le fait qu’il est systématiquement masqué, Kekra a débarqué comme un cheval sur la soupe avec le clip « John Wayne », dans lequel il est, sur certains plans, il monte un étalon, au beau milieu de son quartier. Il n’y a aucune allusion à cet aspect dans les paroles, mais le titre et surtout le refrain évoquent le fait de « rafaler John Wayne ». On peut regretter que le clip ne mette pas en scène un drive-by en cheval pour illustrer la chose jusqu’au bout, mais ça demanderait quand même beaucoup de dextérité et d’entraînement ; on comprend que Kekra ait opté pour la prudence. Dans une interview, le Courbevoisien a expliqué la présence de son destrier : « Le cheval dans le clip, c’est plus une image. Puisque tout le monde a des Lamborghini, des Ferrari dans ses clips, moi je ramène le cheval qu’il y a sur la voiture. Je ne le regarde pas en logo moi. Si ta voiture n’a pas d’essence, ça ne sert à rien, alors moi j’ai un cheval. Et les chevaux, il y a une relation à avoir avec eux, ce sont des animaux qui marchent aux sentiments. J’avais envie de mettre un cheval dans une cité, je suis arrivé avec, en claquettes, puis je suis monté dessus. » Pragmatique le Kekra.

A noter qu’Ol Kainry avait déjà flirté avec le milieu équestre, et pas seulement en ramenant des donzelles au fessier de jument : dans « Nègre en selle », inspiré par Django, il est lui-même à cheval histoire de coller au style de Jamie Foxx. L’utilisation est assez logique et plus classique puisque le clip est tourné en milieu naturel.

Les tigres

De passage en Thaïlande, Lacrim en a profité pour tourner « Sablier ». Outre l’ami Seth Gueko, un autre specimen en voie de disparition apparaît en guest à l’arrière-plan : un tigre. Pour le coup, on ne comprend pas bien ce qu’il fait ici, lui-même semble se poser la question à plusieurs reprises tandis que Lacrim rappe en lui tournant le dos, face caméra. Personne ne fait mumuse avec lui, le caméraman reste à distance respectueuse, et fatalement, le félin sauvage a l’air de s’emmerder prodigieusement, perdu au beau milieu d’une piscine (?) et semblant se reconnaître dans une des phrases du refrain de Lacrim : « j’ai perdu le chemin de la maison », qui semble avoir été écrite pour lui. Courage tigrou.

La Thaïlande, c’est également le pays où le groupe MMZ a tourné « En bas de ma tour ». Ils ne sont donc pas du tout en bas de leur tour et nous offrent une vidéo en forme de carte postale, ce qui n’est pas plus mal vu que les clips de PNL (leurs potes) ont déjà exploré leur cité en long et en large. Mais le principal, c’est que Moha a enfin pu accomplir son rêve de gosse en s’allongeant affectueusement sur un tigre, après avoir compté une liasse de billets à ses côtés. L’animal ne le sait pas encore, mais il est sans doute actuellement considéré comme complice de trafic de drogue, une pensée pour lui. Sa présence s’explique pour deux raisons. D’une part le refrain le revendique clairement : « comme des tigres dans la jungle on cherche l’oseille » (ce qui n’a en fait rien à voir avec le comportement d’un tigre dans la jungle, mais on va pas chipoter). D’autre part parce que Moha avait prévenu tout le monde dans « Cocaïna » : « dans mon salon, igo, je veux un tigre ». On peut dire qu’il n’a pas perdu de temps.

Les serpents

Sch a dégainé tout le folklore connoté diabolique dans « A7 » : flammes, yeux noirs sans pupille, succube inquiétante et à moitié à poil (il y a des choses qui ne changent pas) et bien sûr un énorme serpent sur les épaules, qui semble d’ailleurs plus l’intéresser que les formes de la figurante, et ça c’est du professionnalisme : « J’aime bien toutes ces inventions que les gens créent autour du mal, du diable, du 666, j’aime jouer avec ça. J’ai toujours été inspiré par des choses sombres. C’est ça que les gens kiffent chez Sch, cette noirceur qu’on comprend pas trop. Du mal ? Du bien ? J’aime créer ce mélange qui interroge l’auditeur. Nous on cultive cette image parce qu’elle me plaît. Je préfère rapper les flammes que les nuages. » Hasard ou réalité scientifique, dans certains plans du clip, le natif d’Aubagne peut évoquer le personnage de Daniel Radcliffe dans Horns, où il se transformait peu à peu en diablotin malgré lui.

A noter que Nessbeal avait déjà ramené un reptile dans le clip « Rap de tess », mais sa présence restait assez effacée : il est enroulé autour du bras du rappeur dans plusieurs plans mais pas plus. Il faut dire que le vrai guest c’était l’acteur Saïd Taghmaoui, qui n’aurait sans doute que moyennement apprécié de se faire voler la vedette par un serpent, même si leur jeu d’acteur est sensiblement le même dans cette vidéo.

Les chat(te)s

Seth Guex et Niro ont uni leurs forces pour ce featuring sobrement intitulé « La Chatte à Mireille ». On ne sait toujours pas qui est cette personne, ni ses copines Brigitte et Françoise, elles aussi heureuses propriétaires de félins. Le seul nom connu dans ce registre c’est Laurent Voulzy, à qui le morceau attribue aussi une chatte histoire de ne pas faire de discrimination. Mais ce qui est sûr c’est que le titre a permis un concept sympa pour le clip : mettre des chats partout, tout le temps. Si l’on zappe le jeu de mot évident entre l’animal et les parties génitales féminines, il reste la phrase « sur le tapis, sur la moquette, t’as fait caca partout » du rappeur du 95 : cela peut parfaitement s’adresser aux chats qui semblent prendre leurs aises tout au long de la vidéo.

En revanche, on ne va pas se mentir, le montage ci-dessous sur le classique « Les rappeurs sont des chattes » d’Alpha 5.20 reste au-dessus de la mêlée.

L’aigle

Rohff a lui aussi innové en montrant un très bel aigle posé sur son bras dans « Rien à prouver ». Le reste du clip est assez classique (les rues de Vitry, une foule de supporters, etc) mais l’oiseau majestueux fait carrément plus d’effet que les poulets de l’outro de la vidéo. Lors d’une interview, le Vitriot avait fait le point. Et c’était un grand moment, car cette période de sa vie a apparemment été très marquée par les oiseaux. D’abord parce que Rohff s’est pris un épervier en pleine tête, ce qui l’a mis KO lors d’un footing entre deux enregistrements (« ça n’arrive qu’à moi des trucs comme ça ») et que ça lui a inspiré une phrase sur « Ksos For Life ». Ensuite parce que, consciemment ou non, il a pris sa revanche dans l’album suivant en posant avec le fameux aigle : « l’aigle c’était une meuf en fait […] ça pèse quand même 10 kg, au bout d’un moment quand le tournage dure, ton bras commence à se baisser, même si t’es balaise […] elle se rapprochait de moi, le dresseur flippait mais il s’est rien passé. C’est une meuf quoi, visiblement y’a eu un peu de séduction, y’a eu un délire. »

Les singes

Booba a beau porter le nom d’un ourson, ce sont bien les singes qui ont sa préférence, et cela depuis au moins 2002. Un petit cousin de Abu apparaît en effet dès le clip « Repose en Paix ». Assez déconnecté de la scène de l’enterrement, il reste extérieur, mais après tout, les deux femmes aux jolies courbes aussi. Pour ceux qui n’étaient pas là à l’époque, lors des diffusions télé du clip, le singe était utilisé pour couiner pendant les gros mots des couplets, ce qui donnait un effet comique assez réussi bien que probablement involontaire : c’est quand même la censure la plus classe du monde. Un nouveau singe apparaît dans « Avant de partir », observant parfois la caméra d’un air songeur tandis que Booba rappe. Apparemment le passage « t’es toujours en train d’étendre ton slip » a pour effet sur l’animal de lui faire détourner le regard : sa pudeur l’honore.

Il faut ensuite attendre « Maître Yoda » pour voir Booba renouer avec un ami macaque, à qui il tente de serrer la main avant de lui donner une canette de Sprite. Les associations de défense des animaux n’approuveraient pas mais ça reste mieux qu’une bouteille de Jack.

Enfin, c’est avec « Tony Sosa » que B2O renoue définitivement avec ses amis les bêtes, puisqu’il passe presque un couplet entier avec un singe qui grimpe sur ses épaules comme bon lui semble. Le rappeur reste totalement imperturbable et enchaîne comme si de rien n’était. C’est en fin de clip qu’on constate que les singes étaient en réalité deux. Sans doute que le premier a une doublure quand les cascades deviennent trop dangereuses.

Comme il le rappe sur « Habibi », il a clairement choisi son camp : « sa mère, Laurent Ruquier contre l’orang-outan. » C’est sans doute également ce qui explique sa défiance vis-à-vis de Joey Starr, qui s’était fait filmer en train de taper un singe. Et ça, Booba ne pardonne pas.

Le loup

Après le serpent, NE2S a opté pour les amis de la pleine lune. Pour le coup, il était totalement dans le sujet : le morceau s’appelle « Le Loup dans la bergerie», l’ambiance est d’une noirceur oppressante, le loup qu’il tient en laisse paraît en réalité presque trop sage. Malgré tout, ses quelques apparitions furtives ont de la gueule, sans mauvais jeu de mot et Mister Beal prend la pose le plus naturellement du monde à ses côtés. Il faut dire qu’il arrive déjà à rester stoïque et rapper son texte avec un joueur de cornemuse en jupe quelques instants plus tôt, il n’est plus à une excentricité près.

L’ours

Si on oublie la panthère de « Turfu » dont les apparitions restaient limitées, il reste un gros morceau chez Booba : l’ours du clip « Comme les autres ». De toute la liste il s’agit sans doute d’un des mieux dressés puisque l’animal se laisse caresser, ne montre aucun signe d’agacement quand Booba lui envoie de la neige en pleine gueule, et surtout, a été suffisamment patient pour poser pour cette photo assez géniale, à l’origine de nombreux délires chez les internautes. Franchement, il était beaucoup moins conciliant dans The Revenant, ce qui avait d’ailleurs obligé la Fox à faire un communiqué pour expliquer que non, la bête n’avait pas violé le héros joué par DiCaprio. Mais c’est une autre histoire. L’autre hypothèse des fans pour ce clip est la suivante : ce n’est pas un vrai ours, c’est juste le fidèle soldat Benash qui aurait bu un peu trop de jus de bagarre.

Les chiens

Tous se rappellent de ce moment inoubliable : vers la fin du clip « Pour ceux » de la Mafia K’1fry, Demon One balance son couplet culte, toujours entouré du reste du crew mais aussi accompagné de plusieurs pitbulls qu’il tient en laisse. C’est alors qu’un personnage masqué fait des doigts aux rappeurs, et ni une, ni deux, Demon lâche les chiens sur lui. Le bonhomme finit à terre, attaqué par plusieurs pits puis tabassé. On reste dans la tradition mais le détail amusant c’est que l’homme masqué est en réalité Frank Gastambide (aujourd’hui réalisateur des Kaïra et de Pattaya). Dresseur de profession, il était le seul à pouvoir suffisamment contrôler les molosses pour tenter le coup. Si « l’attaque » est crédible, c’est qu’elle est réelle : en réalité Frank avait prévu des endroits précis où les chiens devaient le mordre. Parfois, il faut donner de sa personne pour faire entrer un clip dans l’Histoire.

Cette expérience a apparemment marqué Demon qui se présentera dans le morceau « La Pilule » en ces termes : « tu me reconnais ? Je lâche des pits dans ‘Pour ceux’ ». De loin le meilleur CV de la planète.

Avant de terminer, impossible de ne pas parler de l’Élu, celui qui a su utiliser la présence d’un animal de compagnie dans un clip pour faire quelque chose d’inédit et livrer une œuvre visionnaire.

Dans cette sympathique vidéo, Alkpote assure le refrain et gratifie l’auditeur d’un légendaire « c’est du rap hardcore, puceau, ça sent la mort, on va te fister le cul avec le museau d’un labrador ». Et évidemment, il tient ledit chien dans ses mains à chaque passage. A côté, le « serre l’anus, v’là les suppôts de Satan » de Seth Gueko passe presque pour une formalité amicale. D’autant que plus loin dans le clip, la caméra s’attarde sur une scène assez fascinante où un type attaché, bâillonné et aveuglé se fait un peu malmener par Al-K et son compère, avec toujours la présence menaçante du labrador à l’écran. C’est d’ailleurs l’image la plus badass d’un canidé depuis le film d’horreur Max, le meilleur ami de l’homme, un record aujourd’hui remis en jeu par le film White God, pour ceux que cela intéresse.

Laissons la parole à l’intéressé (Alkpote, pas son chien) : « c’est une pratique chez les homosexuels. Y’a un point G chez les hommes, au niveau du colon. Et ces mecs-là, ils enfonçaient des museaux d’animaux, de chiens, en l’occurrence, dans leur trou du cul. Ils s’assoient dessus, et le chien s’étouffe. En mourant, il bouge dans tous les sens, et c’est ça qui les fait jouir. Quand le chien meurt, c’est la jouissance extrême. Le mec a son orgasme, et ressort une tête de chien mort de son trou du cul. »

Tout s’explique. Et en bonus, rappelons-nous ce freestyle d’époque où la fripouille d’Evry prouvait définitivement son amour inconditionnel pour la race canine.


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