Donald Trump a trouvé un nouveau moyen de stupéfier les États-Unis. Mardi dernier, il a congédié le directeur du FBI James Comey, en apparence pour sa gestion de l’enquête sur les courriels de Hilary Clinton. Ce n’était pas une surprise : il y avait évidemment de l’animosité (en coulisses) entre eux au moins depuis le début de l’enquête sur les liens potentiels entre Trump et la Russie l’été dernier. Quelques jours avant son congédiement, Comey avait demandé des fonds supplémentaires pour cette enquête… Comme Trump est devenu président en piétinant toutes les normes de la politique américaine, personne ne sera surpris que le président se fiche de la mauvaise impression qu’il laisse en se débarrassant de l’homme de loi qui enquête sur lui.
Malgré tout, ce congédiement a été remarquablement abrupt et, dans la communauté notoirement taciturne du FBI, la réaction a été prompte, rageuse et violente.
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« Ce n’est pas seulement une attaque directe à l’intégrité du directeur Comey, c’est aussi une invitation lancée aux agents à trouver et signaler tous les faits relatifs à l’interférence de la Russie dans l’élection », m’a écrit l’ancien directeur du contre-terrorisme (et collaborateur de VICE) David Gomez. « Pour paraphraser l’amiral Yamamoto après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, je pense que Trump a réveillé un géant endormi en s’attaquant au FBI. »
Le congédiement de Comey crée une foule de nouveaux problèmes pour Trump. Déjà, l’administration et les agences fédérales ont coulé plusieurs renseignements depuis son élection. Maintenant que le président a déclaré la guerre au principal service fédéral de police judiciaire et de renseignement intérieur, davantage de fuites pourraient lui causer plus d’ennuis. De potentiels lanceurs d’alertes pourraient surgir. Un nouveau directeur du FBI devra être nommé, ce qui donnera sans doute lieu à une bataille politique. Comme beaucoup soupçonnent que Comey a été écarté pour faire stopper l’enquête sur les possibles manipulations russes, même des républicains demandent une enquête indépendante.
Pour mieux connaître le contexte de cette saga, j’ai appelé Michael German, un ex-agent du FBI spécialisé en terrorisme intérieur et opérations secrètes. Il était en service la précédente fois qu’un président a remercié un directeur du FBI – Bill Clinton en 1993.
VICE : À quel point est-ce que c’est étonnant, dans le contexte élargi de l’histoire du FBI?
Michael German :
Je ne suis pas surpris par le mémorandum du département de la Justice [présentant les raisons du congédiement]. Je pense qu’il montre clairement les problèmes sérieux avec l’intervention de Comey dans l’élection présidentielle et de ses commentaires à propos de l’enquête sur Hilary Clinton. Le congédiement d’un directeur du FBI est certainement très inhabituel. Mais c’est un problème que nous avons eu quand Bush était au pouvoir avec les tentatives de politiser les nominations au département de la Justice, le congédiement de procureurs des États-Unis pour des raisons politiques. Une fois qu’on politise une agence comme le département de la Justice et maintenant le FBI, dont l’indépendance est nécessaire pour son bon fonctionnement, il est difficile de corriger la situation sans avoir l’air de la repolitiser. C’est pourquoi la politique établit strictement que Comey ne pouvait pas faire ce qu’il a fait. Malheureusement, je pense que ça causera des dommages graves et durables au FBI.
Évidemment, ce qui est inquiétant, ce sont les conséquences sur les enquêtes potentielles sur les allégations d’influence russe sur la campagne présidentielle. Il faut beaucoup plus de transparence à ce sujet dès maintenant.
Comment agira le FBI après ce qui s’est passé?
C’est un problème difficile. Il ne s’agit pas que de choisir un directeur en lequel le public aura confiance pour diriger l’agence, mais il faut aussi convaincre les agents que leur agence se concentre adéquatement sur sa mission et utilisera son temps et son énergie de façon appropriée.
En rétrospective, l’une des raisons pour lesquelles Louis Freeh — qui a été le directeur suivant [après que Clinton a congédié William Sessions] — a été choisi, c’est qu’il avait de l’expérience au FBI. C’était en partie pour rassurer les agents inquiets avec quelqu’un qui comprenait la mission et le type de travail que fait l’agence, et soutiendrait les agents de la bonne façon.
Que savez-vous sur le directeur par intérim, Andrew McCabe, qui a passé 20 ans au FBI?
Je ne pense pas avoir déjà eu affaire à lui. Évidemment, il a été impliqué dans cette décision si controversée. En particulier, il a eu une conversation potentiellement inappropriée avec le chef de cabinet de la Maison-Blanche à propos de l’enquête sur la Russie. Il n’est pas lui-même sans controverse.
Les reportages initiaux ont été plutôt alarmistes en ce qui concerne les répercussions sur l’enquête sur la Russie : que c’est terminé ou que le congédiement avait clairement pour but de la faire échouer. À quel point le directeur participe-t-il à une enquête comme celle-là?
Pour une enquête normale, le directeur ne sait presque rien jusqu’à ce qu’on soit prêt à porter des accusations, et même à ce stade probablement pas grand-chose. Malheureusement, des directeurs ont eu l’habitude de se mêler des enquêtes médiatisées, par exemple Richard Jewell avec l’histoire des bombes aux Olympiques, les enquêtes sur l’anthrax ou des dossiers que la direction gère avec une main de fer. Ce sont souvent ces dossiers qui donnent lieu à des controverses.
Franchement, la première fois que l’affaire des serveurs de courriel de Clinton a été soumise, Comey a fait un commentaire très étrange : il a dit qu’il allait s’assurer que cette enquête soit menée comme toutes les autres enquêtes et qu’il la superviserait personnellement. Ce n’est pas comme toutes les autres enquêtes si une personne nommée par l’administration s’en occupe personnellement!
Malheureusement, il n’a pas semblé avoir un point de vue objectif sur ses décisions. L’un des éléments absents du débat autour de l’influence de la Russie sur les élections, c’est que 70 milliards de dollars par année sont investis dans des équipements censés prévenir exactement ce qu’on soupçonne : une nation hostile qui a une influence négative sur notre démocratie. Pourquoi est-ce que le FBI a mis autant de temps à démarrer cette enquête et prévenir l’influence plutôt que de seulement y réagir après coup? On n’en a pas encore parlé. On rapporte que le Royaume-Uni et d’autres gouvernements européens avaient averti les services du renseignement en 2015, alors il est difficile de comprendre pourquoi c’est seulement en juillet 2016 que le FBI a ouvert une enquête.
Est-ce qu’on devrait s’inquiéter du sort qui sera réservé à l’enquête, d’après ce que tu sais de la façon dont procède le FBI?
C’est une enquête de contre-espionnage, et elles ont tendance à être très politisées : on parle de politique, en particulier de politique étrangère et de sécurité nationale. Souvent, dans l’application de sa politique étrangère, l’administration joue un rôle démesuré dans ces dossiers.
Si un agent du renseignement français espionne dans une rencontre économique aux États-Unis, le FBI pourrait avoir amassé assez de preuve pour établir la responsabilité et être prêt à l’arrêter, mais parce que nous avons conclu plusieurs ententes avec la France et considérons le gouvernement français comme un allié, la décision de lui donner une petite tape sur les doigts et de lui demander de ne plus recommencer est politique. Je pense qu’il est très clair que cette enquête est déjà assez politisée, pour le mieux ou pour le pire.
Étant donné qu’on enquête sur de réelles infractions criminelles, il est beaucoup plus difficile pour la Maison-Blanche d’avoir de l’influence qu’en temps normal, à condition que la Maison-Blanche et le département de la Justice fonctionnent normalement. En ce moment, il n’est pas certain que ce soit le cas.
Pour beaucoup, la façon de congédier Comey a semblée bizarre et dangereuse. On dit qu’il s’adressait à des employés d’un bureau de Los Angeles quand la nouvelle a été annoncée à la télé et qu’il a cru que c’était une blague. Trump a indiqué dans la lettre de congédiement que Comey lui avait dit à trois reprises qu’on n’enquêtait pas sur lui. Tout ça aura des effets sur l’enquête, non?
Certainement. Pour les agents qui participent à cette enquête, je suis sûr qu’il est plutôt troublant d’entendre que le directeur fait des déclarations au président — si c’est vrai. À quoi sert l’enquête si le directeur du FBI dit à des personnes qu’elles n’auront aucun ennui? La question de savoir si l’on doit croire qu’il a vraiment fait ces déclarations, c’est autre chose. Mais une lettre pareille va miner la confiance des agents. Ils auront du mal à croire que leur travail d’enquête sera évalué objectivement et traiter de façon appropriée par le système de justice.
Quelles sont les protections en place, s’il y en a, pour s’assurer que l’enquête se poursuive malgré le départ de Comey?
Ce qu’il faut garder en tête, c’est que les faits sont tenaces et ont l’habitude de s’incruster même quand on veut qu’ils disparaissent. Si le FBI a recueilli assez d’information pour montrer que ce qui a coulé dans les médias est vrai, je pense qu’il sera difficile de faire cesser cette enquête.
De plus, même si le FBI abandonne l’enquête, il y aura des enquêtes du Congrès et, évidemment, l’inspecteur général regardera la façon dont le FBI a géré le dossier des courriels de Clinton. Si cette enquête ne vise pas que Comey — ce que j’espère —, elle doit se poursuivre. Si des agents ont l’impression que leur enquête est entravée par des manœuvres politiques, ils pourront porter plainte auprès du Congrès et de l’inspecteur général. Mais en fin de compte ces tentatives ne donneraient rien : on pourrait retarder l’enquête, mais, d’un point de vue politique, l’impression qu’on a tenté de faire de l’obstruction sera une difficulté de plus à surmonter pour l’administration.
Comment l’institution qu’est le FBI réagira-t-elle à cette décision historique?
Les agents continueront de faire leur travail du mieux qu’ils le peuvent dans les nouvelles circonstances. Si on tente de les en empêcher, ils le feront savoir haut et fort, et ils se rendront idéalement aux comités du Congrès concernés, au bureau de l’inspecteur général, pour s’assurer qu’il y ait une enquête sur l’obstruction.
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