En grandissant dans les territoires arides et isolés de Dapaong, au nord du Togo, Lalle Nadjagou a toujours été fascinée par la technologie à laquelle il n’avait qu’un accès restreint.
« Quand j’étais gamin, j’essayais de fabriquer des avions et des voitures électriques. Le fait de voir des avions voler dans le ciel était fascinant. Je me demandais comment quelqu’un pouvait réaliser un exploit pareil, » m’explique le jeune homme de 22 ans. « Depuis que je répare des radios et d’autres trucs, j’ai compris comment fonctionnaient les circuits électroniques. Ça m’a donné envie de mener des projets à moi. »
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Perché sur une table à l’extérieur du WoeLab (woe signifie « fais-le » en ewe), dans l’ombre de l’Université de Lomé, encadré par un bar et une boutique de barbier, il travaille sur sa nouvelle création : une imprimante 3D miniature.
Nadjagou fait partie des dernières recrues du WoeLab, le premier incubateur de start-up tech du pays ; il accueille des concepteurs, des inventeurs et des entrepreneurs.
L’organisation, fondée en 2012 par l’architecte togolais Sénamé Agboginou, se donne pour mission de promouvoir un renouveau urbain dans le pays de l’Afrique de l’ouest, se concentrant sur l’innovation technologique dans un cadre local et mettant à profit l’environnement immédiat. Pour les aider à concrétiser leurs projets, les membres du WoeLab ont identifié une ressource spécifique : les déchets électroniques.
Agboginou parle du travail au WoeLab.
Les membres de la communauté du WoeLab ont inventé la première imprimante 3D au monde faite presque exclusivement de composants électroniques de récupération, et construit des ordinateurs à l’aide d’unités centrales vides et de composants de seconde main stockés dans des jerrycans en plastique. Actuellement, ils recyclent un vieux réfrigérateur afin d’en faire un poste de travail.
« L’idée du WoeLab est de faire du high tech avec des matériaux de seconde main, » explique Agboginou. « Il est tout à fait possible de développer des projets high tech avec ce que l’on a à disposition. Des projets qui ne coûtent pas très cher, avec des matériaux que tout le monde peut se fournir, et qui sont adaptés à notre culture. »
L’architecte a passé plusieurs années à travailler sur la conception d’habitats modernes dans le milieu rural en s’inspirant des maisons africaines traditionnelles en boue. Il tenait à adapter une approche communautaire, proche de l’environnement, aux zones urbaines.
« Dans les systèmes traditionnels les gens travaillent ensemble et construisent ensemble, » ajoute-t-il. « Si quelqu’un, dans le village, doit construire une maison, tout le monde vient participer à sa construction. Dans un hackerspace, c’est un peu la même chose. Les déchets et les matériaux recyclés nous aident beaucoup à faire vivre cet esprit. Les déchets électroniques ne sont certes pas des matériaux précieux en soi, car ils ont déjà vécu, mais on peut toujours trouver un moyen de les réutiliser. »
Pour Nadjagou, les déchets électroniques ont énormément de potentiel : « Recycler permet d’élever votre esprit, » dit-il. « Mon imprimante fonctionne comme les autres imprimantes 3D. Simplement, je veux imprimer des circuits imprimés plutôt que du caoutchouc. »
« Ce produit constitue un test ; avec lui je pourrai produire d’autres objets. Si je réussis, je produirai de plus en plus de choses, » ajoute-t-il.
Nadjagou, qui a rejoint le WoeLab en septembre, espère que ses créations s’inscriront dans la lignée de W.Afate, l’imprimante 3D que le WoeLab a conçue en 2013 dans le but de réutiliser des composants usagés.
Après avoir acheté une imprimante 3D Prusa achetée en Europe, Agboginou explique que les membres de la communautés se sont inspirés de son design pour concevoir leur propre modèle.
« On a construit cette imprimante 3D tous ensemble ; les pièces venaient de l’étranger. Après ça, on a songé à en construire une nouvelle à partir de ce que l’on avait sous la main, » explique l’homme de 36 ans. « Quelqu’un a lancé l’idée d’utiliser des déchets électroniques. Tout le monde se mit à rire. En fait, c’était une idée de génie. »
Après avoir lancé une campagne de crowdfunding à 4000$, le WoeLab s’est attaqué à la construction de l’imprimante à l’aide d’éléments empruntés à des ordinateurs, des scanners, et de divers appareils électroniques. Il en sorti l’imprimante W.Afate, baptisée d’après le membre du WoeLab Kodjo Afate Gnikou.
L’ingéniosité du projet a permis d’exposer l’imprimante lors de divers salons, et de faire gagner de nombreux prix d’invention au WoeLab en 2014. Elle est désormais utilisée par l’entreprise locale Africa Tracing afin de produire le boîtier en plastique nécessaire à la production de l’appareil GPS qu’il commercialise. On espèce que W. Afate aura également un impact social, dans la mesure où la communauté a lancé un programme d’éducation dans les écoles de Lomé. Il vise à pousser les élèves à fabriquer leurs propres appareils à partir de déchets électroniques.
Dans un pays ou près de 60% de la population vit dans la pauvreté et où les activités économiques sont centrées autour de l’agriculture et de la contrebande, l’accès à ce genre de technologies pourrait avoir un effet extrêmement bénéfique sur la jeunesse.
« Nous voulons mettre une imprimante 3D dans toutes les écoles et les cyber cafés dans un rayon d’un kilomètre autour de Lomé, » explique Agboginou. « Nous travaillons avec dix écoles cette année, et nous apprenons aux jeunes à dessiner en 3D afin qu’ils puissent se servir d’une imprimante avec facilité dans le futur. »
Selon un rapport des Nations Unies publié l’année dernière, près de 40 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produites en 2014 ; en l’occurrence, l’Afrique de l’Ouest en a recueilli une grande partie. Agbogbloshie, au Ghana, constitue un exemple tristement célèbre de territoire transformé en décharge géante.
Les risques sanitaires liés à l’accumulation des déchets électroniques sont nombreux. Le sous-secrétaire général de l’ONU, David Malone, affirme l’année dernière dans un communiqué que « dans le monde entier, les déchets électroniques constituent une ‘mine urbaine’ de valeur, puisqu’il s’agit d’un énorme réservoir potentiel de matières recyclables. »
Le réservoir en question est exploité de manière ingénieuse par le WoeLab. Le groupe collecte les matériaux sur différents sites dans la capitale du Togo, dont le centre d’Action Sociale pour le Développement Intégral (ASDI).
Les déchets recueillis par l’ASDI constituent une énorme pile d’écrans, de cartes mères et de divers plastiques. Le centre a tissé des partenariats avec plusieurs associations locales encourageant la population à recycler les appareils électroniques usagés.
« Nous nous sommes associés à de nombreuses organisations comme le WoeLab, qui se servent directement dans notre décharge, » explique Françoise Adekpue de l’ASDI. « Je pense qu’ils font un super travail. La protection de l’environnement est un sujet essentiel ; nous nous battons pour faire progresser les mentalités, et laisser les gens prendre des matériaux recyclables fait partie de la démarche. »
Les déchets électroniques sont utilisés par 11 start-up affiliées au WoeLab. Un service de recyclage vient d’être lancé par ScOPE, qui désire quant à elle construire un drone à partir de déchets tout en créant leur propre version de l’ordinateur JerryCan créé en France.
Les spécialistes du recyclage envisagent également de repenser les espaces de travail et les pratiques agricoles dans un futur proche.
Le projet MilaWoe vise à transformer un réfrigérateur usagé en station de travail complète avec ordinateur et imprimante 3D. Le groupe affirme que MilaWoe permettra « d’équiper les cybercafés et les écoles, et pourra être facilement adapté à des lieux divers tels que les centres d’éducation, les foyers et les entreprises.
Les membres de la communauté travaillent également sur Ifan, « un robot multifonctionnel adapté au travail agricole, » selon Agboginou. « Il permet de semer, labourer, repiquer. » Le projet n’en est encore qu’à ses débuts, mais une vidéo du modèle pressenti est déjà en ligne.
Le WoeLab, qui cherche de nouvelles sources de financement pour ses programmes éducatifs, offre un espace de travail gratuit pour les aspirants « makers » et organise des événements toute l’année. Pour Nadjagou, rejoindre la communauté lui a vraiment ouvert des opportunités qu’il n’aurait jamais envisagées.
« Le WoeLab aide beaucoup de gens grâce à la technologie. Il est ouvert, et son accès est gratuit, » explique-t-il. « À la maison, mes parents n’aiment pas me voir bricoler. Si je leur demande de l’argent pour acheter des composants, ils m’enverront paître. »
« Mais avec le temps, ils ont commencé à comprendre que j’étais devenu un adulte et que la maitrise de la technologie constituait ma force, » ajoute-t-il. « Aujourd’hui, quand ils me voient travailler, ils pensent que je m’amuse et que rien de tout cela n’est sérieux. Mais à terme ils changeront d’avis, j’en suis sûr. »
Le WoeLab n’est pas le seul à diffuser sa philosophie du recyclage. La start-up kenyane e-Lab fait de l’art à partir de composants usagés. Gladys Myunzwela, designer au Botswana, fabrique des vêtements et des accessoires de la même façon. Enfin, Buni Hub, en Tanzanie, a créé une imprimante 3D à partir de déchets électroniques en 2015.
« Les déchets électroniques peuvent constituer une nouvelle ressource en Afrique. Il faut juste réfléchir à des moyens de les exploiter à grande échelle, » conclue Agboginou. « Peut-être qu’il y a toute une économie à bâtir là-dessus, et que nous sommes assis sur un tas d’or. »