Difficile de ne pas penser à des gribouillages d’enfant face aux tableaux de Cy Twombly. Dès l’entrée de la vaste rétrospective consacrée à l’artiste américain au dernier étage du Centre Pompidou, les visiteurs trouvent des toiles épurées, parsemées de taches et de ratures, qui en laissent plus d’un dubitatif. Pas franchement figuratif ni tout à fait abstrait, l’œuvre de Twombly ne fait pas mystère de son pouvoir d’évocation de l’enfance. Sans être revendiqué par l’artiste lui-même, il est clairement souligné par Roland Barthes dans deux textes essentiels*, rédigés à la fin des années 70 sur demande du galeriste Yvon Lambert et du Whitney Museum.
« Qui c’est, Cy Twombly ? Qu’est-ce qu’il fait ? Comment nommer ce qu’il fait ? Des mots surgissent spontanément (“dessins”, “graphisme”, “griffonnage”, “gauche”, “enfantin”) » écrivait ainsi le sémiologue français. « “Enfantins”, les graphismes de Cy Twombly ? Oui, pourquoi pas ? Mais aussi : quelque chose en plus, ou en moins, ou à côté. »
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Ce « quelque chose » n’est malheureusement guère développé dans la brochure ou les cartels explicatifs de l’exposition du Centre Pompidou. Livré à lui-même dans les dix-sept salles immaculées dédiées à celui qui est « unanimement salué comme l’un des plus grands peintres de la seconde moitié du XXe siècle » — comme le sacre le musée d’art moderne —, le néophyte restera peut-être imperméable à l’art « à la formule rare, à la fois très intellectuel et très sensible » de Twombly, tel que le décrivait Barthes.
Les tableaux de Twombly sont exactement ceux face auquel il serait facile de dire : « un gosse aurait fait pareil ! » J’ai donc pris au mot ses contempteurs et cherché à vérifier si le trait de Twombly est « inimitable », comme l’assure Barthes. C’est ainsi que j’ai emmené Mahé, 7 ans, armé d’un carnet de croquis, de crayons et de pastels, à Beaubourg.
Après avoir parcouru aléatoirement l’exposition et deviné des formes dans des œuvres bien peu figuratives, Mahé a sélectionné quelques tableaux qu’il s’est appliqué à reproduire. Il se montre plus attiré par le travail tardif de l’artiste que celui, plus austère, de ses débuts. « J’aime quand il y a de la couleur », déclare Mahé, intransigeant. « Pour que ça soit plus joli », il n’a donc pas hésité à rajouter du bleu dans cette réplique finalement plutôt fidèle d’une itération de la série Bacchus de 2005.
Puisque le bleu est sa « couleur préférée », Mahé s’est aussi posé face à la série A Gathering of Time de 2003 : d’immenses toiles couleur bleu d’eau, ponctuée de coulées blanches. Dans une interprétation très libre, il a syncrétisé plusieurs motifs repérés dans différents tableaux : le coup de feu de Pan (1975) et ce qu’il a estimé être des taches de sang dans Achille pleurant la mort de Patrocle (1962), entre autres. Imperturbable face aux nombreux visiteurs curieux de la production de ce petit garçon très concentré, il a continué dans sa lancée et a ajouté un tas de munitions, « au cas où ».
Enfin, il a aussi tenu à dessiner une sculpture de Twombly. Son choix s’est porté sur Sans titre (Bassano in Teverina) de 1980, parce que ça lui évoque un coffre au trésor et que « ce n’est pas difficile à refaire ». Soucieux de laisser sa marque, il a doublement inscrit son initiale pour compléter le tableau.
Bien incapable d’expliquer toutes les subtilités de l’art de Twombly au gamin, je cherche quand même à savoir ce qu’il a bien pu penser de tout ça. « Elle est très bien cette expo, c’est très beau ! » répond Mahé avec enthousiasme. Je n’aurais pas mieux dit.
Vous avez jusqu’au 24 avril 2017 pour vous plonger dans l’univers de Cy Twombly. Toutes les infos sont par ici.
*Cy Twombly, Roland Barthes, Éditions du Seuil, 2016
Marie Fantozzi est sur Twitter.