Un journaliste mexicain spécialiste des narcos assassiné devant son bureau

L’un des journalistes les plus expérimentés et respectés du Mexique, spécialiste des cartels, a été assassiné ce lundi dans le Sinaloa, un État rongé par la sanglante lutte des narcos.

Courageux et inépuisable, Javier Valdez Cardenas a reçu 12 balles dans le corps en sortant des bureaux de Riodoce, un journal qu’il a fondé et dirigé à Culiacan, la capitale de l’État. Valdez était le sixième journaliste à être assassiné cette année dans le pays – alors qu’un septième perdait la vie avant même la fin de la journée de lundi. Plus de 100 journalistes ont été tués depuis l’année 2000 au Mexique.

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« Le gouvernement mexicain condamne le meurtre de Javier Valdez. Mes condoléances vont à sa famille et à ses partenaires, » a tweeté le président Enrique Pena Nieto. « Je réitère notre engagement visant à protéger la liberté d’expression et celle de la presse, qui sont indispensables à notre démocratie. »

Le président a précisé que le bureau d’un procureur spécialisé dans les crimes contre la liberté d’expression va enquêter sur le meurtre de Valdez. Plusieurs observateurs doutent en revanche de la volonté ou de la capacité du gouvernement à faire respecter la justice. De 2010 à 2016, ce bureau a reçu 798 plaintes concernant des agressions contre des journalistes. Seulement trois plaintes se sont soldées par une peine de prison – ce qui correspond à un taux d’impunité de 99,7 pour cent.

La mort de Valdez est survenue moins de 48 heures après l’enlèvement de sept journalistes par une centaine d’hommes armés, dans l’État de Guerrero. Les assaillants ont gardé l’équipement des journalistes – ce qui représente des milliers de dollars de matériel – avant de libérer les reporters spécialistes du crime organisé dans la région.

Jonathan Rodriguez, un journaliste d’un hebdomadaire de l’État de Jalisco, a aussi été tué ce lundi soir. Sa mère, Sonia Cordova, qui travaillait aussi pour le journal, a été touchée. Elle est dans un état critique.

Valdez est le journaliste le plus connu du Mexique à se faire assassiner. Sa mort a entrainé plusieurs médias mexicains à se mettre en grève ce mardi pour protester contre ces crimes qui se perpétuent en toute impunité.

Dans le Riodoce, on peut lire que la mort de Valdez est un « énorme coup dur ». Le journal assure que sa mort est « sans aucun doute » liée à ses enquêtes sur le trafic de drogue.

« Dire la vérité demande beaucoup de courage, » confie à VICE News, José Cisneros, un proche ami de Valdez. « Tuer ceux qui disent la vérité ne changera rien. Malheureusement, les journalistes courageux sont exposés quand ils couvrent des sujets délicats. Tu vas me manquer Javier. »

Un récent rapport du Committee to Protect Journalists, qui a remis l’International Press Freedom Award à Valdez en 2011, affirmait qu’un « manque de volonté politique pour mettre un terme à cette impunité, fait du Mexique un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes. »

Valdez était une sommité en ce qui concerne le crime organisé dans le Sinaloa, l’État du baron de la drogue, Joaquin « El Chapo » Guzman, qui attend actuellement son procès à New York.

J’ai rencontré Valdez pour la première fois l’année dernière, dans un café de Culiacan, pour discuter des conséquences de l’arrestation d’El Chapo. Facilement reconnaissable grâce à son panama visé sur le crâne, Valdez était franc, perspicace et généreux avec son temps (il a été cité à de multiples reprises sur VICE News). Il était conscient du danger, mais a continué à creuser pour mener ses enquêtes.

« La succession va être périlleuse, notamment pour les journalistes et les civils, » disait Valdez de la succession d’El Chapo. « Le cartel de Sinaloa contrôle tout ici. Ils n’ont pas besoin de me menacer explicitement pour que je sache que je cours un risque. Le simple fait de vivre ici nous menace. »

Valdez a écrit plusieurs livres sur ceux qui se sont retrouvés au milieu de cette guerre décennale des cartels, qui a fait 200 000 morts et 30 000 disparus. J’avais revu Valdez en janvier pour lui parler de son dernier livre, Narcoperiodismo, qui détaillait les risques attenants à son métier. Des extraits de cette interview ont été publiés par l’Index on Censorship.

« En 2009, quelqu’un a jeté une grenade dans le bureau de Riodoce, causant uniquement des dommages matériels. Je recevais des coups de fil, m’intimant l’ordre d’arrêter d’enquêter sur certains meurtres ou barons de la drogue. J’ai dû taire des informations importantes parce qu’ils auraient tué ma famille. Plusieurs de mes sources ont disparu ou ont été tuées, » me disait Valdez.

« Je pense pouvoir dire que les balles m’ont frôlé. Le gouvernement s’en fiche. Ils ne font rien pour vous protéger. Cela arrive souvent, et cela continue. Je pense que la meilleure chose à faire serait de quitter le pays avec ma famille. »

Dans plusieurs cas, le gouvernement mexicain est directement mis en cause. Une étude d’Article 19, un organisme de défense de la liberté de la presse, révèle que des officiels étaient responsables de 53 pour cent des agressions commises contre les journalistes en 2016.

« Au Mexique, il peut s’avérer plus dangereux d’enquêter sur la corruption politique que de s’intéresser au trafic de drogue, » faisait remarquer Valdez. « La classe politique est intolérante, ne respecte pas la démocratie ou les médias. Elle possède des assassins à sa botte parce qu’ils ont grandi côte à côte et avec le soutien des narcos. »

Cette situation rendait Valdez sceptique.

« Les risques pour la société et la démocratie sont très sérieux. Le journalisme peut avoir un grand impact sur le changement démocratique et la conscience sociale, mais quand on travaille sous de telles menaces, notre travail n’est jamais complet. Nous créons une société impassible, non-informée et sourde face à ces nombreuses tragédies. Cela inhibe tout changement démocratique et facilite le crime et la corruption. »

« Je ne vois pas une société qui soutient ses journalistes ou les protège, » ajoutait Valdez. « Si Riodoce déposait le bilan et arrêtait de publier des papiers, personne ne s’en soucierait. Nous n’avons pas d’alliés. Nous avons besoin de plus de publicités, d’abonnements, et de soutien moral ; mais en réalité, on est seuls. On ne va pas survivre bien longtemps dans ces conditions. »


Ducan Tucker est un journaliste freelance installé au Mexique.