Illustration : Cei Willis
Tout le monde aime les films avec des prises d’otages. Même si la plupart mettent en scène des personnes enchaînées à un radiateur au fond d’un sous-sol pendant deux semaines, ces films arrivent toujours à captiver l’attention du public. La saga Taken par exemple, a été déclinée en trois films – chacun a rapporté des millions d’euros, bien qu’ils soient tous fondés sur le même scénario un peu pété : « Oh non, quelqu’un a encore été enlevé ! ». C’est un truc qu’on est vraiment habitué à voir dans les films et à la télévsion, mais c’est aussi quelque chose qui existe dans la vraie vie.
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Concrètement, que se passe-t-il après les enlèvements et les menaces de mort ? Comment se passent les négociations avec les kidnappeurs ? Un spécialiste anonyme de l’organisation Athena Intelligence – un ex-militaire qui a des années d’expérience – nous explique ce qu’implique le métier de négociateur lors d’une prise d’otage ou d’un kidnapping.
VICE : Quelles sont les bases que vous apportez face au kidnapping ?
Négociateur : On prépare les gens – diplomates, hommes d’affaires, etc – sur ce qu’il faut faire pour éviter d’être pris en otage, comment procéder si vous vous faites kidnapper et comment y survivre. C’est un aspect des choses. L’autre partie de mon travail, c’est quand tout part en sucette avec des gens qui n’ont reçu aucune préparation ou entraînement. Là, ça se passe souvent terriblement mal, et ils finissent donc par appeler un type comme moi.
Quelle est la raison la plus commune aux kidnappings ?
Il y a tout un tas de motivations diverses qui peuvent motiver quelqu’un à kidnapper une personne. Ça peut partir d’un certain fanatisme religieux, d’un crime financier ou d’une simple activité criminelle, jusqu’à une simple extorsion d’argent. Parfois, c’est aussi une affaire de maladie mentale. Ça peut aussi être quelqu’un en prison qui a décidé de faire kidnapper ses gardes. Il existe vraiment plein de raisons. Celles qui font généralement les titres des journaux sont les motivations politiques et religieuses, tout simplement – et malheureusement – parce qu’elles intéressent les gens. Viennent ensuite les kidnappings par une personne déséquilibrée, et parfois un mariage qui tourne au vinaigre ou encore un employé un peu trop énervé envers son patron. On voit vraiment de tout. Les journaux aiment se focaliser sur les kidnappings à motifs religieux, mais plus vous fouillez, plus vous vous rendez compte que la religion n’a rien à voir là-dedans. Ça peut être un aspect, certes, mais les kidnappings sont surtout une source de revenus très importants pour certaines organisations. Donc quand vous étudiez un peu plus en profondeur les kidnappings, on se rend compte que c’est souvent une histoire d’argent ou de propagande.
Qui faut-il appeler lors d’une prise d’otage ? Vous travaillez avec la police, ou vous êtes plutôt une alternative à la police ?
Tout dépend de l’endroit où ça arrive. Disons que dans certains pays, la police n’est pas capable de faire quoi que ce soit, ou n’est juste pas digne de confiance. Tout dépend aussi de la nature des demandes des kidnappeurs. Je ne dis pas qu’on doit se plier en quatre aux exigences des ravisseurs, mais il ne faut pas non plus les contrarier sans raison quand la situation est déjà très tendue. Très souvent, les otages vont refuser d’impliquer la police, c’est donc la famille ou l’organisation qui me contactent. Je ne bosse pas pour les compagnies d’assurances, bien qu’il y ait des gens qui travaillent exclusivement pour eux.
À quoi ressemble un kidnapping classique ? Est-ce que c’est comme dans ces séries TV où la personne est attachée une chaise dans un bâtiment abandonné ?
Vous allez être surpris, mais oui. Encore une fois, tout dépend de ce qui a motivé le kidnapping. Lorsqu’il s’agit de kidnapping politique ou religieux, les otages sont souvent bien amochés – et c’est pour cette raison que j’insiste sur l’importance d’une formation pré-kidnapping, laquelle est souvent ignorée des entreprises. Ça arrive effectivement de voir des otages attachés à une chaise, ou un truc comme ça. Ils se retrouvent dans des conditions assez exceptionnelles. Parfois, ils sont retenus avec d’autres otages. Après, ils ne sont pas toujours faits prisonniers dans une pièce sombre avec une porte fermée à clé. Il est par exemple arrivé que des gens soient « simplement » retenus dans un village, où on leur a dit : “Il n’y a nulle part où aller, restez ici. Si vous ne le faites pas, vous allez mourir.” Être kidnappé ne veut pas forcément dire que vous serez enfermé entre quatre murs. Il s’agit juste d’une restriction de vos mouvements.
Quel conseils donnez-vous aux personnes prises en otage ?
Si le pire se produit et que vous êtes enlevé, vous devez rester calme. Soyez passif, mais pas soumis pour autant – il y a une différence. Imaginez le gros dur de votre lycée : s’il trouve quelqu’un de soumis, il s’acharnera encore plus sur lui. De la même façon que s’il trouve quelqu’un de trop agressif, il va vouloir reprendre le dessus. Donc ne les contrariez pas, mais ne pleurnichez pas non plus dans votre coin, parce qu’ils profiteront de votre vulnérabilité. N’oubliez pas que tout ce que vous ferez en captivité jouera un rôle dans votre esprit durant tout le reste de votre vie. Il faut se préparer à vivre avec ça peu importe ce que vous faites ou ce que vous dites. En bien ou en mal, vous vous rappellerez de cette expérience tout au long de votre vie.
C’est pour cela que beaucoup de ces personnes doivent être aidées pour se réintégrer dans la société. Elles ont besoin d’une aide psychologique pour traiter leur traumatisme. Vous devez être capable de vivre avec vous-même et tout ce que vous avez fait pendant votre captivité. Nous donnons à ces gens des mécanismes qui peuvent les aider à gérer, à passer le temps et à instaurer une relation avec leurs ravisseurs. Prenons votre cas. Vous êtes blanc et européen : [dans le cas d’un kidnapping à motif religieux], il faudrait que vous montriez votre côté humain – sinon, vous ne représenterez qu’un ennemi à abattre. Par contre, s’ils vous voient comme un être humain lambda – avec deux enfants, une femme et un boulot – qui s’intéresse un peu à leur religion, il leur sera plus difficile de vous tuer ou de vous torturer.
Comment obtenez-vous ces informations s’ils se sont déjà fait kidnapper et qu’ils n’y sont pas préparés ?
À ce moment-là, c’est trop tard. La préparation sert à ça. Mais il faut toujours demander à parler à l’otage, ça reste la meilleure façon d’avoir la preuve qu’il est en vie et que les gens qui disent le détenir l’otage ne mentent pas. Là, on touche un autre problème : si un mec nommé John Smith se fait kidnapper, beaucoup de personnes sont susceptibles de vous appeler et de dire : « Je suis celui qui détient John Smith ». On fait quoi dans ce cas-là ? Il faut nécessairement une preuve.
Il y a donc des gens qui prétendent détenir un otage, alors que c’est faux ?
Absolument. Il faut d’abord tenter de savoir de quelle organisation il s’agit, qui est l’interlocuteur, qui est le contact de ce groupe. Sinon, vous courez le risque de perdre votre temps en parlant à la mauvaise personne.
Quand un otage n’a toujours pas été libéré, au bout de combien de temps peut-on déduire que les choses se sont mal passées ?
Ça dépend. Ma volonté est de résoudre ces situations le plus vite possible, mais on ne peut pas toujours foncer tête baissée. Vous ne pouvez pas toujours régler le problème avec de l’argent, puisque ça encouragerait le business. Vraiment. Je cherche toujours à maintenir un dialogue. Si vous n’avez plus de contact, ce n’est pas bon signe. Il faut toujours être certain de maintenir une forme de communication et de toujours laisser la porte ouverte.
J’imagine que certaines personnes kidnappées ne sont pas toujours de pauvres innocents – dans ce cas-là, êtes-vous obligé de le signaler ?
Non. Je ne suis pas flic. Mais avant de me mettre sur une affaire, j’ai besoin de comprendre qui je dois aider, qui est la personne impliquée et pourquoi elle a été enlevée. Parfois, ce n’est pas facile d’avoir la vérité du premier coup. Mais je suis dans le privé – si quoi que ce soit me dérange, je peux passer mon chemin. J’aime penser que j’œuvre avec les gentils plutôt qu’avec les méchants. S’il y a un truc de louche, je ne vais pas chercher à m’impliquer. Aussi, si la personne kidnappée est un enfant, vous n’avez pas carte blanche car vous devez sans cesse vous référer à ses parents. Chaque cas a ses spécificités.
Les négociations fonctionnent la plupart du temps, ou vous avez déjà dû faire face à un drame ?
Il y a une carte qui recense le taux de succès par région avec les couleurs rouge, jaune et vert. L’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud sont clairement dans le rouge, tout comme certaines parties du Moyen-Orient. Mais le reste du monde est plutôt jaune ou vert. La plupart des négociations se terminent bien, même si cela prend souvent plus de temps que ce que les gens voudraient. Si vous regardez ce qu’il se passe en Amérique Centrale et du Sud – où l’industrie du kidnapping n’a jamais été aussi forte – et en Afrique de l’ouest, les gens se disent « Je sais ce qu’on va faire, moi et mes potes on va kidnapper quelqu’un et se faire un peu d’argent », ils ne sont en aucun cas entraînés au kidnapping. La plupart du temps, ils vont paniquer car ils ne savent pas ce qu’ils font. Souvent, ils récupèrent l’argent et tuent l’otage.
Avez-vous déjà été mis en danger dans une affaire ?
C’est toujours un risque, mais je dis toujours que je suis un « manager du risque », et non pas celui qui prend les risques. J’observe la situation et je détermine quelles ressources sont nécessaires pour rendre la situation la plus tranquille possible pour tout le monde. Mais oui, je me suis déjà retrouvé dans une position peu confortable où j’étais heureux d’en être sorti en un seul morceau.
Vous avez une arme pour ce genre de moment ?
Je ne porte pas d’arme à feu. Dans certains cas, j’ai une arme de sécurité avec moi, ou à portée de main – mais si je dois commencer à tirer, c’est que tout a échoué.
Vous disiez tout à l’heure que vous ne vouliez pas régler ces situations avec de l’argent pour ne pas alimenter le business des kidnappings, mais en même temps votre business est lié au kidnapping. Du coup, quel est l’équilibre ? Qu’est-ce qui doit changer pour ne pas que les choses deviennent incontrôlables ?
Je pense que les gouvernements devraient avoir une approche de type « Nous ne négocions pas, nous ne faisons pas de concessions, nous ne payons pas de rançons ». Mais la réalité est bien différente. L’entraînement préliminaire est essentiel, mais celui que les gens reçoivent est souvent épouvantable. Ça me dérange juste quand je vais dans une entreprise pour proposer cette formation et que j’entends une partie des leçons merdiques qu’on leur a données. Je me dis « Mais bordel, à quoi ils pensaient quand ils leur ont dit ça ? »
J’apprends aux gens à éviter les kidnappings et à y survivre. Mais je ne les arrache pas dans la rue pour les mettre au fond d’une salle sans fenêtre et les tabasser pendant une journée. Certains font ça. Moi, non. Ce sont des conneries, car tout ce que ça fait, c’est reconstituer les conditions psychologiques d’une certaine impuissance individuelle – et ça, personne n’en veut. En réalité, les entraînements doivent être réguliers. Franchement, je serai heureux si les gens ne se faisaient plus kidnapper parce que je pourrai gagner de l’argent autrement. Je gagne déjà de l’argent avec du conseil en sécurité, donc si le taux de kidnapping tombait à zéro, ça m’irait très bien.
Pour terminer, est-ce qu’il y a un endroit dans le monde ou une organisation – comme Daech ou les cartels de drogues mexicains – avec qui vous ne voudriez pas négocier ?
Tout est possible. Il faut considérer chaque situation individuellement. Qui est la personne kidnappée, qui sont ses ravisseurs, etc. Voyez ensuite ce que vous pouvez apporter. Si vous ne pouvez rien faire, vous avez la responsabilité de ne pas prendre le dossier. Votre job est de faire sortir les gens – peu importe que les ravisseurs soient Mexicains ou qu’ils viennent du Moyen-Orient. Dans certaines parties du monde, la police est très impliquée – dans ce cas, il ne vaut mieux pas la prévenir car elle ne vous aidera pas et pourrait même vous causer quelques problèmes. Chaque cas est différent.