Au-dessus d’une canopée se trouve le club Matryoshka, un espace musical qui a ouvert ses portes à quelques privilégiés le mois dernier. Bordée de montagnes et entourée de lacs, l’imposante structure de bois et de pierre se distingue.
À l’intérieur, les murs s’élèvent depuis un tapis rouge. Le club dispose d’espaces ouverts pour faire des rencontres et échanger, et d’espaces secrets pour des interactions plus intimes. Le club Matryoshka ne ressemble à aucun autre bar. Il n’y a pas de prix d’entrée, de cocktails trop chers ou de lumières stroboscopiques gênantes. Surtout, il ne se trouve dans aucune rue du monde, mais sur un serveur Minecraft privé, créé par des musiciens de Manille à la recherche d’un espace alternatif pour partager leur travail.
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Le club offre tous les plaisirs de la sortie en boîte – traîner avec des gens, écouter de la bonne musique, « boire » la potion de son choix –, mais sans les inconvénients qui l’accompagnent, comme l’affluence et la gueule de bois. Il suffit d’avoir un ordinateur, une bonne connexion Internet, et voilà !
En effet, pour ceux qui en ont assez des exigences physiques des clubs dans la vie réelle, la liberté se trouve dans le virtuel. « Selon moi, le club Matryoshka a le potentiel de rassembler plus de gens autour de la musique, dit le musicien Jorge Juan B. Wieneke V, connu sous le nom de Similarobjects. C’est en train de devenir une sorte de communauté, et nous considérons cela comme un moyen immersif de diffuser de la musique, d’organiser des concerts et d’accueillir des groupes internationaux sans les tracas et les contraintes que nous connaissons dans le monde réel. »
Le producteur de musique, à la tête du collectif musical BuwanBuwan, a créé le club Matryoshka avec ses collègues musiciens Ahju$$$i, Cavill et dot.jaime. Le nom fait référence aux poupées russes matryoshka, qui sont imitées dans les salles apparemment interminables de l’établissement virtuel. La façade du club, en revanche, est un mashup entre le Berghain, Alcatraz, un musée, une bibliothèque et un donjon.
La page d’accueil du club Matryoshka est hébergée sur le site web de similarobjects avec une page de renvoi non descriptive. Comme n’importe quel autre club, celui-ci est très exclusif. Toute personne souhaitant y entrer doit d’abord soumettre sa candidature. Le formulaire, bien que court, est aussi excentrique que le club lui-même. Les candidats doivent répondre à une question en pig latin [un argot utilisé en anglais, équivalent au louchébem en français, N.D.L.R.] ; en haïku à une autre.
« Nous voulons nous assurer que les gens sont là avant tout pour l’expérience et pour la musique, donc ce formulaire est conçu pour éliminer les clubbeurs lambda », dit Wieneke.
Comme dans un « vrai » club, il faut faire la queue avant d’entrer. Il faut attendre quelques semaines pour avoir le résultat de sa candidature, selon certains participants. Ceux qui font l’affaire reçoivent un dépliant numérique avec des instructions sur la façon d’entrer dans le club, ainsi qu’une invitation à un serveur sur la plate-forme de chat vidéo Discord. Puis il faut encore attendre une invitation officielle, envoyée par mail.
À l’intérieur, le club Matryoshka est le rêve de tout introverti – un monde virtuel rempli de rendus numériques d’objets, de personnages et de lieux. Comme d’autres serveurs Minecraft, les structures sont façonnées à l’aide des matériaux du jeu, qui sont minutieusement recueillis par les créateurs pendant un certain temps. Le serveur du club Matryoshka est en mode survie, ce qui signifie que les joueurs sont vulnérables à la faim, la fatigue, les conflits et même la mort.
« Nous l’avons fait en mode survie parce que je voulais que l’expérience soit plus personnelle pour moi, dit Wieneke. Voir quelque chose naître à partir de rien est une belle expérience en soi… J’y ai vraiment investi des heures et des heures, même si ce n’est que virtuel. »
Les canaux vocaux sur le serveur Discord permettent de guider les joueurs vers les endroits où ils peuvent aller. Chaque salle principale a son propre canal où les musiciens se produisent simultanément. La musique est jouée en direct par les DJ résidents du club qui font également partie du jeu, Wieneke compris.
Ceux qui veulent sortir du club et socialiser peuvent facilement passer à un autre canal de Discord.
Les réponses ont été positives.
« Je ne m’attendais pas à ce que ce soit un concert entièrement interactif », déclare Diego Avanceña, qui a assisté à l’ouverture du club Matryoshka avec sa petite amie.
Remington Chan, un autre participant, a été surpris par la préparation méticuleuse qui a été accordée au club virtuel. « Le monde qu’ils ont construit est génial, et le club est super cool à l’intérieur aussi. On peut voir que beaucoup d’efforts ont été mis dans la construction de cet endroit », dit-il.
« Toute cette expérience m’a paru très étrange, comme un aperçu de la vie dans un monde virtuel qui se déroulait même sans que j’y sois, déclare Iñigo Olondriz, qui était également présent à l’inauguration. J’attends avec impatience les événements à venir. J’ai hâte de faire passer l’expérience de musique live à un niveau supérieur. »
Le club Matryoshka bouleverse sans aucun doute l’expérience clubbing. Tout ce que vous attendez d’un club y est : conversations aléatoires dans les toilettes, ivresse et bonne musique.
Mais comment se comporte-t-on dans un club virtuel ?
« Au début, les gens étaient beaucoup trop disciplinés », dit Wieneke. Mais après avoir reçu les outils nécessaires pour s’amuser, les choses se sont améliorées. « Ils ont commencé à se lancer différents types de potions les uns contre les autres », poursuit Wieneke. Parmi les « potions » lancées, on trouve des potions de vision nocturne qui permettent aux personnages de voir les couleurs de façon plus vive, des potions qui altèrent partiellement la vision et la ralentissent, et des potions qui les font sauter plus haut.
Les visiteurs du club sont également autorisés à créer de nouveaux outils dans le jeu grâce à une fonctionnalité de Minecraft.
Dans le club Matryoshka, tout est possible.
« Les gens ont beaucoup d’idées préconçues sur la façon de se comporter dans un club dans la vie réelle : quoi faire, comment s’habiller, comment approcher les gens – la liste est longue, dit Wieneke. Je voulais en partie briser ces stéréotypes avec ce projet, créer de nouvelles façons de profiter de la musique en société et créer des espaces sûrs, même pour les gens qui n’ont jamais fréquenté de clubs, ceux qui préfèrent rester chez eux ou sur Internet. »
Le club Matryoshka n’a pas rouvert depuis sa soirée de lancement, mais Wieneke dit qu’un autre événement est en préparation pour plus tard cette année. Le formulaire de candidature est toujours en ligne.
« Je veux simplement créer une nouvelle culture de l’expérience musicale, dans un endroit où justice peut lui être rendue, où elle peut être digérée correctement, sans se limiter aux attentes de qui que ce soit », dit Wieneke.
Bien que le club Matryoshka ne soit pas « réel », les performances musicales, les interactions avec les gens et l’expérience globale le sont certainement.
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