Depuis des années, je photographie des communautés alternatives et des camps de protestation à travers l’Europe. À force, j’entendais de plus en plus parler de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes – de ces 1 650 hectares de pâtures, de forêts et de zones humides. Mais au-delà de leurs revendications contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, j’y ai vu l’opportunité de documenter un laboratoire autonome, une sorte d’utopie devenue réalité.
Je m’y suis rendu juste après avoir fait un reportage à Calais. La destruction de la « Jungle » était imminente, et la même menace pesait encore sur la ZAD en octobre dernier. Il important à mes yeux d’immortaliser les maisons et les différents lieux d’habitation qui ont été érigés sur place. Je suis donc parti avec un ami, qui vit et organise des ateliers de désobéissance créative là-bas. Nous avons roulé à travers des petits villages fermiers, jusqu’à arriver sur la route principale de la ZAD. L’entrée m’a fait songer à un mélange de Mad Max et de la Zone du film Stalker. Le lieu est immense, et tout le monde ne se connaît pas forcément. Je savais qu’il serait difficile de photographier la plupart des personnes qui y résident – mais comme je me promenais avec un vélo de location et un appareil démesurément grand et compliqué à utiliser, les gens ont vite écarté la possibilité que je sois un flic sous couverture.
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Sur place, on trouve vraiment toutes sortes de catégories de personnes, lesquelles font partie de 60 collectifs différents – des fermiers présents depuis sept générations, des punks vegans de passage, des artistes anarchistes, des herboristes, des forgerons communistes et des musiciens. Toutes les personnes qui vivent ici, et d’autres dizaines de milliers de personnes sont prêtes à continuer de défendre cette zone. Certains agriculteurs du coin voient le simple fait de travailler comme un acte de résistance. « Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, tant que je peux traire mes vaches et qu’un camion peut passer collecter le lait », m’a confié l’un d’eux.
À mon sens, si les choses fonctionnent aussi bien, c’est parce que cette communauté a eu huit ans pour croître, apprendre et s’organiser. Et ils ne manquent pas d’espace, ce qui permet de faire cohabiter tous ces différents groupes. Il y a une station radio pirate, des boulangeries, des marchés potagers, une brasserie, un studio de rap, un journal hebdomadaire, une scierie, une bibliothèque et même un phare. Il y a des structures magnifiques conçues par des architectes, qui jouxtent des maisons occupées par des punks qui ne répondent à aucune loi – et une bonne cinquantaine de chiens. Ils ont vraiment réussi à instaurer de l’ordre en parfaite autonomie, et se retrouvent souvent à gérer des questions fondamentales sur ce que signifie la notion même de justice pour eux. Conférenciers, artistes, militants politiques, réfugiés, artisans, personnes en cavale et avocats – j’ai rarement vu de lieu aussi diversifié, où tout le monde essaie d’œuvrer dans la même direction.
Retrouvez plus de photos ci-dessous, et le travail d’Immo sur son site.