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« Unai Emery ne dissocie jamais l’effort physique de l’effort intellectuel »

Romain Molina se définit comme un « indépendant, ni écrivain, ni journaliste, mais plutôt un conteur d’histoires jouant également au basket et vivant au fin fond de l’Europe. » Un beau programme pour ce jeune homme de 25 ans qui, quand il n’écrit pas, porte le maillot de Bayside Argus, leader du championnat gibraltarien de basket. L’occasion pour VICE Sports d’aller discuter quelques heures avec lui afin de revenir sur son dernier ouvrage, Unai Emery, El Maestro, biographie autorisée de l’entraîneur du PSG et parue aux éditions Hugo Sport.

Romain Molina. Photo DR.

VICE Sports : Nous t’avions quitté lors de ton arrivée en Espagne, où tu avais comme projet de faire ton trou dans le monde du basket. Depuis, tu as publié deux livres, dont cette biographie d’Unai Emery. Il me semble qu’avant ce projet, tu avais déjà eu l’occasion de rencontrer l’entraîneur espagnol, alors à Séville, pour un entretien unique. Est-ce que tu peux revenir sur cette première rencontre avec le technicien basque ?
Romain Molina : Ça date d’il y a un peu plus d’un an. J’ai parlé avec Daniel Riolo de l’idée de faire un deuxième épisode de Secrets de coachs, qui était un livre très intéressant avec de longs entretiens des plus grands entraîneurs de l’époque. L’idée était de réactualiser cela avec de nouveaux entretiens sur cette nouvelle génération d’entraîneurs. On m’avait proposé de suivre ce projet, j’ai donc naturellement suggéré le nom d’Emery. Après quelques discussions avec le frère d’Unai Emery (Igor Emery, ndlr), j’ai pu aller à sa rencontre afin de faire cette interview. C’est la seule fois où j’ai réellement vu Unai d’ailleurs.

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Comment s’est passée la rencontre ?
Alors, déjà, quand je suis arrivé au centre d’entraînement de Séville, j’ai remarqué que les installations étaient dignes d’un club de National. Les douches, avant, ne marchaient pas, enfin bref. Là, t’as une espèce de salle de musculation avec une petite salle de vie où tout est branlant. Dès les premiers instants, Unai était avenant. Avant de commencer, il a fait le serveur en me demandant ce que je voulais boire, puis s’est énervé car le feutre du tableau ne marchait pas, du coup il a utilisé mon cahier pour pouvoir montrer des tas de schémas tactiques, le tout en short, tout transpirant.

Quelle a été ton impression ?
On voit rapidement que c’est un passionné. Quand tu lui poses une question, il peut facilement faire un monologue de dix minutes. Il m’a un peu fait penser à Claude Puel. Puel, il fait des réponses, il argumente, il va te faire le “A+B du C.” Unai, c’est la même chose. A un moment, il s’est vraiment enflammé en se levant de sa chaise et en y mettant tout son cœur. Tu voyais que ce n’était pas du cinéma. Il suffit de le voir à l’entraînement et t’as tout compris. Il est comme ça avec tout le monde, c’est une passion naturelle. Pour te dire, à la fin de l’entretien, il avait reçu une demande d’une radio locale, vraiment un petit truc, pour une interview. Il n’a pas hésité à accepter la proposition, voire même il a insisté pour la faire, alors qu’elle était à 23h30.

Il semble assez libre dans sa communication.
À Séville, ouais. Ce n’était pas lui qui gérait sa com’ mais surtout son frère. Unai, il aime tout contrôler. Ce n’est pas quelqu’un qui va faire des médias juste pour faire des médias. S’il aime le sujet, l’idée, il va le faire sans problème, mais ce n’est pas quelqu’un qui va réclamer quelque chose des médias. Il insiste tout le temps sur le fait de ne réclamer aucune question. Il n’est jamais briefé par son frère, la seule chose que son frère et Unai veulent, c’est connaître les intentions du journaliste.

En plus de la langue, tu penses que c’est aussi pour cela qu’il y a des problèmes avec certains journalistes français ?
Il y a la langue, déjà, oui. Ils ne vont pas forcément chercher à le connaître, et on ne lui pose pas forcément des questions sur le jeu. Après, il est limité en conférence de presse, mais quand on voit ses entretiens individuels, il a une certaine liberté de ton assez rare dans le milieu. Je pense par exemple à une interview pour El Pais où il est vraiment excellent. Il me fait penser à Ancelotti, qui est une personne brillante dans ses entretiens individuels. D’ailleurs, les deux se connaissent bien et ce n’est pas si étonnant qu’ils s’apprécient. Si tu regardes, ils ont un peu un fonctionnement similaire.

Dans ton livre, on voit bien cette volonté qu’il a de faire évoluer les connaissances et les perceptions de chacun grâce à la discussion. Il est constamment dans l’échange, pour à la fois faire évoluer ses idées et celles de ses interlocuteurs.
Imagine-toi, tu es entraîneur du PSG, tu as au téléphone l’un de tes amis, Alberto Benito, qui a été joueur avec toi il y a vingt ans à Toledo, qui a été ton directeur sportif à Almería et qui est aujourd’hui à Chypre. Et tu lui dis, « Est-ce que tu pourrais me préparer un dossier sur comment ça travaille à Chypre ? J’aimerais bien savoir comment ça bosse là-bas, je peux apprendre quelques trucs », ou encore lorsqu’il demande des informations sur un entraîneur en troisième division espagnole, car il avait lu des choses sur lui.

Donc le mec, entraîneur du PSG, s’intéresse à des entraîneurs de D3 espagnole parce qu’il pense qu’il peut apprendre d’eux. Si ça, ce n’est pas de la confrontation d’idées et de l’échange … Unai, il a besoin de ça. C’est quelqu’un qui a besoin de stimulations intellectuelles et footballistiques pour développer sa personnalité.

Comment tu définirais cette personnalité ?
Son frère le dit lui-même, « On est très travailleur, très têtu, très honnête, donc très basque ». J’ai joué avec des joueurs basques et Unai le reconnaît dans son livre La Psychologie, les gens du Nord ont la réputation d’être plus froids, plus distants. Unai, dans son caractère, il ne montre pas beaucoup d’affection. Mais d’un autre côté, il a des traits de caractère très andalous. Dans sa manière de parler déjà, et même dans son comportement : c’est un mec sociable, qui mettait des grandes tapes dans le dos de son traducteur au PSG cinq minutes après l’avoir rencontré.

Ça n’a pas toujours été le cas par le passé. Entre le Unai footballeur et le Emery entraîneur, il y a un changement, presque une métamorphose…
C’est vrai que cette transformation est spectaculaire. Lui-même dit que c’était un cagon, il se chiait dessus quand il était joueur. Forcément quand tu le vois aujourd’hui, tu te demandes comment le mec a pu évoluer de la sorte. Personne n’aurait jamais cru que le Unai Emery aussi peureux sur un terrain se batte avec autant de sûreté, autant de confiance et autant d’ardeur pour garder son poste d’entraîneur et faire face à toute la pression.

Tu te rends compte de la métamorphose que c’est ? C’est limite un papillon. Aujourd’hui, il est tellement sûr de lui en tant qu’entraîneur qu’il arrive à convaincre les gens, c’est une de ses forces, notamment dans son travail sur les remplaçants. En fait, Unai il a des défauts, comme tout être humain, mais il a une qualité, c’est qu’il n’a pas peur. Il n’a pas peur de se mettre quasiment à nu.

Outre son caractère timoré, Emery sur un terrain, ça donnait quoi ?
Bah en fait, tout le monde dit qu’il avait un bon pied gauche. Même aujourd’hui, quand il tricote le ballon au PSG, les joueurs trouvent qu’il a une belle patte. Tu as vu le physique qu’il a aussi ? J’aurais tellement aimé le voir jouer dans le football anglais. En seconde division anglaise, on aurait rigolé, je crois qu’il aurait abandonné directement. Je pense qu’il a payé son physique très frêle. Et ce mental, surtout. Mais c’était un joueur relativement correct, il a fait une carrière en deuxième division espagnole, donc déjà ce n’est pas le dernier des mauvais.

Adil Rami et Unai Emery en conférence de presse le 4 mai 2016. Photo Reuters.

Sur un banc, en tout cas, il a même prouvé qu’il faisait partie des tous meilleurs…
Indiscutablement. Mais il faut être conscient que le destin d’Unai n’a pas tenu à grand-chose, parfois. Tu as le match Irún – Lorca, qui est le plus grand de sa carrière ; le match contre Cádiz avec Almería, où s’il perd il risque de se faire virer ; ce Séville – Valence de la dernière journée où Séville gagne 4-3, prive Valence de la Ligue des champions, et étant donné que Malaga et le Rayo sont exclus des compétitions européennes, c’est Séville qui est qualifié.

T’imagines ? C’est un film d’Hitchcock le truc. Et huit mois après, t’as ce Valence-Séville en Europa League où il se fait traiter de fils de pute tout le long et à la 94e, t’as Unai qui s’arrache pour balancer le ballon à Coke et là t’as un but de M’Bia au bout du bout. C’est fou.

Le deuxième passage important de sa carrière de coach, c’est au Spartak Moscou. Il n’avait eu que des réussites globalement avant ça, et là il est tombé sur un os…
Je pense qu’avec les Russes, il y a eu des problèmes, mais au final c’est à tempérer, quand on voit les conditions et les résultats sportifs qui n’étaient certes pas exceptionnels, mais pas pires que ses prédécesseurs. En tout cas, c’est sûr que son passage au Spartak lui permet, en partie au moins, de réussir avec le PSG ; sans le Spartak il serait, je pense, un peu plus entêté. Il y a un basculement avant et après cette expérience.

Ça a permis à Unai et Carcedo, son adjoint, d’étoffer leur conception, d’apprendre des choses et d’avoir une autre vision, c’est-à-dire de voir des joueurs qui jouent au football sans vraiment l’aimer. C’est quelque chose qui leur coûte de voir des joueurs qui jouent sans passion. C’est d’ailleurs pour ça qu’aujourd’hui Unai s’entend bien avec Cavani ou Verratti, car ils aiment le ballon.

Tu évoques Carcedo, son adjoint de toujours. Quel rôle joue-t-il dans la réussite et l’équilibre d’Emery ?
Ce que l’on oublie souvent, c’est qu’Unai n’existerait pas sans Carcedo, et inversement. Carcedo, il a du caractère. S’il n’est pas d’accord avec Unai, il ne va pas se gêner pour lui dire. C’est lui qui s’occupe de tous les exercices de la partie défensive, c’est lui qui fait beaucoup de schémas sur les coups de pied arrêtés en s’inspirant du futsal, c’est un mec qui est plus proche des joueurs de par son rôle d’adjoint.

Tu as des exemples concrets ?
Par exemple, à Séville, il s’occupait beaucoup des Français et a eu un rôle clé avec Gameiro. C’est la même chose aujourd’hui avec Hatem au moment où il ne jouait pas. À un moment donné, à Almería, Emery faisait le mauvais flic tandis que Carcedo, lui, faisait le bon. Carcedo oblige Unai à se sublimer, il est dans l’échange et le remet en question à travers des arguments. Évidemment, Unai prend la décision finale, mais sans Carcedo il n’en serait pas là. D’ailleurs, Unai n’aime pas le culte de la personnalité. Il n’aime pas que l’on dise que c’est un génie… Il aime bien que l’on dise de lui que c’est une bonne personne, c’est tout.

On retrouve un peu la mentalité basque dont on parlait tout à l’heure…
Exactement. Carcedo, c’est la même mentalité, il vient du nord de l’Espagne aussi. Il a beaucoup vadrouillé dans sa carrière entre l’Atlético, Nice, Las Palmas, etc. Ces expériences-là lui ont servi à lui et Unai.

Par exemple, à Las Palmas, tu as une autre vision du football. Carcedo bossait beaucoup un football lié à la façon dont tu peux jouer dans la rue. Là-bas, tu as beaucoup de joueurs qui sont issus de ce football. Tu as un côté “à l’improviste” chez le joueur des Canaries. Le fait que Carcedo ait voyagé dans sa carrière, je pense que ça l’a ouvert à d’autres méthodes, d’autres types de jeu, et ça a internationalisé un peu sa pensée. Et je pense que ça, ça a fait du bien à Unai dès le début, très clairement.

Quelles sont les autres personnes qui ont contribué à faire d’Emery ce qu’il est aujourd’hui ?
Pour moi, l’un des personnages les plus importants que je fais parler dans mon livre, c’est Alberto Benito. Ils se sont connus il y a plus de vingt ans, à Toledo, en tant que joueurs. Ils ont habité ensemble, il était directeur sportif à Almería en même temps qu’Unai. Ils sont toujours amis et se côtoient encore aujourd’hui, donc c’est une personne qui a pu voir l’évolution d’Emery sur plus de vingt ans. C’est vrai que quand tu parles à ces mecs-là, ils te disent que jamais ils n’auraient pu imaginer qu’un être avec autant de doutes en tant que joueur devienne si sûr de lui par la suite.

Pareil pour Luis César Sampedro, l’entraîneur d’Emery à Ferrol, en Galice. A l’époque, le gros club de la région, c’est le Depor durant l’époque du Super Depor. Il m’a expliqué qu’Emery était fasciné par le jeu de La Corogne. Il s’attardait beaucoup sur l’importance des latéraux en phase offensive. Voir comment un latéral offensif s’incorpore dans le jeu sans bousculer l’équilibre de l’équipe. Quand tu vois le jeu d’Unai Emery aujourd’hui, tu te dis qu’il a été beaucoup influencé par ce passage-là. Unai, il a eu la chance d’avoir deux, trois gars pionniers comme Sampedro. Ce mec, il y a 15 ans, s’est intéressé à la psychologie, alors qu’en Espagne, à l’époque, en D2, tu courais et c’est tout.

Tactiquement, Emery est passé par une bonne école, puisqu’il a été formé à la Real Sociedad étant ado…
D’autant plus que là-bas, il a eu la chance de côtoyer Mikel Etxarri : c’est une personne de l’ombre, mais selon Raynald Denoueix, et je pense qu’il est légitime pour parler de ça, son ouvrage était peut-être l’un des meilleurs sur la tactique. Etxarri c’est un maître de la tactique, si j’ose une comparaison, c’est le “Bielsa basque”. Dans le sens où ce sont tous les deux des inventeurs, des génies. Etxarri c’est le vieux sage, je pense qu’Unai a appris beaucoup de lui.

Unai Emery, vecteur de passion. Photo Reuters.

Ça me fait un peu penser à des entraîneurs comme Jozef Vengloš (entraîneur slovaque passé à Aston Villa, ndlr). J’ai parfois eu l’impression de retrouver un peu du Slovaque dans ton livre. Dans le sens où Jozef a été un précurseur en Angleterre, qu’il a voulu apprendre de ses entraîneurs et garder des notes de tous les exercices qu’il pouvait faire. Un homme qui est arrivé 20 ans trop tôt.
Il y a un peu de ça. En fait, Emery a eu une chance, c’est qu’il est arrivé au bon moment. Travailler sur les coups de pied arrêtés, c’était du jamais vu. Même les touches, parfois il pouvait passer 35 à 40 minutes pour travailler une sortie de touche. Faut se rendre compte de la chose. Il pouvait arrêter un entraînement parce que ton buste était mal placé.

À ce point-là ?
Dans le travail défensif, c’était surtout Carcedo. Unai a été pionnier dans l’utilisation des coups de pied arrêtés et dans l’idée de s’inspirer des autres sports, je ne pense pas que beaucoup l’aient fait avant lui. Il s’est par exemple inspiré d’un entraîneur de troisième division espagnole, lors d’un match contre Albacete qu’il avait perdu, et où il avait vu toutes les stratégies qu’il y avait en face. Donc déjà, quand il jouait, il intellectualisait le jeu.

En somme, le manque de moyens force parfois les entraîneurs à plus de créativité….
C’est en tout cas la leçon qu’a tiré Unai Emery de sa carrière de joueur et d’entraîneur à ses débuts. Tu remarqueras qu’il a un énorme respect pour son passé, il parle souvent de Lorca par exemple. Alors que certains entraîneurs préfèrent mettre en avant les grands titres et ne sont pas forcément très fiers de leur passé, Unai c’est l’inverse. Il a toujours des contacts avec ses anciens clubs et ses anciens joueurs. Il a d’ailleurs suscité des vocations chez ces derniers, il a réussi à transmettre quelque chose. Cette influence, ça montre quand même que ce mec a quelque chose. Tu ne deviens pas entraîneur du jour au lendemain parce que tu as été influencé par quelqu’un.

Soit ça marche, soit ça ne marche pas. Mais c’est typiquement le genre de personne qui peut te donner l’envie d’apprendre un métier ou faire naître une vocation, comme on peut le voir avec des cuisiniers par exemple. Il ne laisse pas insensible dans tous les cas.
C’est complètement ça. Tu prends Rami par exemple…

C’est l’une des meilleures interviews du livre, d’ailleurs.
Il est exceptionnel. Mais Rami il s’est pris la tête avec Unai, et lui, en contrepartie, lui a pourri plus d’une fois la vie. Il y a un match où Rami, en gros, ne casse pas la ligne, donne mal la balle au latéral et ça sort en touche. Unai est devenu fou, il l’a tué. On était à deux doigts qu’il rentre sur le terrain pour aller l’insulter. Tout ça car il n’a pas relancé vers l’avant. Juste pour ça. Mais s’il fait ça, c’est qu’il sait comment réagir avec Rami. Adil m’a même dit “tu peux dire qu’Unai est mon daron avec grand plaisir.” Ils sont proches tous les deux. Ce n’est pas pour rien qu’Unai l’a fait venir à Paris pour discuter après le départ de David Luiz.

Unai Emery avec le premier livre de Romain Molina, “Galère Football Club”.

Qu’est-ce qui a pu rapprocher Emery, un tacticien, un stratège, et Rami, un affectif, un mec fantasque ?
Je vais te dire un truc sur Rami, c’est Vitolo et Feghouli qui m’en ont parlé. Adil Rami, c’est le pilier du vestiaire. L’année dernière à Séville, c’est lui qui a rassemblé toutes les communautés. C’est un polyglotte, un homme super sociable. Adil, c’est un capitaine de vestiaire. S’il doit te dire un truc, il viendra te le dire cash, que ce soit en bon ou en mauvais. Humainement, il est aimé par tout le monde. C’est un gros travailleur, très gros travailleur. Tu peux lui dire de faire des séances en plus, il ne râlera jamais. Il me fait penser à Alex, le défenseur brésilien. Ce n’était peut-être pas le meilleur défenseur du monde, mais ses coéquipiers savaient ce qu’il pouvait apporter dans un vestiaire. Et Adil Rami, il est comme il est, mais je peux te jurer qu’ils ont adoré jouer avec lui. Et qu’ils ont encore plus aimé la personne qu’il est.

Ça vient aussi certainement de sa vie passée.
Il y a de ça, très certainement. Même sa mère lui disait, «faut que tu retravailles avec Unai car vous deux c’est compatible». Et faut toujours écouter sa maman d’après Adil. Ce sont deux passionnés, ils ont un peu tout connu. Après, tu as Banega aussi quand même.

Banega c’est dans un autre sens, je trouve. Quand on lit son interview dans ton livre, on voit qu’il a été profondément marqué par Emery. C’est limite s’il ne pouvait pas se tuer pour lui. Et c’est peut-être aussi là la force d’Emery, d’être une sorte de chef de guerre qui arrive à fédérer des soldats pouvant aller au front pour lui.
Adil Rami, Vitolo, Coke, Pareja et tout ça, ils y vont sans problème, ouais.

C’est peut-être ce qui manque aujourd’hui au PSG.
C’est en train de prendre quand même. Cavani, au front, lui, il y va. Avec Verratti, ils sont aussi toujours dans le discours, ils échangent énormément. Il y a quelque chose entre eux deux. Thiago Motta, c’est la même chose.

Après je pense qu’Unai a une facilité avec les mecs compliqués à gérer, ou plutôt pour les marginaux. Regarde, Mata est un marginal dans le milieu, il n’a pas la mentalité d’un footballeur classique. À la base c’est un homme qui doute de lui, qui est dans l’intellect terrible, dans l’émotionnel. J’ai d’ailleurs demandé à Carcedo s’il ne retrouvait pas du Emery dans Mata et il m’a dit “on ne peut pas savoir ce qu’il va devenir, mais c’est vrai que quand tu réfléchis, Juan peut faire comme Unai. Ils ont les mêmes prédispositions au doute, à la passion, à l’intellect, à la lecture.” Il est à part dans le milieu du football, mais à la rigueur c’est facile de s’entendre avec lui.

Mais regarde un type comme Felipe Melo ! À Almería, ils avaient peur qu’il tue quelqu’un. Ils ont eu une phrase exceptionnelle, «on l’a signé parce qu’il était fou.» Unai t’accepte comme tu es et il va composer avec ça. Avec Felipe, il lui parlait beaucoup de l’importance de son père. C’est fort de gérer des Gary Medel, Felipe Melo, Ever Banega, Rakitic, etc., en faisant en sorte que ça se passe bien. C’est qu’il a quelque chose.

Dans l’autre sens, il a aussi dû gérer des joueurs comme Jesus Navas.
Navas, c’est l’Andalou de base. C’est les tapas, sa maman, ses amis. Jesus Navas, tout le monde dit que c’est quelqu’un d’adorable, c’est une crème. Ça s’est très bien passé avec Unai, mais c’est sûr qu’il n’allait pas lui parler de la même façon qu’avec Adil Rami.

J’ai finalement l’impression qu’il humanise beaucoup la profession et le monde du football plus généralement. Qu’il voit et s’intéresse à l’homme avant toute chose.
Je crois qu’il va traiter la personne de la même manière, que tu sois jardinier ou joueur. Là-dessus, il est comme Ancelotti qui a toujours donné autant d’importance au jardinier qu’au joueur. C’est la même idée. Après, pour Unai, et c’est son frère qui le dit, il pense que les personnes sont honnêtes. Il a toujours un a priori positif sur les gens. Si je veux aller plus loin, je dirais même qu’Unai vit dans «le monde d’Unai Emery», c’est-à-dire où il ne voit le mal nulle part. C’est aussi pour ça qu’il est aussi franc, ce n’est pas pour faire du mal à la personne, mais c’est pour la faire progresser. Après ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les joueurs, c’est ce qui ressort de mon travail d’enquête. Par exemple, Aurier, il adore Emery pour ça, c’est un bonhomme. Il te dit les choses.

C’est là qu’on en revient à l’image du professeur d’université qui va vouloir déstabiliser son élève, ne pas le laisser sur ses acquis, sur un socle de connaissances et d’idées. Il est plutôt dans cette idée que rien n’est figé, la culture, les connaissances et les compétences évoluent avec cet effet de déstabilisation. Tu ne restes pas sur une base, mais tu cherches à progresser.
Exactement. C’est cette idée que l’on retrouve dans sa volonté de faire évoluer des joueurs à plusieurs postes, comme Mata. C’est pour le mettre en difficulté, lui montrer d’autres compétences et le faire progresser. Il n’aime pas les choses figées. Unai est toujours dans l’idée de vouloir s’améliorer. Cet exemple, c’est parfaitement ça. C’est la même idée que l’on retrouve dans le titre du livre, “El Maestro”, dans le sens espagnol du terme, c’est-à-dire “le professeur”, ça prend tout son sens.

Et pourtant, “e professeur” n’a jamais été un élève brillant…
Unai a été dans une école basque. Ce n’était pas le meilleur des élèves, il était un peu trop dans le football déjà à cette époque, je pense. Puis bon il séchait la première heure de cours du matin, ou alors il y allait avant, pour aller voir les poissons arriver dans une auberge du coin. Tu sais, Unai c’est un peu chasse et pêche. Il est très poète, il peut te parler des montagnes, des collines, de l’eau, mais même parfois il peut faire des causeries comme ça où il va parler de la vie, de l’amour. Il est très spirituel et a un côté romantique.

Mais sinon, c’est une personne qui aime étudier par lui-même, il s’est vite intéressé au métier d’entraîneur où il a passé ses diplômes super tôt, il a suivi un cursus dans la gestion des entreprises sportives avec Carcedo, son adjoint. Il a une culture générale, c’est loin d’être un abruti.

J’ai eu l’occasion de lire ton livre en écoutant du Lucio Bukowski à côté, je ne sais pas si tu connais, mais au final ses chansons m’ont parfois fait penser à Unai Emery. Dans le fait de vouloir encourager l’éveil et la culture chez son auditeur, de toujours penser que l’on peut apprendre de tout, à chaque instant. Il dit notamment que “la culture véritable s’acquiert en scred”, une phrase qui semble plutôt bien coller à Emery quand on analyse son parcours et l’homme qu’il est.
Je ne connais pas, mais dans ce que tu me dis, je pense que tu pourrais faire rencontrer Unai à cette personne. Je pense même qu’il pourrait se servir de ses paroles dans une causerie par exemple, il en est capable. Comme tu le dis, Unai c’est le travail de l’ombre, il découvre par lui-même à travers la lecture, l’avis de l’autre. Il peut aller à des conférences, il va écouter, poser des questions. C’est presque un véritable universitaire, dans le sens noble du terme. C’est-à-dire qu’il cherche à comprendre, pas à apprendre.

L’une des choses marquantes est aussi son rapport avec les livres et la lecture en règle générale. Que ce soit à travers ses lectures personnelles qui l’ont marqué profondément dans son évolution humaine, mais aussi dans sa volonté de partager cet apprentissage et l’amour des livres à ses propres joueurs. Tu racontes notamment qu’en Espagne, il achetait des livres pour ses joueurs en pensant que cela pouvait les aider.
Guardiola le fait également, Sir Alex Ferguson aussi. En Équipe de France aussi il me semble qu’il y avait eu une tentative, mais seulement deux joueurs s’y étaient intéressés, Lloris et Evra je crois. Mais par exemple, Pat Evra, c’est un type qui est très réceptif à ça. Tous les grands joueurs NBA, notamment Kobe Bryant qui avait expliqué ses lectures, un jour, lors d’une conférence organisée par Nike, ou encore Parker, le font.

Unai a cette approche, se disant que ça peut peut-être aider. Bon, il n’est pas fou, il sait que certains joueurs s’en tapent et ne voient pas l’intérêt de lire un livre. Mais il sait aussi que chez d’autres, un livre va pouvoir l’aider, que ce soit sur le terrain ou dans sa vie personnelle.

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C’est une chose qui se rattache au côté universitaire dont tu parlais. Dans le sens où un professeur n’intéressera jamais la totalité d’une promotion de 250 élèves, mais si tu arrives toucher une poignée de ces élèves à travers ton enseignement, tes conseils et les lectures proposées, tu peux considérer ça comme une réussite personnelle.
Complètement. Il explique ça quand il est à Valence et qu’il a acheté des livres pour le vestiaire. Il a été heureux de voir qu’une bonne partie de l’équipe avait lu ces livres. Grâce à ça, ils ont pu échanger. Les joueurs voulaient savoir pourquoi Unai avait choisi ces livres en particulier tandis que de l’autre côté, Unai voulait savoir ce qu’ils retenaient de ces livres. C’est l’un des moments qui l’a le plus touché dans sa carrière, tout simplement car il adore ces échanges et ces discussions.

Faut quand même savoir qu’Unai, en tant que joueur, lisait tellement dans les bus lors des déplacements qu’il en avait parfois la nausée. C’est l’un de ses anciens présidents qui m’avait raconté ça. Pour lui, c’est super important. On pourrait croire que c’est un détail, mais pour lui c’est une composante importante de l’homme et du sport. Il ne dissocie jamais l’effort physique de l’effort intellectuel. J’en avais parlé avec Mata, et justement Unai lui aurait parlé de ça en lui disant qu’en gros, il n’y a que les imbéciles qui peuvent dissocier les deux. Il prenait l’exemple de tout ce qu’un joueur de football doit gérer, dans son rendement, la prise de décision, etc., et Unai ne veut surtout pas dissocier les deux. Et c’est ça qui est très intéressant dans son approche.

A voir son parcours et les valeurs qu’il prône, Emery semble nager totalement à contre-courant du foot tel qu’on le connaît, financiarisé, marketé, et gangréné par les transferts frauduleux ou les paris illicites. Mais paradoxalement, il entraîne une équipe qui incarne en partie ce foot business. Quelle est sa position sur le sujet ?
Il faudrait lui demander. Je pense qu’il ne se préoccupe pas trop de ces questions-là. Lui il veut s’accomplir, gagner et être heureux. Là-dedans, l’évolution du football est une composante qu’il ne peut pas maîtriser. En soi, Emery ou Guardiola n’y peuvent rien de voir cette évolution dans le sport. Ils n’ont aucune influence là-dessus. Ce qui les animent, c’est continuer à faire ce qu’ils aiment.

Je sais une chose, par contre, c’est qu’une heure avant les matchs, Unai va sur la pelouse tout seul. Il regarde, il aime l’architecture d’un stade, la manière dont la lumière entre dans un stade. Il veut des tribunes qui bougent, il n’aime pas qu’un stade soit triste. C’est peut-être la seule chose qui pourrait le rendre vraiment triste dans le foot moderne.