À ce stade du championnat, il y ait de fortes chances pour que vous ayez déjà vu Bleu Blanc Satan, notre nouveau documentaire consacré à la scène black metal française du début des années 1990, et que vous l’ayez soit totalement adoré soit complètement détesté. Ce sont très clairement les deux seules réactions recevables pour le documentaire de Camille Dauteuille et Franck Trébillac, qui, en évitant soigneusement tous les clichés inhérents au genre et en s’intéressant davantage aux identités, aux choix, et aux rapports à la société de ses protagonistes plutôt qu’à leur parcours strictement musical, ont donné naissance à un film aussi personnel que radical.
Nous sommes allés passer un moment avec eux pour en savoir un peu plus sur leurs motivations, sur la façon dont le tournage s’est déroulé et sur cet incroyable plan final.
Noisey : Ce documentaire, c’est un projet que vous aviez depuis longtemps ou quelque chose qui vous est venu à l’esprit récemment ?
Franck Trébillac : Camille et moi avons grandi ensemble dans un bled de la Drome, Montélimar. Chacun a ensuite suivi son chemin et on a fini par bosser tous les deux dans la réalisation, lui à Paris et moi à Londres. Ça faisait des années qu’on parlait, à chaque fois qu’on se voyait, de faire un docu sur le black metal. C’est donc un projet qui à eu le temps de germer.
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Camille Dauteuille : Dès qu’on buvait 3 bières, on parlait de notre adolescence et du black metal, et on se disait qu’il fallait faire un documentaire là-dessus – il y avait tout les ingrédients d’un bon film, et pour ma part il y avait une certaine nostalgie aussi. En vieillissant, on peut aborder ce type de sujet avec plus de distance…
FT : Je suis allé fouiller dans mes vieux cartons dans le grenier de mes parents où j’ai retrouvé tout mon courrier de l’époque et tout un tas de démos – dont quelques unes sont maintenant de belles raretés. C’était assez étrange de se replonger dans les vestiges de mon adolescence.
Quel est (ou a été) votre rapport au black metal ? A quel point avez-vous été impliqués dans cette scène ?
CD : On a vécu le black metal vraiment au début de la scène – Franck était le satan worshipper du lycée. J’écoutais du metal mais à l’époque le black metal était quelque chose de secret, avec une esthétique forte, il y avait des règles strictes qu’il fallait suivre, tu correspondais avec des groupes un peu partout dans le monde… Et puis, les groupes étaient vraiment bons, tout simplement.
FT : Pour moi, ça remonte à 1993/94. J’ai découvert le black metal en passant par le death metal. Le death n’était, pour moi, qu’un léger flirt : ce n’était pas quelque chose dans lequel je pouvais me projeter. En revanche, le black metal à été un coup de foudre instantané. C’était nouveau, excitant, dangereux et ça ne s’arrêtait pas juste à un style de musique, il y avait un mode de vie qui allait avec, dans lequel je me retrouvais. Il y avait cet aspect authentique que je ne retrouvais pas dans les autres musiques extrêmes. Du jour au lendemain, il n’y avait plus rien d’autre qui comptait à mes yeux de jeune ado. J’étais dans une obsession totale. Ce qui est intéressant c’est que ça se passait dans un époque pré-internet où tout se faisait par courrier. Les informations étaient très difficile d’accès et il fallait vraiment donner de sa personne. Mais je trouvais ça séduisant, plus c’était difficile d’accès et plus je voulais creuser. Cette recherche donnait de la valeur aux choses.
C’est quelque chose qui vous intéresse toujours aujourd’hui ?
CD : Depuis Bleu Blanc Satan, je me suis replongé dans le black metal jusqu’au cou, et je trouve ça toujours aussi fort et puissant. Il y a de nouveaux groupes français qui sont très bons d’ailleurs, Murmuüre ou Ende par exemple.
Bleu Blanc Satan est un film davantage basé sur des personnes, des identités, plutôt que sur l’histoire ou les faits. C’était un parti-pris dès le départ ? Ou c’est quelque chose qui s’est dessiné pendant le tournage ?
CD : Ça s’est construit au fil tournage et des rencontres. On a élaboré le documentaire avec les témoignages des différents intervenants. Ces personnes, qui font du black metal depuis 25 ans, voulaient avant tout parler de leur investissement artistique, de leur choix de vie, plutôt que de la musique ou de la scène elle-même. Ça nous a assez surpris au départ, mais je pense que c’est ce qui donne ce ton très cinématographique au film.
FT : L’histoire du black metal, tout le monde la connaît, ça n’aurait eut aucun intérêt de revenir à nouveau là-dessus. Au départ, notre intention était de faire un commentaire social en recueillant les témoignages des personnages et en y mélangeant notre propre expérience. La toile de fond du docu c’est le black metal, mais le vrai sujet ce sont les conséquences sociales de leurs choix de vie. Comme l’a précisé Camille, la plupart des intervenants du docu sont des gens qui ont dédié 25 ans de leur vie au black metal et à ce mode de vie. Ils ont une expertise et un recul hyper intéressants.
Comment avez-vous choisi les intervenants du documentaire ?
CD : On a d’abord contacté les gens dont on écoutait les disques à l’époque, ceux qui nous touchaient le plus. Et puis toutes les personnes qu’on trouvait intéressantes. Certains ont dit oui, d’autres on refusé, d’autres n’ont jamais donné de réponse. Pour l’anecdote, quand j’ai appelé Hervé d’Osmose, il a commencé par m’insulter pendant dix minutes avant de comprendre ce qu’on voulait faire. C’est une scène fermée, où la méfiance envers les médias est énorme.
FT : Certains choix s’imposaient d’eux-mêmes. Mütiilation et Osculum Infame étaient parmi les tout premiers groupes black metal français. Osmose et Drakkar sont des labels qui ont étés des acteurs majeurs de la scène. Ça s’est beaucoup basé sur nos goûts de l’époque: les groupes qu’on écoutait et les labels chez qui on achetait des disques.
Pour Thurston Moore, on trouvait intéressant d’avoir le point de vue de quelqu’un d’extérieur, avec une carrière musicale importante, sans relation au black metal. Son témoignage prouve bien l’importance du black metal français sur un plan artistique.
Il y a aussi évidement d’autres groupes que nous aurions aimé avoir dans le docu mais qui ont refusé. Je pense notamment à Vlad Tepes et Belkètre. On les a approchés et ils nous ont répondu de manière très détaillée, nous expliquant précisément pourquoi ils refusaient. Même si j’étais un peu déçu, car je pense que leur point de vue aurait été intéressant à entendre, c’était assez cool de voir qu’ils avaient gardé l’éthique qu’ils avaient l’époque.
Vous avez filmé chaque intervenant chez lui, dans son « milieu naturel ». Vous pouvez nous parler des lieux où vous avez été pour le film ? C’est d’ailleurs quelque chose que vous avez beaucoup mis en avant, tout l’aspect rural/sauvage, qui est une composante importante de la mythologie black metal.
FT : On a laissé carte blanche aux intervenants. Ils pouvaient nous emmener dans les lieux de leur choix. Du coup, ça fonctionnait assez bien car ils se sentaient chez eux. L’aspect rural, c’est parce qu’à l’époque il n’y avait qu’un seul groupe sur Paris, c’était Osculum. Tous les autres groupes venaient de province reculée. C’est assez intéressant, cette idée d’isolement social et de recherche d’une culture difficile d’accès.
CD : C’était aussi notre environnement à l’époque, qu’on voulait retranscrire à l’écran. Y’a quelques private jokes d’ailleurs.
Le film est très radical dans ses propos, très noirs et pessimistes. Mais vous avez évité les sujets politiques, qui sont la source de pas mal de dérapages et clichés inhérents au genre plupart des clichés. C’est un truc auquel vous avez fait attention ou pas du tout ?
CD : Pour être honnête, on à pas essayer d’éviter quoi que ce soit. Ce film est un témoignage, pas une analyse. On a discuté simplement avec des personnes qui ont des positions fortes et des choses concrètes à dire. J’espère que le film explique en quoi cette scène française est aussi particulière, avec ce côté dépressif, vicieux – plus Baudelairien d’une certaine manière. Si on avait fait la même chose dans un pays scandinave, ça aurait été plus Vikings, force et fierté j’imagine.
FT : Ce n’est pas quelque chose qu’on voulait nécessairement occulter. C’est un aspect qui fait partie de la scène et de son histoire et ça aurait été intéressant d’en parler. Le seul problème était que le docu devait tenir dans un format de 45 min. Il aurait fallu consacrer beaucoup d’espace à ce sujet aux dépens du reste. Du coup, il a fallu faire l’impasse sur certains groupes, je pense notamment a la scène de Toulon. Mais dans le cadre d’un long métrage, on aurait pu en parler.
Vous pouvez nous parler du dernier plan du film ?
CD : Je ne suis pas superstitieux du tout, mais quelques fois il y a de heureux hasards.
FT : On venait de finir le tournage après deux semaines sur la route. On avait prévu de passer chez mes parents à Montélimar, pour y faire quelques images et célébrer la fin du tournage. À l’entrée de la ville, on est tombés sur cet immense incendie. C’était une usine de pneus, d’où l’intensité de la fumée. C’était à la fois poétique et terrifiant.
Quels sont vos projets pour la suite ?
FT : On a toujours plein de projets en même temps chacun de notre coté, mais on réfléchit ensemble à d’autres sujets de documentaires.
CD : Personnellement, je vais tourner un court métrage bientôt sur un tout autre sujet mais j’avoue que l’expérience Bleu Blanc Satan me trotte dans la tête pour écrire quelque chose plutôt du côté de la fiction.