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Une histoire accélérée de la gastronomie chinoise en France

Quand on parle de cuisine chinoise en France, la première image qui vient à l’esprit, c’est celle du traiteur qui propose plus ou moins les mêmes plats – le triptyque « poulet ananas/riz cantonais/boule coco ». Bien sûr, vous avez toujours un pote qui connaît la meilleure cantine de dimsum ou la meilleure gargote à travers de porc. Mais il serait probablement bien incapable de vous expliquer comment on en est arrivé là.

Difficile de dire quand est-ce que l’idylle entre les Français et la cuisine de l’Empire du Milieu a commencé. Peut-être en 1889, lors de l’Exposition Universelle à Paris. Peut-être avec les marins d’Orient qui débarquent dans le port du Havre. De l’avis des spécialistes, elle s’est diffusée à mesure que la France devenait une destination privilégiée par les immigrés chinois.

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Pendant la Première Guerre mondiale, ils sont 140 000 à s’installer dans un pays exsangue pour remplacer la main d’œuvre partie au front. Des Chaozhou dans le XIIIe arrondissement aux Wenzhou à Belleville, les différentes vagues migratoires dessineront aussi bien la configuration actuelle de la communauté chinoise que le paysage culinaire parisien.

MUNCHIES a demandé à Yu Zhou, gastronome et auteur de La Baguette et la fourchette (paru chez Fayard) ainsi qu’à William Chan Tat Chuen, historien et auteur de Canard laqué, canard au sang (paru aux éditions de l’Épure) comment la cuisine chinoise s’était implantée en France et comment elle avait évolué pour devenir celle que l’on connaît aujourd’hui.

À quoi ressemblaient les débuts de la cuisine chinoise en France ?

William Chan : Les premiers restaurants chinois ont ouvert dans le quartier Latin à Paris. C’était notamment pour satisfaire une clientèle composée d’étudiants chinois, dans les années 1930 ou 1940, venus faire leurs études en France et les rares clients qui avaient voyagé en Asie. C’était une cuisine plutôt économique et du quotidien. Le but, à l’époque, c’était de se nourrir. Ce qui ne veut pas dire que les plats n’étaient pas bons.

Le tout premier était situé près du Panthéon, rue Royer-Collard. Et les deux premiers restaurants gastronomiques étaient le Chung Fat Lung (1920-1939), rue des Carmes et le Wan Hua (1921-1940), rue de l’école de médecine. La clientèle était plutôt composée de diplomates, de riches américains ou anglais et des enseignants japonais.

Yu Zhou : Les premiers restaurants qui ont ouvert en France étaient souvent tenus par des gens qui n’avaient pas fait d’étude. En Chine, la cuisine n’est pas considérée comme un métier aussi honorable, respectable et valorisant, contrairement à la France où les chefs sont des stars.

Pourquoi y a-t-il eu ensuite une uniformisation de la cuisine chinoise ?

Yu Zhou : La plupart des restaurants chinois n’étaient pas tenus par des professionnels. Pour les immigrés, c’était un moyen de survivre. La rentabilité était une priorité. Ils ne pouvaient donc pas se permettre de faire une cuisine différente, de trouver les mêmes ingrédients qu’en Chine. Ces contraintes économiques les obligeaient à s’approvisionner chez des industriels.

En plus, celle qu’on trouve encore majoritairement n’est qu’une variété de la cuisine chinoise. En Espagne, par exemple, c’est une cuisine beaucoup plus grasse. En Angleterre, c’est plutôt la cuisine de Hong Kong qui s’est imposée.

William Chan : Ce que je retiens c’est que l’image de la cuisine chinoise reste celle d’une cuisine économique. Tous les traiteurs proposent des menus autour de 7 ou 8 euros. Automatiquement, on ne peut pas être dans des produits d’exception. Mes amis qui ont géré ce genre de restaurants me disent que, dans l’imaginaire du mangeur français, les plats qui reviennent le plus souvent quand on parle de Chine, ce sont : le riz cantonais, le canard laqué, les légumes sautés, le chop suey, les rouleaux de printemps, les boules coco et la banane flambée.

Lorsqu’on commence à parler de raviolis ou de nouilles tirées à la main, on est déjà chez des mangeurs ouverts à d’autres culture et à d’autres saveurs. Je me rappelle avoir fait goûter des nouilles dans un bouillon à des cuisiniers français, ils étaient un peu déroutés. Je pense que la cuisine chinoise pâtit un peu de sa complexité, contrairement, par exemple, à la cuisine japonaise qui est plus lisible. En Chine, on est dans des associations de produits, de couleurs et de textures. Il y a quand même une démarche plus complexe. Pour le consommateur occidental, il y a un temps d’adaptation.

Est-ce qu’il y a la place en France pour une gastronomie chinoise haut de gamme ?

William Chan : Il y a toujours eu plusieurs niveaux de gastronomie : de la cuisine du quotidien à la cuisine haut-de-gamme. Je trouve que, depuis quelques années à Paris, on a la chance d’observer une montée en gamme à tous les niveaux. On est sorti des plats classiques avec l’ouverture du Peninsula ou du Shangri-la, avec des vrais chefs avec un parcours reconnus et un regard sur la qualité et la provenance du produit.

Je constate aussi qu’il y a des chefs français qui s’intéressent à la cuisine chinoise et qui veulent aussi la servir mais avec des codes à la française. Je pense au restaurant Tao Kan par exemple ou à Adeline Grattard qui proposent une cuisine asiatique plutôt adapté à un mode de consommation à la française.

Yu Zhou : Dans les années 1990, chez Chen a été le premier restaurant chinois à obtenir une étoile dans le Guide Michelin. Mais aujourd’hui, il n’y a pas encore vraiment de chefs d’origine chinoise reconnus en France. Ce n’est pas le cas des chefs japonais qui sont au moins une dizaine à séduire la critique.

Comment le paysage des restaurants chinois a évolué ?

Yu Zhou : Il a beaucoup changé. Maintenant, il y a aussi beaucoup de jeunes immigrés chinois qui ont souvent fait des études. Ils ont une mentalité plus ouvertes et ils apprennent plus vite. Ils observent notamment ce qui se passe dans les restaurants français. Aujourd’hui, toutes les régions de Chine sont représentées alors qu’au début, il y avait surtout des Cantonnais ou des ressortissants chinois de pays étrangers, du Cambodge ou du Laos.

Je constate par exemple qu’il y a beaucoup de restaurants spécialisés dans la cuisine du Sichuan, réputée pour être épicée, ou la cuisine pékinoise. Après, c’est un peu comme la mode. La cuisine évolue. Parfois, elle n’est plus au goût du jour. Il y a beaucoup de restaurants chinois qui sont restés figés dans le temps alors même que la Chine et sa cuisine ont changé. C’est comme quand vous voyez quelqu’un porter des habits des années 1960. Ça fait toujours un peu bizarre.

William Chan : J’ai observé un développement des cuisines régionales ces dernières années. Je pense qu’on peut maintenant manger des plats beaucoup plus variés, du Sichuan ou du Dongbei, et identifiés comme tels. Il y a eu aussi un vrai travail de vulgarisation, dans le bon sens du terme. Je prends par exemple la cuisine du Sichuan qui donne une sensation d’engourdissement en bouche avec le poivre de la région. Je sais qu’il y a beaucoup de Français qui en raffolent, alors que la saveur est pourtant très éloignée des goûts français.

Ce que je note aussi, c’est qu’il y a aussi eu des modes, comme les raviolis, les bubble teas ou le baozi, la brioche qui existait dans les Chinatowns depuis longtemps mais qui n’intéressait vraiment personne. Le dernier restaurant qui a ouvert du côté de Port Royal, Ducky’s Asian Street Food, fait des bao au canard laqué. Mais ce sont des phénomènes très parisiens. Ces restaurants répondent aussi à une nouvelle demande, celle de la clientèle chinoise qui demande des saveurs plus authentiques.

Quelles sont les similitudes entre la cuisine chinoise et la cuisine française ?

William Chan : Je me suis rendu compte qu’on a toujours besoin de repères quand on avale la première bouchée d’un plat qu’on ne connaît pas. On se réfère souvent à des goûts qu’on maîtrise pour se rassurer. Ces points de convergence entre la cuisine chinoise et la cuisine française se jouent sur l’Histoire et la technique. On voit qu’il y a beaucoup de similitudes.

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Par exemple, quand j’étais en Alsace, on me disait que la choucroute venait de Chine. Là-bas, le xuancai existe effectivement depuis très longtemps, sauf qu’on ne le mange pas de la même façon. Pareil avec les quenelles de brochet à la lyonnaise qui m’ont immédiatement fait penser aux quenelles de poisson à la Cantonaise.

La force de la cuisine chinoise, c’est d’avoir comme en France une grammaire culinaire. Il y a des cuissons de base qui font que, dès qu’un produit arrive, on a tout ce qu’il faut pour le mettre en valeur et le sublimer.