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Une IA finit une partition inachevée, 115 ans après la mort du musicien

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En novembre prochain, l’orchestre philharmonique de Prague jouera le troisième et dernier mouvement de « From the Future World », une œuvre composée par une intelligence artificielle à partir d’une partition inachevée du compositeur de musique classique Antonín Dvořák, 115 ans après sa mort. L’orchestre sera dirigé par Emmanuel Villaume.

Ce concert est l’aboutissement d’une commande passée l’année dernière par Richard Stiebitz et Filip Humpl, directeurs créatifs de l’agence de publicité internationale Wunderman, auprès de la start-up luxembourgeoise AIVA Technologies.

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« Nous voulions voir si l’intelligence artificielle pouvait être utilisée de manière positive dans le processus créatif, explique Stiebitz. Parce que les humains ont peur de l’IA, ils pensent qu’elle va les remplacer. Mais je suis optimiste, et je sais que si les gens apprennent à l’apprivoiser, elle pourra se révéler très utile. »

Depuis 2016, AIVA (pour « Artificial Intelligence Virtual Artist »), compose des « bandes sonores émotionnelles » pour des films, des publicités télévisées et des jeux vidéo. Sa mission : compléter une symphonie à partir d’une partition pour piano en mi mineur inachevée de deux pages écrite par Dvořák. Un défi que Pierre Barreau, PDG et cofondateur de la start-up, s’est dit heureux de relever.

« L’IA étant souvent abstraite, ce projet nous permettra de montrer ce qu’elle est capable de faire, en réponse aux nombreuses craintes qui l’entourent, dit-il. Le but n’est pas d’exclure les humains de l’équation, mais plutôt de les amener à collaborer avec l’IA. »

Bien que ce ne soit pas la première fois qu’une IA termine l’œuvre d’un compositeur, le concert de novembre marquera la première fois qu’une telle composition sera interprétée à une aussi grande échelle et dans une salle aussi importante.

L’intelligence artificielle d’AIVA met généralement moins d’une minute pour composer un morceau lorsque la demande est basée sur un style de musique qu’elle maîtrise déjà. Mais la composition de Dvořák a pris environ 72 heures. AIVA s’est basée sur 30 000 partitions ainsi que les 115 œuvres du compositeur (dont sa célèbre Symphonie n° 9, « New World ») pour apprendre un tout nouveau genre musical dans le cadre de ce projet.

AIVA a ensuite généré des centaines de possibilités. Barreau et son équipe ont sélectionné le morceau qui se rapprochait le plus du style de Dvořák. La pièce en trois mouvements a été achevée en décembre 2018.

Bien que la compagnie de Barreau dispose d’un enregistrement numérique des trois mouvements joués par des instruments virtuels, il n’existe à ce jour qu’un seul enregistrement humain du premier mouvement, joué à Prague par le célèbre pianiste tchèque Ivo Kahánek en avril dernier. Le deuxième mouvement sera interprété par l’orchestre philharmonique de Prague dans le cadre du festival Rock for People qui se tiendra début juillet dans la ville de Hradec. Les enregistrements des deuxième et troisième mouvements sont toujours en cours.

S’il est inhabituel pour l’orchestre philharmonique de Prague d’interpréter une composition générée par une intelligence artificielle, Stiebitz estime que les musiciens ont pour mission d’interpréter la musique du compositeur, que celui-ci soit humain ou non. « Les interprètes apportent quelque chose de différent à la musique. J’en ai été témoin. Je pourrais comparer la version MIDI à la version live. Cette dernière a quelque chose de plus, grâce aux humains », dit Stiebitz.

La directrice de l’orchestre philharmonique de Prague s’est dite profondément touchée par l’enregistrement MIDI de la composition d’AIVA, en particulier par le troisième mouvement – ce qui n’a pas manqué de surprendre Stiebitz.

Parce qu’AIVA Technologies est entièrement composée de musiciens et que les clients de la start-up sont principalement des compositeurs, Barreau insiste : leur intelligence artificielle ne va remplacer personne, car les humains doivent être présents pour prendre des décisions sur la façon dont elle va fonctionner.

Les clients qui envisagent de travailler avec AIVA ont souvent des doutes sur la place de l’IA dans la créativité et se demandent si elle devrait ou va remplacer les humains. Mais selon Barreau, une fois qu’ils ont essayé le produit, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas esclaves de l’IA.

« C’est même tout le contraire. L’IA les aide à répondre à un besoin spécifique. Elle peut créer des idées pour les artistes, mais ce sont eux qui choisissent ou non de les développer, dit-il. L’IA peut aider à mieux composer. Et je pense qu’il n’y a rien de mal à être plus créatif, quels que soient les outils que vous utilisez. »

À noter qu’AIVA est devenue le premier artiste virtuel reconnu en tant que compositeur par une organisation de défense des droits d’auteur : la SACEM. Cela signifie que ses créations sont protégées au même titre que celles d’un compositeur humain.

Vivienne Ming, experte en intelligence artificielle et en neurosciences théoriques, est d’avis que « du moment que l’art généré par intelligence artificielle est assorti de limites bien précises, l’intelligence artificielle peut être un outil puissant qui accélérera grandement le processus créatif pour les artistes humains ». L’intelligence artificielle d’aujourd’hui et de demain, comme les réseaux de neurones profonds et les technologies similaires, est un outil qui peut être utilisé « pour explorer des combinaisons improbables ou non testées… et étendre le champ des possibles de la créativité humaine ».

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