Des poules parquées les unes contre les autres, des oeufs couverts de poux, des asticots grouillant sous les cages. Ce sont les images chocs dévoilées ce mercredi par l‘association de défense des animaux L214. Celle-ci assure que sa nouvelle vidéo a été tournée en avril dernier dans le GAEC du Perrat, un site d’élevage à Chaleins, dans l’Ain, composé d’une porcherie et d’un poulailler qui compte 200 000 poules pondeuses.
Dans cette vidéo (obtenue par l’intermédiaire d’un employé, nous dit L214), l’association veut dénoncer « les conditions de vie pour les animaux, les conditions sanitaires et les conditions de travail des employés » du poulailler, jugées « déplorables ». La vidéo montre des dizaines de poules enfermées dans des cages, qui « ne voient jamais la lumière du jour ». Les oeufs sont recouverts de poux. Des asticots sont visibles sous les cages. Et à l’intérieur, des cadavres de volaille se décomposent au milieu des bêtes vivantes.
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ATTENTION : Les images présentées dans la vidéo ci-dessous peuvent choquer.
Contacté, le GAEC du Perrat n’a pas souhaité commenter cette vidéo. Sur son site, l’élevage défend son mode de production. Il assure que « bien qu’il soit dénigré à l’heure actuelle, [l’élevage des poules pondeuses en cage] est pourtant l’un des seuls pouvant vous garantir une réelle fraîcheur des oeufs ». Il précise que « la poule en cage bénéficie d’une sécurité bactériologique parfaite » et que « l’élevage est soumis à des contrôles sanitaires chaque mois ».
Dans un article publié ce mercredi par le Monde, Dominic Raphoz, cogérant du GAEC du Perrat, a affirmé avoir déboursé 4 millions d’euros en 2012 pour rénover l’exploitation de 20 salariés. « Certains travaux avaient pris du retard. Il s’agissait de mettre en place une ventilation dans le hangar à fientes, afin d’en améliorer le séchage », a-t-il déclaré. « On travaille avec du vivant. On n’est donc pas à l’abri de nuisances, même si on fait tout pour les réduire. Cela arrive dans tous les autres élevages du pays. »
L’association L214, qui a déjà diffusé plusieurs vidéos dénonçant des situations problématiques dans des abattoirs, a eu en sa possession des images tournées à l’intérieur de cet élevage dès 2013. Mais celles-ci ont été interdites de diffusion par le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse au mois de juillet de la même année.
Cette fois-ci, L214 entend bien interpeller les acteurs concernés. « Nous voulons diffuser les images avant tout, pour faire réagir la préfecture. Le message est aussi destiné au consommateur », nous a expliqué Sebastien Arsac, porte-parole et co-fondateur de l’association, contacté ce mercredi. Une enquête a en effet été menée par les membres de l’association qui ont découvert des oeufs issus de cet élevage vendus sous la marque Matines. Selon eux, les oeufs étaient distribués par les enseignes Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché et Super U.
« Sur la coquille des oeufs, on peut lire un code. Les premiers chiffres correspondent au mode d’élevage, puis le pays. Enfin, les trois lettres identifient les élevages », a décrit Sebastien Arsac. « On espère que les enseignes vont remettre en cause la vente des oeufs en cage en général. C’est un mouvement de fond. »
Pour Pierre Mormède, vétérinaire et directeur de recherches à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), cette vidéo ne reflète pas une image générale des élevages en France. « Ce n’est pas pour autant que nous devons l’accepter », nous a-t-il assuré. « Les normes d’élevage ne sont pas faites de toute façon pour que les animaux soient heureux. Elles sont faites pour produire à moindre coût des protéines animales. » D’après lui, les vidéos chocs peuvent « faire réfléchir » et faire « prendre conscience » de la situation. « Pour optimiser les conditions, il faut aussi les connaissances scientifiques et la législation. » Mais il l’affirme : « Le bien-être animal, c’est encore une conquête. »
Deux arrêtés préfectoraux et une mise en demeure
Une visite de l’élevage a été organisée ce mercredi même par les services de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) de l’Ain. « Il y aura des suites », nous a assuré son directeur, Laurent Bazin. « Un rapport va d’abord être fait au préfet, qui sera en discussion avec le ministère. Les suites seront diffusées prochainement. »
Concernant les conditions de vie des animaux, ce sera à la direction des services vétérinaires de trancher. « Le risque encouru est la fermeture de l’élevage », nous a assuré Gilbert Mouthon, vétérinaire et expert auprès des tribunaux qui a visionné la vidéo. « C’est terriblement dangereux pour la santé humaine », a-t-il expliqué. « Les oeufs pourraient être contaminés par la salmonelle si les volailles ont avalé des produits contaminés par la bactérie via notamment les matières fécales. La salmonellose provoque des problèmes intestinaux, qui peuvent entraîner des septicémies. »
Le directeur départemental de la protection des populations a souligné qu’un calendrier établit en avance les visites dans les élevages, dont la fréquence augmente lorsque des problèmes sont constatés dans un établissement, comme cela a été le cas avec le GAEC du Perrat. La visite précédente s’est déroulée le 18 mai. Elle a donné lieu à « une procédure en cours », a stipulé le service communication de la préfecture, sans pouvoir donner plus de détails sur ses modalités.
Le site a déjà fait l’objet de plusieurs décisions administratives. Deux arrêtés préfectoraux ont prescrit des mesures correctives face à des dysfonctionnements constatés. Le premier, daté de mars 2015, faisait état notamment d’une « prolifération de mouches ». Le second, émis en janvier 2016, notait « la présence importante de mouches dans le hangar « poulettes » et de larves dans le hangar « pondeuses » ».
L’élevage a aussi été mis en demeure et son activité a été brièvement réduite au début du mois d’avril. Selon Laurent Bazin, cette mise en demeure a été levée « quand les anomalies constatées ont été réglées. » Concernant la situation actuelle, « ce qui avait disparu a pu réapparaître », a-t-il ajouté.
« Les images dévoilées aujourd’hui datent d’après la mise en demeure, donc rien n’a changé depuis », nous a assuré le porte-parole de L214. Il exprime son incompréhension face à une « situation qui perdure » dans l’élevage. « Est-ce un laxisme des services vétérinaires ou une mauvaise volonté de l’éleveur ? On ne sait pas, mais on espère que ça va bouger. »
La ministre de l’Environnement Ségolène Royal a qualifié via Twitter la situation d’« intolérable » et a demandé au préfet de l’Ain une « inspection et une décision dans la journée ». « C’est lamentable », s‘est exclamé pour sa part le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll mercredi matin sur France Info. Pour lui, cet éleveur « porte une responsabilité pour tous les autres qui travaillent correctement ». « S’il le faut, je fermerai cet élevage », a-t-il ajouté.
En début d’après-midi, la marque Matines a annoncé qu’elle allait cesser de s’approvisionner dans cet élevage. « Il n’y a pas un oeuf qui sera conditionné en provenance de cet éleveur » à partir d’aujourd’hui, a expliqué David Cassin, directeur qualité de la marque, à l’AFP. Des mesures de « retrait en magasin des œufs déjà commercialisés » vont également être prises.
Dans un communiqué, l’association a signalé qu’elle portait plainte contre le GAEC du Perrat et qu’elle demandait aux autorités sa fermeture immédiate. Elle a aussi lancé une pétition « demandant aux supermarchés, qui commercialisent les oeufs de cette exploitation, de prendre leurs responsabilités ».
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