Je n’aurais jamais pensé qu’un jour, au gré de mes pérégrinations journalistiques, je me serais retrouvé à lâcher : « Bébé, tu préfères qu’on commence par le sauna, la balançoire ou qu’on s’attache sur la croix ? ». C’est pourtant ce qui est arrivé au cours du mois de décembre, lorsque ma copine et moi avons posé nos bagages dans un appartement haut de gamme du centre de Rennes – une « love room » – le temps d’une nuit. L’investigation n’a pas de limite.
Depuis quelques années, ces love rooms sont en pleine expansion en France. Propulsés par le succès de Cinquante Nuances de Grey et inspirés des « love hotel » japonais, brésiliens ou mexicains, ces chambres, gîtes ou appartements permettent à deux personnes de se retrouver dans une atmosphère souvent décrite comme « chic, chaleureuse et romantique ». Selon les estimations des professionnels du secteur, il y en aurait actuellement près d’un millier sur le territoire hexagonal.
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Ces rooms proposent des prestations assez différentes, selon les sommes investies et le cadre voulu par leurs propriétaires. « Tous les logements sont coquins, mais c’est plus ou moins explicite, plus ou moins édulcoré, explique Samuel, gérant de sa propre room et cofondateur de Love’nspa, une des principales plateformes regroupant les love rooms françaises et belges. Certains misent davantage sur des décors à connotation sexuelle et mettent notamment des accessoires BDSM à disposition. »
Ouverte en 2020, la love room rennaise mentionnée plus haut s’inscrit dans cette lignée. Sur son site internet, celle-ci promet, en plus de trois accessoires érotiques, une plongée « dans un univers idyllique, pour une nuit coquine ou un week-end en amoureux (…) Un appartement grand standing de 100m² à la décoration atypique qui saura vous offrir la parenthèse d’amour dont vous rêvez. » Outre cette description attrayante, cet appart’ a l’avantage de permettre à ma copine de m’y rejoindre, grâce à une localisation opportune. Je ne sais pas si on rêvait d’une parenthèse d’amour – les discours mielleux autour du romantisme ont toujours eu tendance à m’étouffer – mais y séjourner seul aurait été un peu décevant.
Côté tarif, il faut débourser 250 euros pour une nuit. Une somme qui s’inscrit dans la moyenne des prix pratiqués par ce type d’établissement, pouvant garantir une forte rentabilité. « Il faut avoir des fonds pour se lancer, au risque de proposer quelque chose d’amateur. Aucune banque ne vous suit », relève néanmoins Baptiste, propriétaire de deux love rooms à Metz affichant presque tout le temps complet. « Le secteur n’est pas encore saturé, mais j’ai vu pas mal de logements fermer. On peut se brûler les ailes, car le service doit être irréprochable, notamment en matière de propreté », poursuit Samuel de Love’nspa.
« Il n’y a rien de plus détestable que louer une chambre d’hôtel et affronter le regard de la personne à l’accueil, qui sait très bien pourquoi vous êtes venus » – Baptiste
À ce prix-là, j’espère effectivement ne pas tomber sur une flaque de sperme au milieu du salon. Bref. Arrivés au niveau du bâtiment dans une rue parsemée de monde, on voit un écriteau au nom du logement. Pas de doute, on est au bon endroit. On toque, sous le regard interloqué d’un passant. « Y’a quelqu’un à la fenêtre », nous souffle-t-il. Merci pour votre aide, Monsieur. Céline, notre hôtesse, nous ouvre. Amie du propriétaire, Didier, elle s’occupe du site rennais, ce dernier gérant surtout deux autres love rooms aménagées dans un ancien presbytère, une cinquantaine de kilomètres plus loin, en plus de son entreprise dans le bâtiment.
« Il n’y a rien de plus détestable que louer une chambre d’hôtel et affronter le regard de la personne à l’accueil, qui sait très bien pourquoi vous êtes venus », me disait Baptiste, l’entrepreneur messin. Raté pour cette fois. Quand d’autres rooms optent pour un boîtier à code afin de récupérer les clefs avec discrétion, celle-ci a fait le choix d’une rencontre directe. L’occasion de nous faire la visite et nous apporter quelques précisions, du type « j’ai dormi là la semaine dernière, il fait chaud dans la chambre ». Je me demande si elle imagine les clients en plein ébat à chaque remise de clés.
À l’entrée, notre regard s’arrête directement sur la croix de Saint-André, majestueusement installée vers le fond du couloir central. Celle-ci permet d’attacher son ou sa partenaire au niveau des poignets et des chevilles. « Vous avez des fiches où tout est expliqué », nous rassure Céline. Personnellement, je n’avais jamais vu un tel accessoire en dehors de quelques pornos obscurs. Un peu plus tard, au moment d’inspecter l’engin, on se rendra compte que des traces de doigts ont survécu aux précédentes utilisations, en plus d’une sensation grasse en touchant le fouet qui y est accroché. On en salive d’avance.
Pour le reste, je ne suis pas vraiment habitué au luxe mais j’imagine que cet appartement y ressemble un peu. À sa gauche, le couloir central donne sur un salon lumineux, composé d’un grand écran plat, une enceinte, deux fauteuils en cuir, une barre de pole dance, un sofa tantra – dont la forme incurvée est conçue pour faciliter plusieurs positions sexuelles – ainsi qu’une balançoire érotique. Cette pièce communique directement avec une cuisine ultra équipée, où se trouvent plus de casseroles et de poêles que je n’en utiliserai dans tout ma vie. La table est déjà dressée aux côtés d’une seconde télé.
À droite du couloir, après avoir salué la fameuse croix, on tombe sur une douche spacieuse, un tube de lubrifiant sur le côté, juste à côté de la chambre. Un lit king size orné de pétales de roses y est surplombé par un miroir suspendu au plafond, face à une troisième télé. Un sauna trône au fond de la pièce. Un peu partout, on retrouve accrochés aux murs des tableaux ou photos à connotation sexuelle, jusque dans les toilettes. « Le propriétaire, Didier, adore ce qui est haut de gamme. Cet appartement, c’est d’abord le sien, qu’il a ensuite aménagé en love room. Ce concept correspond à sa mentalité excentrique », confiera Céline le lendemain.
« C’est très bon pour le dos » – Ma copine
Avant de filer, notre hôtesse nous invite à « bien profiter » et nous laisse sa carte afin de la joindre en cas de problème. Je me marre un instant en m’imaginant l’appeler parce que ma copine est coincée dans la balançoire. Ces murs ont bien dû garder en mémoire deux ou trois histoires loufoques. Passées les quelques interminables secondes lors desquelles elle essaye péniblement de fermer la porte, nous voilà seuls. Première étape : fermer les volets, les fenêtres donnant directement sur la rue. L’isolation sonore est d’ailleurs assez moyenne, laissant nous accompagner le tumulte du centre de Rennes.
Je jette alors un œil plus attentif à l’appartement, pendant que ma meuf bouquine sur le fauteuil tantra. Pas vraiment son utilisation première mais « c’est très bon pour le dos », m’assure-t-elle, tout en se demandant combien de personnes se sont installées au même endroit auparavant. Le miroir au plafond ? Plutôt qu’une fascination sexuelle, elle y voit l’occasion de prendre des photos sous un angle inédit. La balançoire ? Elle s’en amuse comme si elle était au milieu d’une cour de récré. Une innocence désarmante.
Sur la table de la cuisine, des pétales de roses et un chandelier électrique côtoient un porte-bouteille en forme de pénis, enlaçant un vin rouge payant. Une bouteille de champagne est en revanche offerte, même si je n’ai jamais trop compris le concept de gratuité dans une prestation onéreuse. Je remarque également une petite sculpture en forme de porc au pied de la seconde télé. Je me demande ce que ça fout là, à moins qu’il s’agisse d’une blague un peu lourde ou du fruit d’une fascination étrange pour le cochon. Il y a quelque chose de cocasse à voir un tel mélange entre luxe, « romantisme » et vulgarité un peu grossière.
« On m’a déjà parlé de joueurs de foot ou de grands acteurs américains habitués de certaines rooms » – Samuel
Le confort de l’appartement rend néanmoins toute critique assez déplacée à moins, peut-être, d’être habitué à de tels services. A 250 balles la nuit, on peut devenir pointilleux, mais cette love room regorge d’une offre que je n’avais pour ma part jamais utilisée. A commencer par le sauna, où je fus sans doute proche de provoquer un court-circuit à force d’en harceler tous les boutons. Une fois sorti de cette chaleur ébouriffante, je me suis même surpris à enfiler spontanément un peignoir brodé au nom du logement – un truc qui dans ma tête est réservé aux riches, aux snobs, ou aux deux. Le tout en sirotant tranquillement une coupe de champagne.
Tous les propriétaires de love rooms que j’ai contacté m’ont assuré que leurs clients avaient des profils très variés et n’étaient pas forcément blindés de thunes. Seul Samuel, le cofondateur de la plateforme Loven’spa, estime que ces logements sont « plutôt réservés aux CSP + ». « On m’a déjà parlé de joueurs de foot ou de grands acteurs américains habitués de certaines rooms. Des clients fortunés peuvent demander de nombreuses options et faire grimper les prix jusqu’à 900 ou 1000 euros », ajoute-t-il.
Didier, dont les love rooms bretonnes tournent à plein régime, s’apprêtent d’ailleurs à en ouvrir de nouvelles, très haut de gamme, dans un manoir qu’il vient de racheter. Tarif : environ 800 euros la nuit. « Il faut être un peu fou pour faire ça. Moi, je l’ai fait pour m’amuser », nous souffle-t-il par téléphone. Passées nos divergences sur le concept d’amusement, je le questionne sur une crainte partagée par plusieurs professionnels : que leurs logements puissent devenir un lieu de prostitution ou de tournage de films érotiques. « Pas vraiment, mais j’ai des caméras à l’entrée de chaque logement. Si j’ai un doute, je garde un œil dessus. »
Avant de raccrocher, je lui demande si accueillir des gens chez soi pour leur plaisir sexuel ne revêt pas une dimension étrange, au moins au début. « Ce n’est pas vraiment l’objet, je dirais que le concept est plutôt de passer une bonne soirée à deux », assure-t-il. Au vu du mobilier présent, j’entends d’abord peu la réponse. Puis je repense à ma meuf qui, à quelques minutes de la remise des clés, avait repris position sur la balançoire pour feuilleter sereinement Jouissance Club, de Jüne Plã. Peut-être avait-il raison, finalement.
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