Plus qu’une simple enquête sur la violence sexuelle en milieu universitaire, le rapport présenté lundi à l’UQAM par un groupe indépendant de chercheuses se veut un appel direct à l’action gouvernementale. L’approche de l’équipe était « résolument orientée vers le changement social », a insisté la chercheuse Sandrine Ricci, également chargée de cours à l’UQAM et coordonnatrice du Réseau québécois en études féministes.
Dans une première au Québec, un groupe de recherche composé de 12 chercheuses issues de six universités a tenté de discerner la présence de violences sexuelles en milieu universitaire, et ce, sans se limiter aux étudiants. Les employés et professeurs ont également été sondés.
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Résultat : chez les 9200 répondants, plus d’une personne sur trois (37 %) a vécu une forme de violence sexuelle depuis son entrée à l’université; une personne sur quatre dans la dernière année.
Sous la direction de la professeure au département de sexologie de l’UQAM Manon Bergeron, l’équipe a recueilli 2000 récits de violences sexuelles en milieu universitaire. On y compile des incidents de harcèlement sexuel, de comportements sexuels non désirés ainsi que de coercition sexuelle (chantage en retour de récompenses).
En bref : s’il y avait encore des sceptiques par rapport à la gravité de la situation, ils seront confondus.
Ce que révèle l’étude
Les problèmes de violences sexuelles dans les universités ne datent pas d’hier, même s’ils font régulièrement la manchette depuis quelques mois. Pour le bien de la conférence, Sandrine Ricci a déterré un vieil article de La Presse datant de 1989, dont le titre « Le nombre d’agressions sur certains campus est un secret bien gardé » est encore criant d’actualité.
Vingt-huit ans plus tard, on calcule qu’en milieu universitaire, une seule victime sur dix dénonce l’acte – ou les actes – de violence sexuelle dont elle a été victime. Il n’est pas même ici question de plaintes officielles à la police, simplement de signalement à la direction du département d’études, ou à une autre instance universitaire.
Comme quoi il y a encore énormément de chemin à parcourir.
Sans surprise, on remarque que les femmes sont beaucoup plus exposées aux violences sexuelles que les hommes. Les groupes issus de minorités sexuelles, de minorités de genre, les étudiants internationaux ou encore les personnes handicapées sont également plus susceptibles que les autres de vivre des violences sexuelles en milieu universitaire.
Les violences sexuelles sont d’ailleurs le plus souvent perpétrées par des personnes de même statut hiérarchique (78 %), soit majoritairement par des étudiants sur d’autres étudiants. Dans une moindre mesure, les violences sont aussi l’oeuvre de personnes de statut plus élevé (30 %).
Généralement, les victimes ne dénoncent pas leur agresseur, car elles ignorent à qui s’adresser au sein de leur établissement scolaire, craignent de n’être pas prises au sérieux, croient qu’elles ne détiennent pas suffisamment de preuves, ou encore jugent que la violence vécue est trop banale pour être dénoncée.
L’étude démontre en outre que la culpabilisation des victimes est encore bien ancrée dans les mœurs sociales. Chez les personnes qui se sont confiées à leur entourage ou à une personne affiliée à l’université, « l’examen des énoncés révèle que plus d’une personne sur cinq a rencontré une réaction de blâme telle que: “m’ont dit que j’avais été irresponsable ou imprudente” (12,4%) ou “m’ont dit que j’aurais pu prévenir cette situation” (18,9%). »
Comment changer les choses?
En formulant une quinzaine de recommandations, les chercheures espèrent influencer la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, qui planifie ternir cet hiver cinq journées de réflexion dans autant de régions du Québec. Ces rencontres serviront à l’élaboration d’une loi ou d’une politique-cadre pour les établissements d’enseignement supérieur, conformément à l’engagement formulé en octobre lors du dévoilement de la stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles.
Les chercheures insistent sur la nécessité de la mise sur pied d’une loi-cadre obligeant les établissements d’enseignement supérieur à lutter contre les violences sexuelles. Elles soutiennent que les universités ont déjà des politiques, mais qu’elles manquent de mordant et d’efficacité. Elles souhaitent notamment que les établissements se dotent d’une ressource spécialisée en matière de violence sexuelle, et qu’il y ait des conséquences réelles pour ceux qui commettent les violences sexuelles.
On juge également nécessaire la mise sur pied d’un site web regroupant les « informations complètes et pertinentes sur la violence sexuelle en milieu universitaire ». Pour remédier au taux très bas de dénonciation des agresseurs, les chercheures ont avancé la possibilité de créer une plateforme en ligne où il serait possible de dénoncer les violences sexuelles de manière anonyme.
Présente à l’Université du peuple, la ministre Hélène David s’est dite en accord avec « la grande grande grande majorité » des axes d’intervention de l’étude. « C’est exactement les piliers sur lesquels on veut travailler : prévention, sensibilisation, intervention, accompagnement, sécurité et politique-cadre pouvant éventuellement déboucher sur une loi-cadre. »
La ministre précise que la politique gouvernementale visera tant les milieux collégiaux qu’universitaires.
« C’est très sérieux, les gestes qu’on s’apprête à poser », a-t-elle assuré.