Crime

Une réserve indienne du nord du Canada est frappée par une épidémie de suicide

Ce mercredi, des manifestants appartenant au mouvement indigène Idle No More (que l’on peut traduire par « Plus jamais d’inaction » en français) ont occupé le Bureau des Affaires autochtones et du Nord Canada à Toronto. Ils ont demandé à être reçus par la directrice régionale de ce bureau, pour évoquer avec elle la vague de suicides qui frappe la réserve indienne d’Attawapiskat depuis plusieurs mois. Après trois heures d’occupation pacifique, cette responsable est finalement descendue pour tenter de rassurer les manifestants.

« Soyez sûrs que nous transmettons vos demandes. Nous sommes en train de nous confronter à cette crise, et je dois retourner appeler le chef et la communauté là-bas pour être sûr que des choses soient faites », leur a-t-elle dit avant de retourner dans son bureau. Apparemment peu satisfait, le groupe de manifestants a alors scandé « Nous restons, vous fuyez ».

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Un nombre ahurissant de suicides a récemment attiré l’attention du monde entier sur ce qui est considéré comme une épidémie dans une petite communauté indigène de l’Ontario (centre du Canada). L’une des familles de cette communauté est toujours hantée par les derniers mots d’une jeune fille.

« Elle s’est excusée, et a demandé à sa famille de ne pas s’en vouloir », a raconté Jackie Hookimaw-Witt en évoquant le message laissé par sa petite-nièce, Sheridan, sur son iPhone le jour où elle s’est ôté la vie.

Ce drame a eu lieu en octobre dernier, alors que Sheridan n’avait que 13 ans. Cette enfant est désormais devenue une sorte de symbole de la crise qui secoue les 2 000 habitants d’Attawapiskat.

Minée par les suicides et des conditions de logement déplorables depuis plusieurs années, cette réserve isolée située dans la Baie de James dans l’Ontario fait à nouveau les gros titres, suite aux 11 tentatives de suicide qui y ont été commises dans la seule nuit de samedi dernier. Plus de 100 tentatives de suicide ont eu lieu ces sept derniers mois, ce qui a poussé les responsables locaux à déclarer l’état d’urgence.

Pendant que les législateurs dans la capitale canadienne se préparaient à un « débat d’urgence » au sujet d’Attawapiskat ce mardi soir, les habitants sur place se démenaient pour faire face à cette crise qui est apparemment loin d’être terminée. Pas plus tard que lundi soir, un groupe d’enfants qui avaient semble-t-il conclu un pacte suicidaire a été emmené à l’hôpital pour des examens, comme l’a rapporté la chaîne CBC. D’après l’agence Canadian Press, cet hôpital était tellement débordé que près de la moitié de ces jeunes a été emmenée dans une prison pour être traités. Sous l’oeil de la police, ils ont indiqué à des psychologues que le désoeuvrement, la promiscuité et le harcèlement les avaient poussés à envisager le suicide.

Sheridan, qui est la seule personne à avoir réussi sa tentative ces derniers mois, était une fille aimable possédant un grand sens de l’humour a déclaré sa grand-tante à VICE News. « Elle n’avait que 13 ans, mais était très mature, éloquente et attentionnée. »

La jeune fille souffrait néanmoins d’une santé fragile — troubles respiratoires, apnée du sommeil, problèmes de thyroïde, diabète, obésité et des rhumatismes qui la gênaient pour marcher. Elle était moquée à l’école, où des professeurs et d’autres élèves la traitaient de « grosse et stupide ». Elle ratait souvent les cours pour se rendre à des rendez-vous médicaux.

Même si la drogue et l’alcool ont joué un rôle dans certaines autres tentatives de suicide, une analyse toxicologique a montré que rien de tout cela n’avait été retrouvé dans le corps de Sheridan, comme l’a souligné sa grand-tante. Elle a aussi mis en garde l’opinion publique contre tout « étiquetage » de la population d’Attawapiskat, où la plus jeune personne à avoir effectué une tentative avait 11 ans et la plus âgée avait 71 ans.

D’après Jackie Hookimaw-Witt, sa nièce Sheridan vivait dans une résidence temporaire équipée de deux chambres avec près de 20 autres membres de sa famille après que de la moisissure a été retrouvée dans sa maison déjà bondée. La jeune fille aurait progressivement été débordée par son environnement.

« Ma nièce était stressée car elle ne pouvait pas faire ses devoirs », a raconté Hookimaw-Witt. « Il n’y avait pas de place. » Était ensuite arrivée la terrible nouvelle concernant un oncle, qui était une figure paternelle pour Sheridan, à qui on avait diagnostiqué un cancer de la prostate.

« Du fait de son jeune âge, cela a été dur pour son corps », a indiqué Jackie. « Elle ne pouvait pas encaisser la douleur émotionnelle. »

Le corps de Sheridan a été retrouvé par un agent de police, qui patrouillait dans une zone connue sous le nom des « premiers rapides » le 19 octobre dernier.

Après une enquête du légiste longue d’un mois, la famille de la jeune défunte a finalement appris en mars dernier que Sheridan s’était pendue. Lors d’un rendez-vous avec le légiste, ils ont pu écouter des messages qu’elle avait enregistrés pour eux sur son iPhone le jour de sa mort.

« Son premier enregistrement le matin disait qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle était malade. Elle a aussi dit “C’est aujourd’hui, je vais le faire” », s’est rappelée Jackie Hookimaw-Witt. « Un autre message qu’ils ont retrouvé disait “J’en ai marre d’être malade, on se moque de moi.” »

La réserve d’Attawapiskat avait reçu l’attention du pays tout entier en 2011 lorsque la cheffe de l’époque, Theresa Spence, avait déclaré l’état d’urgence à propos des conditions de vie sur la réserve. Elle avait alors entamé un régime liquide, demandant à rencontrer le Premier ministre et le gouverneur général à propos de ces problèmes, notamment le cas des maisons surpeuplées.

Un audit ordonné par le gouvernement, transmis aux médias, a montré qu’il n’y avait que peu voire pas de document détaillant la manière dont les 104 millions de dollars destinés à des projets de logement avaient été dépensés par la communauté. Theresa Spence avait qualifié cet audit de « chasse aux sorcières ». Son combat avait mis sur le devant de la scène le groupe Idle No More, un mouvement de défense des droits sociaux et politiques mené par des représentants indigènes du Canada.

Cinq ans plus tard, les résidents de la réserve d’Attawapiskat disent que les problèmes persistent. D’après Jackie Hookimaw-Witt, il est devenu courant d’entendre des ambulances foncer à travers la réserve. Mais cela ne veut pas dire ses habitants se sont habitués aux sirènes, qui mettent leur vie en pause pendant que tout le monde se demande si une autre personne va mourir, explique-t-elle.

« Ce que je ressens auprès des jeunes c’est un sentiment de deuil — de deuil très profond — et un traumatisme », a-t-elle raconté. « Ce sont deux facteurs critiques qui doivent être traités. »

Le député local Charlie Angus (du New Democratic Party) demande un soutien psychologique au gouvernement fédéral depuis des années. Il a déclaré que si l’attention médiatique autour de l’état d’urgence avait poussé les gouvernements fédéraux et provinciaux à enfin agir, ils auraient dû se bouger il y a des années. Il a ajouté que les solutions à long terme devaient être mieux prises en compte.

« Les travailleurs en première ligne sont épuisés et traumatisé », a-t-il dit. « Nous faisons face à des carences systémiques en matière de service. Ces problèmes doivent être traités. »

Nos jeunes des communautés de la côte à l’entrée d’Attawapiskat alors qu’ils travaillent la rivière Attawapiskat. #suicide #soigner

Plusieurs leaders indigènes ont été déçus de voir que le budget du gouvernement libéral — qui prévoit des engagements envers l’éducation indigène et la baisse du coût de la nourriture dans le nord du pays — ne comportait pas de fonds pour la santé mentale des communautés indigènes du nord de l’Ontario.

« Nous pouvons parler autant que l’on veut de notre volonté d’améliorer les choses, s’il n’y a pas de ressources, alors cela n’aura pas lieu », a déclaré Angus.

Ce lundi matin, deux conseillers psychologiques financés par le ministère de la Santé du Canada étaient sur place, et trois employés spécialisés en santé mentale devaient y atterrir. Pendant ce temps, la province s’est engagée à déployer son équipe d’urgence d’assistance médicale (EMAT) qui comprend du personnel infirmier et des travailleurs sociaux.

« Le message que j’ai entendu de cette communauté était un vrai cri de frustration. On ne devrait pas déclarers l’état d’urgence pour que des conseillers sanitaires soient envoyés par avion dans une région où nous avons eu plus de 700 tentatives de suicide à l’ouest de James Bay ces dernières années », a-t-il dit.

Si Charlie Angus n’est pas sûr de ce qui a pu mener à ce pic, il croit que le suicide et la dépression sont contagieux — et qu’une crise similaire serait traitée beaucoup plus rapidement si elle avait lieu dans le sud de l’Ontario.

« Quand vous n’avez pas de soutien dans une communauté isolée, où les gens vivent souvent à 15 voire 18 personnes dans une maison avec deux chambres, envahies de moisissures, où il n’y a aucun autre soutien pour eux, ce désespoir peut-être amplifié », a-t-il indiqué.

« Comment un enfant dans un pays comme le Canada peut-il être si enfoncé dans le désespoir et la pauvreté à un âge aussi jeune ? Pour moi, c’est un défi moral lancé à l’âme même de ce pays. »

La dernière vague de tentatives de suicide a eu lieu après une récente « marche pour guérir » de 50 kilomètres organisée par des jeunes d’Attawapiskat et de communautés environnantes.

Selon Jackie Hookimaw-Witt, en l’absence de ressources et d’aide de la part du gouvernement, c’est la résilience des adolescents, qui ont terminé la marche et ont livré des mots « puissants » lors d’une cérémonie finale, qui lui ont finalement donné espoir.

« Je ne veux pas que la mort [de Sheridan] ne serve à rien », a-t-elle déclaré. « Je veux que le gouvernement aide nos enfants, qui vivent dans des conditions tellement extrêmes, dignes du Tiers-monde. Je veux qu’ils aient l’espoir de pouvoir grandir en bonne santé, faire quelque chose de leur vie et ne pas y mettre un terme. »

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