Une soirée à Paris avec les « putschistes » du 14 juillet, qui occupent l’ « église des animaux » pour empêcher sa démolition

Il est 22 heures ce lundi, dans une petite pièce qui jouxte la nef, autrefois les appartements d’un archevêque. Cinq ou six personnes préparent une réunion autour d’un ordinateur connecté à Internet. En attendant que tout le monde soit prêt, un débat passionné est lancé sur le thème de prédilection des nouveaux occupants de l’église : comment instaurer une véritable démocratie ? Très vite, devant l’enthousiasme de chacun, il devient difficile de s’entendre. « Attends, tiens, prends ça, ça sera le bâton de parole ! » s’exclame l’un des participants en tendant à un autre ce qui semble être une boîte de médicament.

Ces nouveaux habitants, ce sont les membres d’un groupuscule décrié, appelé mouvement du 14 juillet, qui avait décrété qu’il renverserait le gouvernement le 14 juillet 2015 pour instaurer une « démocratie directe ». Le putsch a été manqué. Mais le mouvement, qui aurait rassemblé ce jour-là près de 6 000 personnes, selon ses partisans, 300 selon la police semble avoir survécu, et réapparaît de manière inattendue avec une nouvelle cause : celle de l’église Sainte Rita, surnommée « l’église des animaux ».

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Une banderole du MVT 14 devant l’entrée de Sainte Rita. La porte murée a été percée par les militants. (VICE News)

La destruction de Sainte Rita

Des fidèles de cette église néo-gothique, bâtie en 1900 et située dans le XVe arrondissement parisien, mènent un combat contre sa démolition depuis plus de deux ans, combat auquel s’est donc associé le mouvement du 14 juillet depuis une petite semaine. Dédiée au gallicanisme — une doctrine religieuse indépendante de l’Église catholique — la paroisse de Sainte Rita s’est rendue célèbre grâce à ses bénédictions d’animaux, qui avaient lieu une fois par an, ses messes pour les motards ou autres cérémonies en hommage de Michael Jackson. Elle doit son nom à Sainte Rita de Cascia, une religieuse italienne, patronne des causes perdues.

À lire : L’Église parisienne qui bénit les animaux est en passe d’être démolie

Les problèmes de l’église Sainte Rita commencent il y a plusieurs années, lorsque le propriétaire de cette église, le président d’une association cultuelle suisse, souhaite la revendre. Profitant d’un défaut de paiement des loyers par l’ancien archevêque à sa tête, Mgr Dominique Philippe, le propriétaire aurait cédé l’église pour 3,3 millions d’euros à un promoteur nantais, qui prévoit d’en faire des habitations (pour partie des logements sociaux) et un parking, nous explique Nicolas Stoquer, président délégué de l’association Les Arches de Sainte Rita qui veut sauver l’église.

L’église Sainte Rita dans le XVe arrondissement de Paris. (VICE News)

Stoquer poursuit son historique de l’affaire. Le permis de construire — qui vaut aussi pour permis de démolition de l’église — est accordé par la mairie de Paris le 27 mars 2012. À partir de janvier 2015, l’église est occupée illégalement par des paroissiens. Finalement, en avril, l’archevêque remet les clés à un huissier. L’église est alors murée en mai 2015.

Mais l’association, fondée en 1999, ne perd pas espoir, et continue de se battre pour sauver l’église. Des messes continuent à avoir lieu devant l’édifice, dans la rue. Après le départ de Mgr Dominique Philippe (remplacé depuis mars 2015 par l’évêque Samuel Pouhé) la communauté se serait renouvelée pour moitié.

Nicolas Stoquer a pris la tête de la coordination de la défense de Sainte Rita en janvier 2014. « J’ai trouvé ces gens extraordinaires. Nulle part ailleurs on ne laisse rentrer les animaux comme ici. C’est une communauté très tolérante, » dit ce comptable, qui n’est pas catholique gallican, pour expliquer son implication dans cette cause.

Un chantier bloqué

Les travaux de démolition devaient commencer lundi dernier, le 5 octobre. Mais les paroissiens, aidés par des élus arborant leur écharpe tricolore, s’opposent aux ouvriers venus commencer le chantier. Ils restent toute la journée, jusqu’à ce que chacun finisse par rentrer chez soi.

« Le lendemain, les ouvriers sont revenus dès 6h du matin, » nous raconte Philippe Goujon, le maire du XVe arrondissement de Paris (Les Républicains), qui s’oppose depuis 2012 à la destruction de cette église, qu’il considère comme un marqueur constitutif de l’identité patrimoniale du quartier. « Nous nous sommes à nouveau rendus sur place. L’une de mes élues a été bousculée, j’ai donc porté plainte contre l’entreprise pour brutalité. De plus, nous avons fait constater par la police des infractions aux réglementations de la voirie, » nous a informé le maire, contacté ce mardi matin.

Trois occupants de l’église Sainte Rita au réveil. (VICE News)

Stoquer nous dit que l’entrepreneur chargé du chantier a oublié de mettre en place un passage pour les piétons, comme le stipule la loi. L’autorisation de travaux est donc suspendue. « On a gagné quelques mois, » souffle Nicolas Stoquer.

« On est en cours de putsch pacifique »

C’est ce jour-là, lorsque les ouvriers sont déboutés du chantier, que les membres du mouvement du 14 juillet entendent parler de cette église. « On est venus le lundi matin, et on a vu le maire du XVe arrondissement et les fidèles, » raconte Cyril « C’est là qu’on a vu qu’il était possible d’occuper les lieux. »

Le soir même, cinq personnes s’infiltrent dans le bâtiment, en passant par la fenêtre à l’aide d’une échelle. Depuis, les parpaings qui bloquaient la grande porte de l’église ont été cassés. L’entrée, qui se fait par une porte dans les palissades en tôle placées devant l’église reste toutefois strictement contrôlée par les membres de « Mvt14 ».

Pour eux, la cause de l’église est emblématique de ce qu’ils combattent : « Les dirigeants n’en ont plus rien à faire des citoyens, » s’insurge Bohrt, 32 ans, un Belge qui dit s’occuper du mouvement Anonymous Wallonie, et qui a rejoint le mouvement du 14 juillet depuis trois mois. « On n’a pas à détruire le patrimoine français pour en faire un parking. Ici, on est en cours de putsch pacifiste. »

Dix personnes dorment là chaque nuit, sur la mezzanine qui surplombe la nef, ou dans les anciens appartements de l’archevêque. Il y a de l’eau chaude, pas de chauffage, un frigo, une douche, et deux toilettes.

Assise sur les bancs de la nef, Karen, une autre militante, se remémore la messe de dimanche dernier, la première qui a pu avoir lieu à l’intérieur de l’église depuis que celle-ci avait été murée. « Il y avait beaucoup de monde, et beaucoup d’émotion. On sentait que les fidèles s’étaient sentis dépouillés, et qu’ils reprenaient espoir » explique cette mère de trois enfants, originaire de Bordeaux.

Une partie des occupants pose dans l’église. Au centre, avec le manteau noir, Nicolas Stoquer, président délégué de l’association Les Arches de Sainte Rita qui veut sauver l’église. (VICE News)

Un mouvement contesté

Après le putsch raté du 14 juillet 2015, Karen était restée quelques jours à Paris, et avait alors été nommée coordinatrice Aquitaine pour le mouvement. « En trois mois, j’ai parcouru 5 000 kilomètres pour coordonner, relayer les infos et surtout rencontrer les gens, » raconte la jeune femme. Elle aussi se revendique Anonymous, et en arbore fièrement le masque.

Le mouvement du 14 juillet se pose comme un rassemblement de courants contestataires hétéroclites. Les militants citent pêle-mêle Anonymous, Boycott (qui prône le boycott des produits israéliens) ou les bonnets rouges. 

Cet été, alors que le couperet du 14 juillet se rapprochait, le Mvt 14 était présenté dans plusieurs médias comme un courant proche de sphères complotistes et/ou d’extrême droite. « C’est du trollage ! » s’exclame Stéphanie, qui elle aussi occupe l’église. Selon les militants, beaucoup de faux sites font du tort à leur mouvement. « Nous, on n’est pas d’extrême droite, » affirme Borht, le Belge. « On est ni de gauche ni de droite, on est complètement apolitiques. »

Quel avenir pour Sainte Rita ?

Sommée d’intervenir par les paroissiens et certains élus, la mairie de Paris a pour sa part rappelé ce mardi dans un communiqué que « ce bâtiment est une propriété privée » qui n’est pas classé monument historique. La ville de Paris « n’a pas les moyens de s’opposer à sa démolition, dont la décision revient au seul propriétaire de l’édifice, » conclut le communiqué.

Des recours en justice sont en cours devant le tribunal de grande instance de Paris nous dit le maire du XVe. L’association des Arches de Sainte Rita avance le fait que l’église contient de l’amiante ce qui ne serait pas pris en compte dans les travaux de démolition et conteste la durée de validité du permis de construire, conclu il y a plus de deux ans.

Certains des occupants dorment sur une mezzanine sous la nef.(VICE News)

L’association a planché sur un projet immobilier alternatif pour construire des logements autour et au-dessus de l’église, sans la détruire.

Le maire du XVe arrondissement, lui, souhaiterait que cette église soit rachetée par un autre culte. « D’autres églises peuvent être intéressées, par exemple les églises d’Orient, » affirme Philippe Goujon. L’élu dit ne pas soutenir cette occupation de l’église, mais ajoute : « Le promoteur s’est très mal comporté. À force d’essayer de passer en force, il ne faut pas s’étonner que cela entraîne des conséquences fâcheuses. »

Ce lundi soir, certains des occupants iront se coucher dans l’église. Il faut monter les escaliers qui mènent à une grande mezzanine, dans la nef, là où l’on pourrait trouver un orgue. Par terre, trois grands matelas et des bougies sont disposées à côté d’un vieux piano. De leur chambre improvisée, ils ont une vue directe sur le choeur. Là aussi, un militant s’est installé pour dormir, à même le sol, enroulé dans un duvet rouge.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg