Si vous aimez la bonne cuisine – et je veux dire par là des mets véritablement luxueux, pas le très bon souvlaki du food truck qui se gare chaque midi près de votre lieu de travail –, alors les restaurants 3 étoiles du Guide Michelin sont votre Saint Graal. Ces endroits sont, par définition, des temples de la gastronomie dans lesquels vous pourrez déguster les meilleurs plats de votre vie. Ils font généralement des assiettes visuellement superbes, proposent un service qui vous donne le sentiment d’être un coq en pâte, et tout un tas de petits détails qui, bien que subtils, marquent les mémoires à tout jamais (je pense notamment à La Pergola, à Rome, qui offre à ses clients réguliers des serviettes personnalisées sur lesquelles sont brodées leurs initiales).
Au cours des soixante dernières années, l’écrivain italien Maurizio Campiverdi, 79 ans, s’est rendu dans presque tous les restaurants 3 étoiles du Guide Michelin dans le monde. Il a récemment publié un livre, Tre Stelle Michelin (« Trois étoiles au Michelin »), qui propose au lecteur de plonger avec lui dans le monde de la grande cuisine. Ce livre, le dernier d’une série qu’il a entamée dans les années 1980, est une véritable encyclopédie du genre. Il contient des fiches d’informations, des réflexions ainsi que tout un tas d’anecdotes et autres futilités au sujet de ces galeries quasi mythologiques de l’art culinaire, depuis leur première apparition, en 1933, jusqu’à aujourd’hui. Campiverdi se justifie ainsi : « Je voulais résumer soixante ans de voyages gastronomiques. »
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Campiverdi, qui se présente parfois sous le pseudonyme de Maurice Von Greenfields, est un homme excentrique, agréablement snob, passionné par la cuisine et capable de lancer des commentaires du genre : « Si je me retrouve à Modène, j’appelle Massimo Bottura… et il me garde une table. » Sa passion pour les restaurants 3 étoiles au Michelin est née lorsqu’il avait 12 ans à peine. « Tout a commencé lorsque mon père m’a emmené à La Pyramide, à Vienne, près de Lyon », se plaît-il à raconter. Mais, comme il le décrit dans son livre, l’histoire des étoiles Michelin remonte à bien plus loin.
Le Guide Michelin a été créé en 1889 par les frères Michelin, propriétaires d’une usine de caoutchouc et célèbres pour leurs pneus. Leur idée était de faire un guide pour les rares personnes qui possédaient une voiture à l’époque. En ce temps-là, les voitures devenaient tout juste un bien de consommation grand public, et le guide donnait aux tout récents propriétaires de véhicules à moteur une bonne raison de se lancer sur les routes. Et, par conséquent, une excellente raison de sortir leurs plus beaux pneus. Des Michelin, bien sûr. Le guide du même nom classait donc les lieux où l’on pouvait se restaurer et se reposer, avec des étoiles pour les restaurants et des maisons rouges pour les hôtels.
« La première fois que je me suis lancé dans ce passe-temps, il y avait seulement 23 restaurants 3 étoiles. Aujourd’hui, il y en a beaucoup plus. Mais ces derniers temps, il est rare que je reste bouche bée devant un plat. J’ai le sentiment d’avoir déjà vu avant ce que l’on me sert aujourd’hui. Cela dit, j’ai récemment mangé un risotto préparé par Enrico Bartolini au Mudec qui m’a vraiment émoustillé », raconte Campiverdi.
Le Guide Michelin est célèbre pour l’anonymat qu’il entretient. Ses inspecteurs sont absolument inconnus du monde entier. Ils ne se connaissent pas même entre eux. Et les critères selon lesquels ils établissent leur classement sont secrets. Mais il y a tout de même certaines constantes. Le guide rouge a toujours manifesté une certaine préférence pour les restaurants français ou, du moins, pour la cuisine française. Et les critères ne sont clairement pas les mêmes à l’Est et à l’Ouest. En Europe, un café familial ou une pizzeria ne recevront jamais d’étoile, mais en Extrême-Orient, par exemple, le guide accorde une grande reconnaissance à la street food.
« Je suis d’avis qu’il devrait y avoir plus de restaurants 2 étoiles et moins de 3 étoiles »
« Parfois, l’attitude du Michelin est inexplicable. Même après 60 ans à arpenter les restaurants, certains détails restent obscurs à mes yeux, m’explique Campiverdi. Je suis d’avis qu’il devrait y avoir plus de restaurants 2 étoiles et moins de 3 étoiles. J’ai le sentiment que tous ne sont pas vraiment à la hauteur de leurs 3 étoiles. »
Dans son livre, Campiverdi évoque une très forte augmentation des prix ces dernières années, qui a ôté leur charme à beaucoup de restaurants étoilés. Comme vous le savez sans doute, la plupart des gens ne sont pas en mesure de lâcher 400 euros pour un dîner, peu importe à quel point celui-ci puisse les « émoustiller ». « Je n’aime pas beaucoup ce nouveau statut de célébrité qu’ont certains chefs, qui vient engorger les listes de réservation et ne permet plus au commun des mortels de manger dans ce genre de restaurant », poursuit-il. Il s’exprime en soutien à la récente création de l’étoile verte, qui vient désormais récompenser les chefs qui font une cuisine avec des produits durables. Selon lui, on peut y voir la volonté du Michelin de rester pertinent.
Malgré toute l’élégance que l’on peut trouver dans ces lieux, Campiverdi raconte qu’il a été le témoin de nombreuses maladresses absolument mémorables. À la fin des années 1960, après un repas dans le restaurant de Michel Guérard, un temple de la nouvelle cuisine, le chef est sorti de sa cuisine pour offrir aux clients 4 verres de calvados respectivement âgés de 40, 60, 80 et 100 ans. « Le lendemain matin, on a découvert qu’ils nous les avaient encaissés, peste Campiverdi. Les digestifs sont censés être offerts à la fin d’un repas – ils n’ont pas à nous être facturés ! » Ils se sont vus proposer un remboursement, mais cela n’était pas suffisant à leurs yeux. « Un remboursement n’excuse pas une telle insulte, dit-il. Alors, on lui a dit qu’on allait prendre chacun une bouteille de sa cave, et je suis reparti chez moi avec un cognac de 1907 que le Roi Édouard VII adorait. »
Au fil des 700 pages de l’odyssée de Campiverdi, entre l’escroquerie au cognac et la gastronomie de haute volée, on pourra croiser quelques diatribes sur le fait que les pommes sont l’avenir de la nourriture. Et, en toute honnêteté, à la fin de cet ouvrage, on a envie de continuer le voyage avec notre vieil ami gastronome. « Il m’en reste encore trois à visiter en Europe », souligne-t-il. Et il ne semble pas avoir envie de s’arrêter là. « Dès qu’on pourra voyager à nouveau, j’irai à l’Enoteca Pinchiorri, un restaurant historique de la ville de Florence. »
À la fin de notre discussion, je ne peux m’empêcher d’espérer qu’un jour, peut-être quand j’aurai 79 ans, je pourrais prendre mon téléphone et appeler Massimo Bottura en disant : « Salut Massimo, comment ça va ? Je suis à Modène, tu peux me réserver une petite table ? J’arrive ! »
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