Predappio est une petite ville du centre de l’Italie marquée par deux événements : c’est le lieu de naissance de l’ancien dictateur fasciste Benito Mussolini, ainsi que sa dernière demeure.
En théorie, personne n’était censé avoir connaissance de ce fait. Après avoir été abattu en 1945, Mussolini a été exposé en public sur l’une des plus grandes places de Milan et enterré dans une tombe non marquée afin de garder le secret sur son lieu de sépulture.
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En avril 1946, le militant fasciste et ancien politicien Domenico Leccisi et deux complices ont réussi à voler la dépouille du dictateur et à la confier à des prêtres sympathisants. Après de longues et pénibles négociations, le corps a finalement été enterré dans la crypte de la famille Mussolini en 1957.
Depuis, Predappio est devenu un lieu de culte pour les nostalgiques du fascisme. Aujourd’hui encore, c’est un lieu de pèlerinage, notamment pour commémorer le 28 octobre 1922, jour de la « Marche sur Rome », qui a marqué le début de la prise de pouvoir de Mussolini.
Il y a exactement 100 ans cette année, environ 20 000 membres du groupe paramilitaire fasciste à la solde de Mussolini ont envahi la capitale italienne pour tenter de faire un coup d’État. L’opération s’est déroulée à une époque de grande turbulence pour le pays. Après la Première Guerre mondiale, l’Italie est lourdement endettée et humiliée par le fait qu’elle n’a pas obtenu les territoires qu’elle avait demandés lors des négociations d’après-guerre.
À l’époque, le socialisme devient également de plus en plus populaire auprès de la classe ouvrière italienne, ce qui entraîne des mouvements de protestation de grande ampleur réclamant de meilleures conditions de travail dans les usines et dans les champs. Des groupes paramilitaires dirigés par Mussolini, connus sous le nom de Fasci ou de Chemises noires, accèdent au pouvoir en écrasant ces mouvements au nom de la bourgeoisie. Ces actions de milice leur valent également la faveur des plus riches du pays.
La jeune monarchie parlementaire italienne est également instable, et les gouvernements successifs s’effondrent peu après avoir obtenu le pouvoir. Mussolini repère une ouverture pour établir sa révolution fasciste et commence à coordonner à distance la Marche sur Rome. Au moment où les fascistes commencent à défiler dans les rues de la capitale, le roi de l’époque, Victor Emmanuel III, décide de nommer Mussolini Premier ministre pour éviter de déclencher une guerre civile.
« Nous avons une obligation morale de commémorer la Marche sur Rome », a déclaré Mirco Santarelli, membre l’organisation néo-fasciste Arditi d’Italia qui organise chaque année l’événement commémoratif. Il a ajouté qu’il était ravi de la victoire de Giorgia Meloni et a suggéré aux participants de s’abstenir de faire le salut fasciste pour éviter d’avoir des ennuis avec la justice.
Les manifestations de sympathie fasciste sont ostensiblement interdites en Italie, mais la loi est rarement appliquée en raison de sa formulation ambiguë et de sa contradiction supposée avec le droit à la liberté d’expression. Au lieu du salut, a déclaré Santarelli, les sympathisants ont été invités à rendre hommage en « mettant la main sur leur cœur ».
La suggestion de Santarelli semble être tombée dans l’oreille d’un sourd le jour de l’événement. Environ 2 000 participants ont été entendus en train de chanter « Duce ! Duce ! » (l’équivalent italien de « Führer ») en tendant leur bras droit vers le ciel.
Le symbolisme fasciste n’était pas des plus subtils. On a vu des personnes – même des enfants – entièrement vêtues de noir, notamment dans ces chemises qui faisaient partie des uniformes utilisés par les Fasci. Ces groupes paramilitaires sont restés une puissante force d’intimidation à l’encontre des adversaires politiques de Mussolini tout au long des 20 années de sa dictature.
Les deux boutiques de souvenirs de Predappio étaient également bondées de fans achetant des tasses, des autocollants à croix gammée, des statues de Mussolini et des cendriers portant le slogan fasciste « Dieu, Patrie, Famille ». Cette devise a récemment été adoptée par des dirigeants d’extrême droite contemporains, dont la nouvelle première ministre italienne Giorgia Meloni et le président brésilien Jair Bolsonaro, battu aux élections.
En tant que nouveau venu à Predappio, j’ai été frappé par l’étonnante normalité de la situation. Il est absolument surréaliste que ces événements se produisent encore au XXIe siècle, et pourtant nous en sommes là. Le pire, c’est que personne ne semble s’en soucier assez pour faire quelque chose. Bienvenue dans l’Italie de 2022.
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