Faire la cuisine en prison dany hells kitchen
Food

Taulard en cuisine

Épices introduites au parloir, four improvisé entre deux plaques à induction et couteaux à bout rond, on a discuté popote en prison avec Dany, un détenu emprisonné dans le nord de la France.
Pierre Longeray
Paris, FR

Le poulet curry marine gentiment dans la poêle. En fond, la télévision crache les infos du jour, alors que le soleil perce tranquillement derrière les barreaux pour aller taper sur une porte vert pomme qui ne s’ouvre que d’un côté. Derrière les fourneaux, Dany* touille son poulet arrosé de lait de coco en réfléchissant au dessert qu’il va se faire pour accompagner son plat principal.

Arrêté pour une « histoire assez sérieuse de contrebande », Dany est en cellule dans le nord de la France depuis un petit moment. Alors, pour faire passer le temps, il filme ce qu’il se fait à bouffer chaque jour et partage ses tartelettes au chocolat, tajines et tiramisus sur Instagram. En référence à l’émission de télé du chef briton Gordon Ramsey, Hells Kitchen, Dany a créé le compte Dany Hellz Kitchen – après avoir partagé ses vidéos sur celui de @187Gangstersz, un compte fait « par les prisonniers et pour les prisonniers ».

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« Je pense que ce qui plaît aux gens c’est de voir comment ça se passe à l’intérieur », explique Dany, qui prend sa longue peine comme une miséricorde. « Ce qui plaît aussi c’est que je suis optimiste comme mec, je ne me plains jamais à dire "Je veux sortir, y’en a marre de la taule". J’aurais mal fini dehors, j’étais dans un monde obscur. Du coup, je prends ça à la cool, je fais mon sport, je check mes réseaux sociaux et surtout, je fais à manger. »

Un soir de ce début d’automne, on a passé un coup de fil à Dany pour discuter popote en prison, entre four improvisé avec deux plaques à induction, épices introduites au parloir et huile d’olive au CBD.

VICE : Salut Dany, cette passion pour la bouffe ça t’a pris à ton arrivée en prison ?
Dany : Non, j’ai toujours cuisiné. Quand j’étais petit, j’étais toujours collé dans la cuisine, j’essayais de comprendre, je posais des questions à ma mère, qui cuisinait un peu de tout : des plats maghrébins, français, italiens. J’aime bien manger mes propres plats, du coup avant d’arriver en prison, je cuisinais souvent pour mes amis, ma famille. En prison, j’ai gardé ça. Quand j’ai un codétenu, je lui prépare de la bouffe. Ça te fait passer le temps.

Parce que la gamelle – la bouffe servie en prison – ce n’est pas trop ça ?
C’est de la merde. Après, moi, la bouffe de la taule si je dois la manger, je la mangerais. Mais heureusement, j’ai des amis et une famille qui m’aiment. J’ai beaucoup de soutiens dehors, donc je reçois un peu de sous tous les mois, ce qui me permet de cantiner [acheter des produits dans un petit supermarché de la prison, NDLR]. Mais quand je n’ai plus de thunes, j’ai une petite astuce : je récupère les produits de la gamelle et je les retravaille. Par exemple, quand ils servent du poisson, je le récupère, je le lave, je l’épice puis je le revisite. Je fais des petits légumes avec un peu d’ail, j’épaissis une sauce, et voilà. Pareil, tu peux aussi récupérer les tomates à la gamelle, j’en fais une petite sauce méchouia avec des poivrons grillés.

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Comment t’as appris à cuisiner ?
Je suis un peu autodidacte. Vu que je vivais seul dehors, fallait bien que je me nourrisse. Puis, plutôt que d’aller dépenser ma thune pour manger de la merde, je préférais me faire à manger. Marmiton m’a beaucoup aidé, notamment ses vidéos YouTube. Ils font des recettes faciles. Là dernièrement, j’ai fait leur recette de tartelette au chocolat. En fait, c’est super simple à faire. Le seul truc un peu technique, c’est que je n’ai pas de four, du coup j’improvise.

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C’est-à-dire ?
Vu qu’on n’a pas accès à un four, je recouvre une casserole avec une poêle renversée et je mets une autre plaque induction par-dessus et ça fait un four. Ça marche super bien, je te fais tout avec ça. Des pizzas, du pain, des tajines… J’arrive à gérer la température. Je peux même te faire un poulet rôti.

Et pour les autres ustensiles de cuisine, comment tu t’y prends ?
Pour tout ce qui est casseroles, poêles, tu peux les acheter à la cantine. Pour les couteaux, ils te donnent des couteaux à bouts ronds, non aiguisés. Après, tu as des gens qui font rentrer des couteaux par des lancers au-dessus du mur, ou par les parloirs – des couteaux en céramique parce que ça ne sonne pas. Mais c’est très dangereux d’avoir ça. Personnellement, je n’ai jamais pris le risque d’avoir un couteau en céramique dans ma cellule. Pourquoi ? Parce que ça t’assure au minimum un an de prison supplémentaire, en comparution immédiate.

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Pour les ingrédients, tu te fournis à la cantine ?
Ouais, on a accès à un mini-supermarché, qui s’appelle la cantine. T’as des produits frais, avec les prix au kilo, des produits confessionnels, de la charcuterie, des produits laitiers, des gâteaux. Mais il y a des produits interdits, comme la levure, parce que tu peux faire de l’alcool avec. Donc c’est galère pour les gâteaux. Quand t’as une grosse peine et que tu es transféré en centre de détention ou en centrale, t’as accès aux cantines extérieures, où t’as une liste de produits plus grande. Tu peux acheter vraiment pas mal de trucs, sauf les produits que l’administration juge dangereux.

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Les ustensiles de cuisine de Dany.

Du style ?
Tout dépend de ton centre de détention, mais certaines épices sont parfois interdites. Par exemple, le poivre, c’est souvent interdit, parce que tu peux t’en servir comme une arme. Tu peux en souffler dans les yeux d’un surveillant, tu vois. Moi j’en ai parce qu’on m’en ramène de la cuisine. Pour les autres épices, j’en ai fait rentrer au parloir à l’époque où j’étais en maison d’arrêt. Mon paprika, mon cumin, mon gingembre, c’est rentré au parloir.

Il y a un aliment ou un condiment qui te manque particulièrement ?
La viande, mon poto. La viande. Du bon bœuf. À la gamelle, je récupère parfois du poulet, mais j’en peux plus de leur poulet tout sec. Ça doit faire un an que je n’ai pas mangé de la bonne viande. La dernière fois c’était quand j’étais en maison d’arrêt. Là-bas c’est le bordel, la jungle. Dans celle où j’étais, il y avait 1 400 détenus pour 700 places. Du coup, c’était plus facile pour faire rentrer de la viande lors des visites aux parloirs. Tu pourrais faire rentrer des moutons entiers. Après, t’as certes la fouille à nu, mais il y a toujours moyen de s’arranger.

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Ça existe les « plats de prison » ?
Le grand classique en prison, c’est les pâtes avec de la sauce tomate comme dans Les Affranchis, dans la scène où Paulie dit à Vinnie « Don’t put too many onions in the sauce ». Pour faire la sauce, tu prends des tomates, tu les éminces, tu rajoutes un peu de tomate concentrée, un peu d’ail, des oignons bien émincés. Tu fais bien revenir. Et tu ajoutes du thon si tu veux. En dessert, la plupart des détenus mangent ce que Sodexo [qui fournit les cantines des prisons] ramène à la gamelle. Souvent ce sont des fruits qui ont pourri. Par contre, le dimanche midi c’est une pâtisserie et c’est comme ça dans toutes les prisons de France. C’est une institution. Mais, ça déclenche souvent des bagarres.

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Un peu comme au rab’ de frites à la cantine du collège ?
Ouais. D’ailleurs y’a aussi des frites ici, mais elles sont cuites à la vapeur comme tout ce que ramène Sodexo – ce qui fait que la bouffe est certes mauvaise, mais saine. Du coup, moi je prends les frites de la gamelle, je les ramène en cellule et je les fais frire avec de l’huile de tournesol qu’on peut acheter. Ce qui me fait penser que les interdictions qu’on nous impose n’ont pas de sens. On n’a pas le droit au poivre, mais l’huile OK. Parce qu’il faut savoir que c’est déjà arrivé ça, un mec qui balance de l’huile bouillante sur un autre. Bon, après, c’est 3 ans et demi minimum supplémentaires qui s’ajoutent à ta peine.

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Dans la prison, t’es connu comme un bon cuistot maintenant ?
Oui, carrément. Souvent il y a des détenus qui viennent me voir, m’apportent des ingrédients et me demandent de leur faire un plat. Plutôt que d’aller en promenade, je passe mon après-midi à faire un petit plat pour mon pote de la cellule d’à côté.

D’après toi, le ratio est de combien entre ceux qui se font à manger et ceux qui mangent la gamelle ?
Malheureusement, la grande majorité des détenus mangent la gamelle. La prison, ça détruit souvent les liens familiaux, du coup des mecs n’ont pas de thunes pour cantiner. Mais même ceux qui ont un peu de fric, ils ne s’achètent pas vraiment de bouffe. Ils préfèrent mettre du blé dans de la drogue. Tout le monde fume ici. Donc ça part dans du shit, de la coke ou de l’hero, et ils se défoncent la gueule. Dans mon unité, on est quand même quelques-uns à se faire à manger, notamment parce qu’on est en centre de détention. Du coup, t’es pas dans ta cellule 22 heures sur 24 comme en maison d’arrêt, tu peux sortir de ta cellule pendant la journée. On se partage des plats, des recettes. Parfois on fait des anniversaires, ou quand un mec qu’on aime bien va sortir, on lui fait une petite fête.

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Pourquoi la bouffe joue un tel rôle en prison ?
La bouffe c’est un classique de la taule, notamment parce que ça te permet de tenir niveau santé et de te sentir bien. Ce qu’il y a aussi, c’est qu’ici, tu fais pas mal de sport, donc t’as besoin de beaucoup manger. C’était mon cas au début de ma détention, je bouffais beaucoup pour prendre de la masse, je faisais du sport comme une brute. J’étais monstrueux. Puis tu te lasses. Maintenant je fais juste du poids de corps pendant une heure et je ne mange qu’une fois par jour, le soir, parce que je me lève tard. La bouffe, c’est aussi un marqueur de ton statut dans la prison. Celui qui a de la bouffe, c’est celui qui a de la thune.

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C’est quoi tes spécialités ?
Le tiramisu, c’est mon dessert préféré. Le soir après avoir fumé un petit joint, ça fait du bien un petit tiramisu. Le problème, c’est que normalement, tu fais ça avec du mascarpone, mais ici on n’y a pas accès. C’est impossible de cantiner ça. Donc ce que je fais, c’est que je prends un pot de crème fraîche, avec quatre ou cinq yaourts au fromage blanc, je rajoute du sucre, un jaune d’œuf et des blancs en neige. Tu laisses 24 heures au frigo pour que ça devienne consistant et ça fait office de mascarpone. Pour les petits biscuits, je mets des madeleines, que j’ai trempées dans le café.

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Et en salé ?
Le tajine aux pruneaux. C’est très simple à faire, par contre il te faut du ras el-hanout [un mélange d’épices, NDLR]. Comme on dit ici, sans ras el-hanout t’es foutu. C’est primordial d’avoir ça en taule. Bref, donc tu rajoutes à ça du cumin, tu mets les oignons, tu fais revenir un peu, tu rajoutes ton poulet que j'achète 7,99 euros à la cantine. Après tu rajoutes les pruneaux et les pommes de terre. En entrée, je fais souvent une petite salade verte classique avec un peu de maïs et un salad dressing méditerranéen avec du citron, de l’huile d’olive et une larme de moutarde.

Quand tu seras dehors tu voudras continuer dans cette voie et devenir cuistot ?
Je crois que je suis trop feignant pour travailler dans une cuisine, mais je veux bien manager le truc. Sinon, j’ai beaucoup de plans pour ma réinsertion, mais ça change un peu tous les jours. Ce qui me plairait bien c’est de rentrer dans le business du cannabis légal. C’est pour ça que je suis en train de créer une marque d’huile de cuisine au CBD que j’ai appelé Ketama CBD Oil Company – en référence à la « Genco Pura Olive Oil Company » du Parrain. J’ai acheté un CBD de grande qualité, de l’huile d’argan, de l’huile d’olive et de l’huile de figue de barbarie bio dans lesquelles j’ajoute du CBD. Comme ça tu cuisines avec du CBD. J’ai un pote dehors qui m’aide à monter ça. Sinon, j’ai une autre idée. Monter le premier fast-food de cannabis burger au Luxembourg, vu que la légalisation est pour bientôt là-bas.

*Le prénom a été changé.

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