Vivre dans une grande ville comme Paris peut s’avérer assez difficile pour la santé mentale de tout être humain normalement composé. À chaque coin de rue, sur chaque trottoir, dans chaque rame de métro, la misère des uns se confronte à l’indifférence ou à l’impuissance des autres. Ayant grandi avec une mère issue de la gauche-caviar, j’ai toujours revendiqué une appartenance « de gauche ». Mes aspirations plus radicales se sont complètement développées lors de mon entrée dans le monde adulte. Je me pare donc aujourd’hui d’étiquettes diverses : « féministe », « anti-capitaliste », « écolo », « alliée des communautés LGBTQ+ », ou encore « stéréotype de la journaliste gauchiasse » selon la qualité de mon interlocuteur. Ces étiquettes, et les valeurs et idéaux politiques qu’elles recouvrent, ne me permettent de trouver que très peu de satisfaction lorsqu’on aborde l’état général de la société française, et du monde. Je passe donc la plupart de mon temps en colère, révoltée, découragée, choquée ou triste lorsque je suis confrontée à la pauvreté d’autrui et à la vilenie humaine. En gros, je suis malheureuse.
Le fait que nos rapports sociaux soient dirigés par la notion de profit individuel, d’accumulation personnelle des richesses, par la peur et le rejet de l’autre, ou par une tradition suivie aveuglément me fout carrément les boules. Rejoignant les valeurs progressistes de ce qu’on appelle « la gauche », et constatant mon état semi-dépressif à chaque consultation de mon fil Facebook, j’ai tenté de savoir si mes aspirations gauchistes étaient à l’origine, en partie ou en totalité, de la récurrence de mon malheur. Afin de répondre à mon interrogation, j’ai fait appel à Simon Varaine, doctorant en Sciences et en psychologie politiques au sein du laboratoire de recherche PACTE de Grenoble.
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« Ainsi, on a des personnes de droite qui se déclarent de façon générale plus heureuses que les personnes de gauche » – Simon Varaine
J’ai vite été soulagée d’apprendre que je n’étais pas seule à constater l’influence de mes convictions politiques sur mon moral global. « Plusieurs recherches ont été menées sur le « Happiness Gap », qui séparerait les personnes de gauche et de droite, ces dernières étant vraisemblablement plus heureuses que les premières. Ainsi, on a des personnes de droite qui se déclarent de façon générale plus heureuses que les personnes de gauche » m’explique Simon Varaine. À l’origine de cet écart de bonheur, on trouve différentes raisons potentielles, toutes examinées sous la loupe de scientifiques : la croyance en la méritocratie, tout d’abord, mais aussi la capacité des convictions politiques à répondre au “besoin de fermeture cognitive“ des individus, ou encore la stabilité émotionnelle de chacun.
Pour Simon, « Les valeurs politiques de droite recouvrent des notions comme la méritocratie, une croyance en le libre-choix et libre-arbitre de chacun, ainsi qu’une affection pour l’ordre, la tradition et l’autorité. À gauche, ces valeurs sont au contraire culturellement progressistes, avec un désir d’opposition à l’autorité. Les inégalités y sont également perçues non pas comme la responsabilité des individus, mais comme une responsabilité collective » En bref, croire dur comme fer en la qualité de notre méritocratie française permettrait aux personnes de droite de justifier la misère des autres autour d’elles par des actions individuelles.
C’est le fameux « si vous cherchez du travail, moi je traverse la rue je vous en trouve » de Macron, qui impute les échecs et succès de chaque individu à ses actions seules, sans considérer les structures sociales et rapports de pouvoir en place. Les oeillères individualistes des personnes de droite leur permettent donc un certain détachement de la misère d’autrui, ce qui engendre pour eux moins d’affects négatifs.
Les personnes de droite auraient donc davantage besoin d’être rassurées par un système de pensées et de valeurs plus rigides, du style « gentils contre méchants », « méritants contre bon à rien » ou encore « ceux qui réussissent contre ceux qui ne sont rien »
Affects négatifs, qui sont en revanche beaucoup plus présents chez les personnes de gauche, comme l’ont montré les études comparant la stabilité émotionnelle (ou neuroticisme) des deux côtés. « Les personnes de droite montrent aussi plus de fermeté dans leurs convictions et leurs choix que les personnes de gauche, ce qui a été montré comme un facteur participant au bonheur des individus (c’est en particulier vrai lorsqu’on aborde des notions fortes comme la religion). Une personne sûre d’elle et de ses convictions a plus de chances d’être heureuse qu’une personne qui doute en permanence. » Voilà donc pour mon incapacité récurrente à faire des choix, ou bien même à arbitrer fermement entre ce qui “mal” et ce qui est “bien”, cherchant toujours à comprendre pourquoi plus qu’autre chose.
« On a trouvé que les valeurs proposées par la droite étaient plus à même de répondre au besoin des individus en “besoin de fermeture cognitive”, un besoin psychologique qui recouvre la nécessité d’être sûr de soi et de ses convictions. Les allégeances politiques ne sont donc pas le fruit d’un raisonnement pur, mais aussi une réponse à des besoins psychologiques », poursuit Simon. Les personnes de droite auraient donc davantage besoin d’être rassurées par un système de pensées et de valeurs plus rigides, du style « gentils contre méchants », « méritants contre bon à rien » ou encore « ceux qui réussissent contre ceux qui ne sont rien ». Simon Varaine continue : « Pour être plus précis, les études sur le besoin de fermeture cognitive montrent qu’il est particulièrement élevé chez les personnes de droite sur le plan culturel (favorables à l’ordre et au respect des tradition) mais pas particulièrement sur le plan économique (rapport à leur approche pro-méritocratique). »
Le « Happiness Gap » se creuserait également entre personnes de droite et de gauche en fonction du niveau des inégalités dans la société. Ainsi, plus les inégalités sociales et de richesse sont grandes au sein d’une société, plus l’écart se creuse entre les deux camps, laissant les gentils gauchistes tristes et désemparés. Il en est de même pour le niveau de menace expérimenté au sein d’une société (une explication, en partie, à la montée des idéologies de droite en cas de crise économique et financière). Et si l’on pourrait croire que les personnes de droite sont plus heureuse que les personnes de gauche simplement parce qu’elles bénéficient généralement d’un revenu plus élevé, et croient davantage au mariage et à la religion (deux notions qui participent également au niveau de bonheur), il n’en est rien. « Une autre étude a montré que toutes choses égales par ailleurs — revenu, croyances religieuses etc. — les personnes de gauche restent moins heureuses que les personnes de droite, » me confirme mon expert. « L’écart de bonheur entre personnes de droite et de gauche n’est pas dû à des facteurs sociaux (salaire, mariage, pratique religieuse, etc.) mais au bénéfice psychologique apporté par les idées méritocratiques portées par la droite. »
Adopter des convictions politiques dites “de droite”, au sein d’une société libérale individualiste inégalitaire, serait donc bon pour le moral. Des chercheurs ont également montré qu’il existe une différence tangible entre les cerveaux des personnes de droite et celles de gauche, ces dernières étant plus à même de ressentir, ou plus exactement, de vouloir ressentir, de l’empathie. Une étude réalisée en Europe et comparant les différents pays selon leur régime politique montre qu’au sein des pays social-démocrates comme la France (bénéficiant de la sécurité sociale, ayant un fort taux d’impôts, des retraites par répartition…), ce sont en réalité les personnes de droites qui sont le plus heureuses. L’étude nous dit que les pays comme la France, qui ont adopté des principes comme l’État-Providence, se sont construits sur des idéaux de gauche qui bénéficient aujourd’hui à tous, indépendamment de leurs convictions politiques.
Ces pays ont également été érigés par des individus décidés à combattre l’injustice et les inégalités… et par conséquent voués à ressentir une éternelle insatisfaction. En revanche, les personnes de droite, persuadées du bien-fondé du statu quo au sein de la société, profitent pleinement des droits ouverts par un État de gauche, « où ils peuvent avoir le sentiment que les pauvres n’ont que ce qu’ils méritent sans être eux-mêmes effrayés par la menace de la pauvreté. »
Maintenant, je sais.
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