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Pourquoi vous voyez ce que vous voyez quand vous êtes sous trip

Vous avez avalé deux buvards de LSD il y a trois heures et ils commencent à sérieusement faire effet. D’ailleurs, tout est bizarre autour de vous, et les gens ont l’air légèrement différents.

Texture Breathing from Form Constant on Vimeo.

Vous avez avalé deux buvards de LSD il y a trois heures et ils commencent à sérieusement faire effet. D’ailleurs, tout est bizarre autour de vous, et les gens ont l’air légèrement différents. Ce n’est pas la première fois que vous prenez de l’acide mais vous n’êtes pas non plus un habitué. Vous n'êtes qu'une goutte d’eau dans l’océan des psychonautes de bac à sable qui s’envoient ce genre de jus dans le cerveau de temps en temps.

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Vous êtes électrique. Votre cerveau est un supercontinent qui reste à découvrir. Votre esprit s’égare dans des équations complexes, fabrique des preuves et des contresens logiques pour justifier ses visions. Ça va durer au moins dix heures de plus. Vous plongez à travers des figures fractales et des structures alvéolaires sans fin, vous grimpez des réseaux géométriques hauts comme des montagnes. Maintenant, vous façonnez les formes du temps en filigranes et en chantournements. Vous entendez des bruits sortis de nulle part et soudain, ces déchets sonores se répandent sur vous comme une étrange pommade. Quand vous regardez vos mains, vous vous apercevez que tout ce qu’il en reste, ce sont deux petites flaques charnues sur le sol. Vous vous retournez vers la personne qui supervise votre trip, un ami, quelqu’un de confiance. Elle ressemble étrangement à un cracheur de feu essayant de tenir à distance une tribu d'elfes animatroniques croqueurs de chevilles. Les murs respirent, vous en êtes convaincu : vous êtes en plein trip.

Voilà le genre de distorsions optiques, d’hallucinations visuelles et d’altérations de la perception qui transforment ces longs voyages intérieurs colorés en de bonnes grosses doses de rire. Vous avez déjà fait un tiers du chemin, et vous n’en avez perdu aucune miette. Et encore, je ne parle pas de ce que vous avez pu sentir ou goûter au cours de cette odyssée intérieure.

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Mais il y a quelque chose de plus confus que vos visions : leur origine. Acide, DMT, psilocybine, mescaline, ayahuasca et j'en passe, ça n'a pas  tellement d'importance. Pourquoi nos yeux captent-ils certains stimuli et en ignorent-ils d’autres quand on prend des psychédéliques ? Pourquoi certains objets de la vie quotidienne paraissent-ils soudain plus fragiles que d’habitude ? Pourquoi est-on persuadé de voir des trucs (objets, gens, forces de la nature) qu’on ne verrait pas si on n’approchait pas de l’apogée du trip ?

Pour le savoir, regardez attentivement votre tête pendant le trip. Vous risquez de vous rendre compte que les raisons pour lesquelles vous oscillez sur des vagues hallucinatoires vous feront sentir au moins aussi vivant et renferment autant de secrets que les visions qu’elles provoquent. Peut-être même plus encore. Alors pourquoi ? Pourquoi voit-on ce qu'on voit quand on trippe ?

Cette énigme date du jour où l’homme a consciemment décidé d’ingérer des produits pour altérer son état de conscience, c'est à dire du début de l'histoire de l'humanité. Mais jusqu’à aujourd’hui, même les techniques les plus modernes d’imagerie cérébrale n’ont pas permis aux scientifiques, chercheurs, chimistes amateurs et autres psychonautes de trouver la réponse. Il existe de plus en plus d’études sérieuses sur le sujet, mais la question Pourquoi voit-on ce que l’on voit sous l’effet de psychédéliquesest au cœur d’un article consacré aux hallucinations visuelles géométriques (.pdf) publié en août 2000 dans le journal de la Royal Society.

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Il suffit de lire son titre (Hallucinations visuelles géométriques, symétrie euclidienne et architecture fonctionnelle du cortex strié) et la liste des co-auteurs – parmi lesquels des mathématiciens des universités de l’Utah, de Chicago et de Houston et des chercheurs du Salk Institute for Biological Studies et des Instituts américains de la santé – pour comprendre que ce que l’on voit quand on ingère des drogues psychédéliques tient autant de la géométrie de base que de la neurologie, de la psychopharmacologie et des sciences cognitives au sens large.

Bon d'accord, c'est peut-être pas « de la géométrie de base » de base. C'est du sérieux. Vous êtes calé sur la théorie de la perturbation de Rayleigh-Schrödinger et sur les analyses de stabilité non-linéaire comme la réduction de Lyapunov-Schmidt ? Parce que si vous n’êtes ni une tronche en maths ni un habitué des acides, la lecture de cette étude risque bien de vous faire croire que vous êtes défoncé.

Breathing Wall from Bill Meyers-Riggs on Vimeo.

Je ne veux pas dire par là que cette étude ne mérite pas d’être lue dans ses moindres détails, ni que je lui rende justice en la résumant comme je m’apprête à le faire. En gros, les chercheurs se sont inspirés des théories des nombres et des formes  pour recréer des form constants et émettre l’hypothèse que les « schémas de connexion » reliant la rétine au cortex visuel portaient en eux la source des hallucinations psychédéliques les plus courantes.

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Les chercheurs ont donc remarqué une étroite corrélation entre les form constants, ces formes géométriques régulièrement observées dans des états de conscience altérée, et des silhouettes d’objets vus de dessus. Leurs résultats reposent sur « l’hypothèse argumentée » de connexions latérales dans le cortex visuel, la partie du cerveau qui nous permet de reconnaître des objets, leurs formes et leurs interactions avec d’autres objets.

Ce qui a fait émerger une possibilité assez déstabilisante. Si « les mécanismes corticaux à l’origine des hallucinations géométriques » trouvent effectivement leur source dans le cortex visuel, écrivent les chercheurs, il est évident qu’ils sont fondamentalement analogues à ceux qui permettent à l'homme d’appréhender les formes et les limites des objets. Et si c’est le cas, ces gars-là viennent de trouver un nouveau territoire qui reste à explorer.

Mais je ne vous demande pas de me croire. Lisez plutôt l’article. Il défonce.

En même temps, il ne s‘agit que d’une seule étude. Et même si les gens qui disent que 2013 marque une certaine renaissance psychédélique ne sont pas complètement à côté de la plaque (Rick Doblin, le président de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies m’a récemment affirmé que la recherche sur les psychédéliques étaient « en plein boom »), ça reste très difficile – surtout aux États-Unis – d’obtenir des psychédéliques destinés à des essais cliniques. C'est pourquoi des textes comme The Visual Components of a Psychedelic Experience peuvent nous permettre de mieux comprendre pourquoi on voit ce qu’on voit quand on est sous prod.

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Ce texte complet et détaillé n’est pas écrit dans un jargon ampoulé qui aurait pu décourager pas mal de lecteurs potentiels. Publié en 2011 sur le blog Disregard Everything I say, cet article[qui doit quand même être lu avec un peu de recul, comme n’importe quelle entrée d’Erowid ou toute autre information trouvée sur des sites participatifs] dresse un inventaire des hallucinations visuelles et cognitives provoquées par la consommation des substances psychédéliques suivantes : LSD, LSA, psilocybine, DMT, ayahuasca, mescaline, Bufoténine, 5meoDMT, AMT, Harmine, Harmaline, MDA, les 2C-x (lien) et les DO-x (lien).

Bien que Disregard Everything I Saynous conseille de mépriser ses classifications, l’auteur de l’article décrit quatre niveaux d’intensité croissante (liés aux dosages) qui méritent d’être retenus, ne serait-ce que pour faire le point sur ce qu’on croit savoir de ce que l’on voit sous influence.

UNE VISION PLUS CLAIRE
Acuité visuelle accrue, reconnaissance des couleurs et des formes améliorée. C’est déjà un début, non ?

UNE LÉGÈRE DÉFORMATION
Ou « distorsion », ou « altération visuelle». Cette nouvelle phase se caractérise par l’apparition de flottements (comme dans Breathing Wall de Bill Meyers-Riggs, qui en reproduit très bien les premières manifestations) et ses quatre sous-divisions : 1. le morphing, 2. la respiration, 3. la fusion, et 4. l'écoulement. Ces flottements se manifestent à travers quatre canaux visuels différents : la vision périphérique, la vision centrale, la vision distincte et la vision globale.

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C’est dans ce deuxième niveau d’hallucinations visuelles qu’on observe des changements de couleur, une perception déformée des profondeurs, des persistances lumineuses (transparence, translucidité, opacité et lumière englobante), des répétitions de textures symétriques (ci-dessus), et les visions fracturées connues sous le nom de scenery slicing (décors tranchés).

MATHÉMATIQUES DE L’ESPRIT
Le niveau 3 correspond à celui étudié dans l’article susmentionné. Ici on touche à la géométrie visuelle ; les motifs se répètent, parfois de manière incompréhensible et peu marquante, parfois de manière très profonde, associés à des bruits, des couleurs et des déplacements imaginaires, à des motifs géométriques partiellement ou complètement définis, à des formes en trois dimensions qui dépassent la perception physique, et à ce que Disregard Everything I Say appelle « les niveaux 7A et 7B », respectivement « l'exposition à la structure neurologique dans son ensemble » et « l'exposition aux mécanismes internes de la conscience humaine ». Vous pouvez voir l'apogée approcher.

VOIR CE QUI N'EXISTE PAS
La fin. Cette dernière phase est hallucinatoire : visions, transformations et hallucinations à proprement parler, qu’on peut classer en quatre types : entités autonomes (les célèbres elfes biomécaniques de McKenna), paysages, décors, concepts, et scénarios et intrigues.

Si vous n’en avez jamais pris, pas la peine d’essayer de s’imaginer à quoi ressemblent les choses que vous verriez sous acides. Pour vous faire une idée, une véritable industrie artisanale s’est développée sur Internet. Des gens vous proposent des expériences (comme la texture respirante du début de ce post) censées reproduire les effets des psychédéliques.

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Mais en fait, vous n’avez pas besoin de ça. Rappelez-vous que vous n’en êtes qu’à trois heures et à cet instant précis, vous n’êtes sans doute pas d’accord avec ce que le neurologue et psychonaute Oliver Sacks disait dans Musicophilia : « Tout acte de perception » y écrivait-il « est en partie un acte de création, et tout acte de remémoration est en partie un acte d'imagination ».

Si les futures formes que nous révéleront les psychédéliques sont déjà dans nos têtes, il ne reste plus qu’à les laisser sortir.

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