Horrible comme être vendeur dans la grande distribution à Noël

À l’approche des fêtes, les magasins et grandes surfaces de France font probablement partie des pires endroits où passer son samedi après-midi. Même en temps normal, la plupart des gens s’y rendent pour les mêmes raisons que chez le dentiste – à savoir par pure nécessité. Mais si ces lieux sont détestés de la plupart des personnes normalement constituées, ils doivent être autrement plus nauséabonds pour ceux qui sont payés pour rester debout pendant des heures et faire face aux caprices des clients.

Avant Noël, les grandes enseignes sont nombreuses à embaucher temporairement des milliers de jeunes gens pour gérer l’afflux massif de consommateurs français. En 2015, le secteur de la grande distribution a embauché plus de 3 500 personnes juste pour les fêtes, tandis que les entrepôts du géant Amazon se sont vus peuplés d’un millier d’intérimaires en plus – tout ça pour pouvoir être en mesure d’expédier des livres de Guillaume Musso à temps. L’année précédente, une étude avait révélé que les Français pouvaient dépenser plus de cinq millions d’euros en l’espace de cinq minutes, toujours en vue de préparer les fêtes.

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On a demandé à plusieurs personnes ayant officié dans ces gigantesques lieux de consommation de nous parler de leur calvaire à l’approche de Noël – voici toute l’horreur qu’elles avaient à en dire.

MARIE, 18 ANS, VENDEUSE À LA FNAC

Je suis animatrice de rayon pour une marque d’enceintes et de casques audio, donc théoriquement, je suis censée booster les ventes de la marque. Ça a l’air assez simple dit comme ça, mais pas vraiment. Il faut vraiment avoir les bons arguments de vente, savoir gérer les autres clients qui te demandent comment on joue aux Sims, où se trouvent les radios-réveils pour enfants, etc.

Le pire dans ce boulot, c’est le bruit. De 10 heures à 19 heures, la musique tourne à plein volume dans les rayons. Les clients veulent systématiquement tester les produits, ce qui est plutôt normal en soi. Mais imagine une dizaine d’enceintes allumées simultanément, éructant des sons plus hétéroclites les uns que les autres. Parfois, il y a des clients mélomanes qui vont te passer du jazz. Et puis il y a ceux qui se connectent à une enceinte, partent un peu plus loin et lancent un PNL à fond. Là, je suis censée trouver l’enceinte qui a été allumée et l’éteindre. Et si ça arrive pendant que tu es avec un client et qu’un collègue n’est pas disponible pour gérer le problème, c’est un moment de gêne plutôt intense. C’est vraiment l’un des côtés les plus ennuyeux du job – et ça empire bien entendu au moment des fêtes.

Niveau clients, j’ai été confrontée au pire pendant une promo à – 50 % réservée aux adhérents. J’étais en train de présenter une enceinte à un client, et alors que je lui sortais un argument imparable – « C’est la dernière qui me reste en stock ! » –, une dame est sortie de nulle part pour m’arracher ladite enceinte des mains, avant de s’en aller en trottinant. Oui, en trottinant. En réalité, il me restait des enceintes en stock, ce qui m’a permis d’en donner une à mon premier client.

SANDRINE, 34 ANS, TRAVAILLE DEPUIS DIX ANS DANS UN SUPERMARCHÉ

J’ai été tour à tour caissière, surveillante de caisse, agent d’accueil et « la dame qui délivre les cartes de fidélité ». Sans surprise, le bruit est insupportable, vu qu’il y a nécessairement plus d’affluence pendant les fêtes. Il faut donc subir de nombreux chants de Noël – quand on ne doit pas carrément composer avec des défilés du Père Noël aux abords des caisses, avec un troupeau d’enfants hystériques à ses basques. Il y a aussi la lumière criarde, les appels téléphoniques incessants pour savoir si on a tel ou tel jouet, le bruit permanent des caisses enregistreuses.

Le 26 décembre est pour moi l’une des pires journées : il faut dealer avec les doublons de cadeaux – et les clients qui ne comprennent pas pourquoi on ne change pas leur article une fois qu’ils en ont déchiré tout l’emballage. On travaille aussi le dimanche pour répondre à la demande, et certains doivent parfois travailler le 25 décembre. Il est impossible pour certains de faire Noël en famille, sachant qu’on finit systématiquement tard et que tout le monde doit bosser le lendemain.

ALEXANDRA, 24 ANS, MAGASIN LOUIS VUITTON

J’ai donné un coup de main à l’équipe du stock du magasin Louis Vuitton des Champs-Élysées en période de Noël. On recevait les commandes des vendeurs en magasin et on préparait les articles : il fallait donc chercher la référence dans la bonne salle, enlever les étiquettes, vérifier l’état du produit, le nettoyer au chiffon si nécessaire, le remettre dans sa housse puis dans le sac, et apporter l’article au point de collecte. Évidemment, en cette période, presque un achat sur deux était un cadeau, ce qui impliquait de préparer une boîte, un ruban et une étiquette en plus du sac. Le côté répétitif de la tâche finit par devenir très pesant. Quand tu en es à ton énième paquet cadeau de la journée, tout finit par se brouiller.

La frénésie des fêtes achève de rendre certains clients insupportables. Je dirais que 60 % d’entre eux se montrent impolis, hautains et irrespectueux.

LAURA, 26 ANS, RETRAIT DES ACHATS À LA FNAC

Mon intitulé de poste est « logisticien », car mine de rien, on porte pas mal de cartons. Le truc le plus infernal, c’est la foule – sans hésitation. Il y a des gens partout, tout le temps. Et comme par hasard, ces gens sont super pressés. C’est très fatigant, car ça entraîne un brouhaha permanent. Après, le volume de travail est lui aussi très compliqué : finir le 24 décembre à 19 heures et reprendre le 26 à 8h30 (ça passe vite quand ta famille habite à 150 kilomètres), puis enchaîner avec un dimanche 9h-20h. Mais après tout, c’est le quotidien de beaucoup de travailleurs – et ce, durant toute l’année.

Lors des grosses journées, on faisait aussi de l’encaissement, avec toute la complexité que ça implique au moment des fêtes : les paiements en une multitude de chèques cadeaux, par exemple : imaginez un gars qui paie pour quasiment 300 euros en chèques de 10 euros, qu’il faut scanner un par un !

Le truc le plus chiant, ce sont les gens complètement paumés qui viennent retirer un paquet alors que c’est leur femme ou mari qui a effectué la commande. Ils ne sont pas au courant des produits commandés, ne savent pas à quel nom a été passée la commande, ou ne disposent pas de la carte bancaire qui a servi à l’achat. Et puis après Noël, au guichet du service après vente, j’ai découvert les joies des clients menteurs. Comme quoi un produit ne fonctionnait pas, était défectueux, alors qu’on voyait bien que le truc avait été cassé. Que du bonheur.

ANAÏS, 26 ANS, VENDEUSE CHEZ H&M

Quand j’étais vendeuse, mes tâches allaient de la vente assistée au réassort des stocks, en passant par la caisse. Je n’oublierai jamais la musique – dès mi-octobre, on se tape des chansons de type « All I Want for Christmas is you » de Mariah Carey en boucle. La frénésie des fêtes achève aussi de rendre certains clients insupportables. Je dirais que 60 % d’entre eux se montrent impolis, hautains et irrespectueux. Ceux-là ne disent pas bonjour, demandent des renseignements à la volée, jettent frénétiquement des vêtements à l’envers sur la pile de pulls que tu as pliée avec amour, soupirent dès qu’il y a trop d’attente aux cabines ou râlent si tu n’es pas assez rapide pour encaisser (ou si tu oses discuter brièvement avec le cliente précédent). Bref, ils prennent les vendeurs pour des machines.

Quand le magasin ferme à 20h le 24 décembre, il y a toujours des clients qui trouvent le moyen d’appeler à 19h55 pour te demander à quelle heure tu fermes, et s’il est possible de rester ouvert un peu plus longtemps, exceptionnellement. Le pire, c’est qu’ils sont nombreux à croire que nous n’avons rien d’autre à faire.

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