Un vétéran s’apprête à fumer un joint pour faire changer la politique du Département des Anciens Combattants des États-Unis sur la marijuana médicale.
Au printemps dernier, je me suis rendu près du Capitole des États-Unis en compagnie de six vétérans. Sous une statue d’Ulysses S. Grant, 100 membres de l’organisation Americans for Safe Access se sont réunis le temps d’une journée de lobbying – leur objectif était de faire changer la loi fédérale concernant la marijuana médicale. Mais au lieu d’attendre sagement dans les bureaux du Congrès, les vétérans avaient prévu une toute autre manière d’exprimer leur mécontentement : ils s’apprêtaient à fumer un joint devant le QG du Département des Anciens Combattants des États-Unis.
Cette petite manifestation avait vocation à rester modeste, mais riche en symbolisme. Près d’un cinquième des hommes et femmes militaires qui ont servi durant les guerres post 11-Septembre souffrent du trouble de stress post-traumatique (ou TSPT). Les vétérans que j’ai rencontrés estiment que la weed est un excellent traitement contre le TSPT – du moins, ils le jugent bien plus efficace que le mélange d’opiacés, de benzodiazépines et d’antidépresseurs préconisé par le Département des Anciens Combattants.
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Ce traitement alternatif semble faire de plus en plus d’adeptes. Sur les 23 États disposant d’un programme sur la marijuana médicale, 11 jugent que le TSPT peut faire l’objet d’un tel traitement. De nombreux vétérans ont fait part des bénéfices de la weed sur leur santé, ce qui constitue l’un des arguments préférés des mouvements pro-légalisation. Les statistiques citées par les vétérans ont aussi tendance à émouvoir. Près de 22 vétérans se suicident chaque jour, selon un rapport du Département des Anciens Combattants rédigé en 2012. De nombreux anciens soldats estiment que la marijuana aurait pu leur sauver la vie.
À notre arrivée devant le département, Ryan Begin, un ex-Marine, a allumé un joint grossièrement roulé. En 2004, lors d’une patrouille en Irak, il s’est gravement blessé le coude droit à cause d’une bombe posée aux abords d’une route. Depuis, il a perdu l’usage de son bras. À son retour chez lui, il a passé une bonne partie de ses journées à noyer ses problèmes dans l’alcool, et a fini par développer une addiction à ses médicaments. Il a été arrêté à plusieurs reprises, a essayé de donner un coup de boule au procureur qui le traînait en justice, passé 43 jours en prison et perdu la garde de sa fille. Plus tard, Begin a commencé à fumer de la weed et s’est rendu compte qu’il n’avait plus besoin de ses médicaments. « Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu », m’a-t-il confié quelques semaines plus tard, alors que je lui rendais visite chez lui, dans le Maine. « Je pense que le cannabis me permet de me sentir en sûreté, sans me mettre dans un état de folie permanent. » Il estime fumer une dizaine de joints par jour.
La position du Département des Anciens Combattants envers la weed est relativement simple à comprendre : puisque la marijuana est illégale d’un point de vue fédéral, les docteurs associés au département ne peuvent pas la prescrire ou la recommander. Les vétérans ne peuvent donc pas obtenir de marijuana médicale, même dans les États où celle-ci est légale. Comme me l’a expliqué le Dr Darren Deering, qui travaille au Département : « Nous sommes une agence fédérale. À un niveau fédéral, la marijuana n’est toujours pas considérée comme un traitement légal. »
À Washington, Begin a passé le joint aux autres vétérans, provoquant un fou rire général. Fumer de la weed près d’un établissement fédéral est toujours considéré comme un crime – même à DC, où le cannabis a été légalisé. Begin a lu une plaque sur laquelle se trouvait la devise du Département des Anciens Combattants : « Porter soin à l’homme qui a affronté le combat, et soulagement à sa veuve et à son orphelin. »
J’ai demandé à Begin s’il pensait que le Département faisait bien son boulot. « Certainement pas », a-t-il rétorqué. Les vétérans ont tranquillement terminé leur joint, et leurs éclats de rire ont fini par attirer le regard des passants. Cette action a-t-elle porté ses fruits ? Peut-être. Dans un projet de loi présenté au sénat, on pouvait lire une instruction adressé au Département des Anciens combattants : reconnaître les lois étatiques sur la marijuana médicale et autoriser leurs médecins à en prescrire aux patients.
Le 10 novembre 2015, ce projet de loi est passé au Sénat – il contenait plusieurs lignes qui auraient permis à Ryan Begin et à d’autres vétérans d’accéder à la marijuana médicale. Mais en décembre dernier, les négociations avec la Chambre des représentants ont omis cette précision.