Une exploitation minière du permafrost sibérien pourrait réveiller des virus préhistoriques

C’est un virus vieux de 30 000 ans. Baptisé Mollivirus sibericum, il a été découvert dans un échantillon de sol gelé prélevé en Sibérie et étudié par une équipe de chercheurs français qui ont fait part de leur trouvaille ce lundi soir dans un communiqué. Tous les virus géants découverts jusqu’à présent se sont révélés inoffensifs pour l’homme, mais leur présence en nombre dans la glace fait craindre la possibilité du réveil, un jour, d’un virus préhistorique dangereux pour l’espèce humaine.

« Il est possible que des virus de familles proches, ou des familles déjà découvertes, soient pathogènes, » confirme Jean-Michel Claverie, directeur du laboratoire Information génomique et structurale (IGS) qui dépend du CNRS et situé à Marseille.

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Contacté par VICE News ce mardi, le chercheur est l’un des initiateurs de l’étude. « On pensait jusqu’à présent que ces couches étaient stériles, on voit aujourd’hui que non, » dit-il. Sa trouvaille a été présentée dans les comptes rendus de l’Académie des sciences des États-Unis ce lundi.

Le Mollivirus présenté ce lundi mesure 0,6 micromètre, ce qui le rend observable  au microscope, contrairement aux virus classiques. Un virus géant fait plus de 0,2 micromètre. Le Mollivirus a été découvert dans un échantillon du permafrost sibérien prélevé à 30 mètres de profondeur. Les premiers virus géants ont été découverts sur la planète il y a un peu plus de 10 ans, et depuis l’année dernière on en trouve dans le permafrost sibérien, un sol gelé en permanence. 

Or, sous ce permafrost on peut trouver des minerais, des métaux précieux et du pétrole. Longtemps inaccessible, leur exploitation par l’homme est de plus en plus concevable sous l’effet du réchauffement climatique qui facilite l’accès aux sous-sols riches. « Le permafrost ne fond pas directement, mais le réchauffement climatique ouvre des routes maritimes vers des endroits très convoités qui contiennent du gaz, de l’or, des minerais. » poursuit Jean-Michel Claverie.

Face à la présence de virus géants dans le permafrost, le scientifique s’interroge sur le danger que pourrait représenter une exploitation des sols par l’homme. « En cas d’exploitation minière, des millions de tonnes de ces couches vont être retournées et mises à l’air libre. Tous les ingrédients seraient alors réunis pour réactiver des virus possiblement pathogènes. »

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« Il suffit d’un seul pour démarrer la multiplication »

Le premier virus géant découvert, le Mimivirus, avait d’abord été considéré à tort comme un microbe par le microbiologiste anglais Timothy Rowbotham du fait de sa taille. Sa viralité a été révélée par l’équipe de Jean-Michel Claverie en 2003, en collaboration avec l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes dirigée par Didier Raoult. Depuis, de nombreux virus de la même famille ont été identifiés.

Par la suite, deux nouvelles familles ont été découvertes par l’IGS. La famille des Pandoravirus a été mise au jour en 2013. Un des représentants de cette famille a été retrouvé dans une couche sédimentaire au large des côtes chiliennes, un autre dans la vase d’une mare de Melbourne.

En 2014, la découverte de la troisième famille de virus géants connus a été faite sur un échantillon de sol gelé de Sibérie. Baptisé Pithovirus, il fait alors craindre la possibilité d’une résurgence de virus potentiellement infectieux jusqu’à présent conservés dans la glace. C’est dans ce même échantillon que le Mollivirus a été, à son tour, découvert ce mois-ci.

Particule de Mollivirus sibericum en fin de maturation (microscopie électronique à transmission) © IGS, CNRS-AMU

Ces deux virus sortis de la glace sont inoffensifs pour l’homme et les animaux – le laboratoire de Jean-Michel Claverie n’est d’ailleurs pas équipé pour l’étude de virus infectieux. Toutefois, la présence de deux virus de familles différentes dans le même échantillon montre que la glace peut renfermer « beaucoup de sortes de virus différentes », selon le professeur.

Pour identifier la présence d’un virus, le laboratoire fait des tests sur des cultures d’amibes (des micro-organismes comme du plancton par exemple). Lorsque l’une d’entre elles meurt, c’est qu’elle a été mise en présence d’un virus, et il devient alors possible de l’isoler. Le virus est ensuite testé sur des souris et des cellules humaines pour vérifier sont caractère inoffensif.

Pour être réanimés, ces virus n’ont besoin que de deux choses : la fonte de la glace qui les emprisonne, et la rencontre avec un hôte sensible. Même si les échantillons de glace étudiés présentent une faible concentration, « Il suffit d’un seul [virus] pour démarrer la multiplication, » rappelle le professeur Claverie.

Les scientifiques de son équipe étudient désormais des échantillons de sol gelé prélevés plus profondément, et qui leur permettront de remonter jusqu’à un million d’années.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter @LucieAbrg

Microscopie électronique à balayage des particules des 4 familles de virus géants désormais connues. Les plus grandes dimensions vont approximativement de 0,6 micron (Mollivirus) à 1,5 micron (Pandoravirus). © IGS CNRS/AMU