On n’arrête pas de nous le répéter : aujourd’hui, être influenceur, c’est un vrai métier, accessible à tous et qui consiste à faire des photos de soi sur Instagram et, en gros, influencer notre mode de vie en nous poussant à acheter des bonbons minceur, commander la panoplie complète des montres Wellington ou encore ingérer de la poudre protéinée en très grande quantité pour avoir un fessier irrésistible. Rien que ça. Un vrai métier donc, qui attire cependant un nombre énorme de prétendants qui entretiennent une concurrence dure à coup d’#OOTD et de foodporn sur Instagram.
Il parait qu’il suffit d’un post qui perce pour être envoyé à Milan afin de tester les derniers rouges à lèvres d’une marque de luxe. Pour accélérer les choses, certains se laissent aller à la pire des bassesses : l’achat de followers. Un manque d’éthique vis-à-vis des partenaires et des abonnés pour certains, qui voient cette pratique comme la dérive de la blogosphère vers une vulgaire course au like.
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En Octobre 2010, Lucie Van Damme, aka Lulu Fashion Coach, crée son blog mode. Avec ses 7450 abonnés sur Instagram et ses sept années d’activité, elle fait entre temps partie des rares blogueuses qui ont continué à produire du contenu jusqu’à aujourd’hui. Un manteau en fausse fourrure à sa droite, un iPhone à sa gauche et un flat white devant elle, elle décrit les balbutiements de la blogosphère : « À l’époque on était une vingtaine en Belgique. Il y avait peut-être trois Bruxelloises dans le tas, alors qu’aujourd’hui on est des centaines. J’ai vraiment vu le truc se développer, et puis on est passé à Instagram. Ça a changé la donne. Tout le monde s’est rendu compte qu’il n’y avait pas besoin d’écrire, juste prendre une photo plus ou moins instagrammable, et ça fonctionne. Pas besoin d’une personnalité, de goût – aujourd’hui tu peux poster n’importe quoi et ça marche. »
« Les agences de presse avec qui je collaborais depuis sept ans ont arrêté de me donner des nouvelles. »
Depuis deux ans, l’arrivée de ceux qu’on appelle les « influenceurs » a totalement transformé la dynamique des blogueurs. Pour Lucie, le changement a été plutôt brutal : « Les agences de presse avec qui je collaborais depuis sept ans ont arrêté de me donner des nouvelles. Je n’étais pas dans les quotas de followers Instagram pour avoir des annonceurs, même si j’ai d’autres contenus, même si j’écris sur mon blog… Même si mon audience est 100% réelle. »
Lucie fait également la différence entre influenceurs et blogueurs, qui se rencontrent souvent mais n’agissent pas de la même manière : « Un influenceur, c’est quelqu’un qui a une influence sur les réseaux sociaux, et qui va être utilisé pour booster ceux de l’annonceur. Un blogueur a également une influence assez forte, mais très ciblée. Ce n’est pas un impact sur les followers qu’on recherche, c’est plus l’opportunité d’avoir un retour de la communauté, ce qui n’est pas possible avec les influenceurs. Les blogueurs ont souvent aussi une attitude plus pro avec les photos, l’écriture, le format… Moi, pour le marketing de niche comme l’horeca, avec des micro influenceurs ultra spécialisés, je préfère un article de blog qui décrit les saveurs et les produits plutôt qu’un post Instagram écrit par une meuf de 22 ans avec 100 000 followers légendé “miam des bonnes pâtes”. »
« Aujourd’hui, tout le monde achète des followers. »
Avoir plus de 10 000 followers est devenu la norme, voire un prérequis pour avoir une chance de décrocher un partenariat, même non-rémunéré. Pour se faciliter la tâche, beaucoup optent pour une solution, certes onéreuse, mais efficace : l’achat de followers. Un phénomène très répandu d’après Lucie, mais qui varie dans sa forme : « Aujourd’hui, tout le monde le fait. Il y en a qui ont déjà une énorme base de followers, mais pour continuer à grossir, ils en achètent. D’autres le font de manière flagrante. Quand tu vois qu’un type a genre 45 000 followers et à peine 300 likes et deux commentaires sous ses posts, c’est assez parlant. Il y en a aussi pour qui c’est discutable. »
« Je connais quelqu’un qui a 30 000 followers. Je sais que seulement la moitié sont vrais. Maintenant, elle a un chouette contenu, elle l’a juste fait pour pouvoir sortir du lot. Moi-même, parfois, je suis tentée d’en acheter. Bientôt, je sors un livre et j’aimerais pouvoir utiliser le “swipe up” dans mes stories Instagram, qui permettrait aux gens intéressés de l’acheter en un clic, mais il me faut 10 000 followers. Du coup, j’hésite. »
Vanessa Licata, une autre blogueuse lifestyle qui officie sous le pseudo « TheWildGirl », dénonce régulièrement ce qu’elle appelle les « Fake Blogs ». Il y a un an, elle a décidé de lancer une liste non-exhaustive de sites avec une audience réelle, après un ras-le-bol envers « tous ces gens qui profitent du système ». Pour elle, acheter des followers est inexcusable : « Les gens aujourd’hui n’assument pas de ne pas avoir d’éthique. J’étais tombée sur un blog français qui avait justement écrit un article à propos des faux followers. Je l’ai félicité par message, mais juste après je me rends compte en voyant ses statistiques que lui-même l’a fait. J’étais hors de moi, j’en ai parlé sur Snapchat, sur mes réseaux… » Une attitude qui lui a valu d’être blacklistée par certaines marques.
L’autre gros problème, c’est qu’il arrive que des annonceurs signent des partenariats qui ne sont même pas rentables pour eux. Lucie montre ainsi un post sponsorisé d’un influenceur sur Instagram, tout en exposant ses statistiques sur l’application SocialBlade : « Tu vois, la photo est dégueulasse, il a 1000 likes qui sont en grande partie faux et il est payé pour faire cette publication. Il ment sur son audience, parce qu’il a 40 000 abonnés, ce qui n’est vraiment pas logique vis-à-vis de la portée de ses posts, qui hormis quelques uns, avoisinent les 300 personnes. Après, si tu regardes ses chiffres, tu vois qu’il a des gros pics dans ses followers de 1000 personnes toutes les semaines. C’est impossible, étant donné que le reste du temps il ne fait qu’en perdre, et c’est typique de l’achat de faux likes. »
« Les soirées entre influenceurs, je n’y vais plus. Si c’est pour voir des gens tirer la gueule et se réunir entre clans, non merci. »
Toutes ces composantes entraînent aussi chez certaines, comme Vanessa un rejet de la blogosphère de manière générale : « Les soirées entre influenceurs, je n’y vais plus. Si c’est pour voir des gens tirer la gueule et se réunir entre clans, non merci. Sans compter qu’il y a aussi les pods qui sont apparus récemment : en gros, ce sont des groupes de gens qui s’envoient des posts et demandent aux autres de liker un maximum. Là, ce sont des vrais likes, du coup ça se retrouve plus facilement dans l’Instagram Explorer. Rentrer dans un pod, c’est super élitiste, c’est très caché, très secret. On m’a déjà proposé d’en faire partie, mais j’ai toujours refusé. »
En bref, l’atmosphère générale a l’air d’encourager la méfiance, les rumeurs et les vérifications de followers sur SocialBlade plutôt que les citytrips entre potes pour tester un mascara. Plusieurs solutions pourraient exister : un code éthique pour les influenceurs, une potentielle intervention d’Instagram, migrer vers YouTube, qui détecte plus facilement les bots, mais surtout, d’après Vanessa et Lucie, un changement d’attitude de la part des agences de presse, qui ont besoin de réapprendre comment bien faire leur travail, et à mettre plus d’effort dans la sélection des influenceurs, ou sinon ils risqueraient de tuer une partie de la blogosphère.
Quand on parle d’un potentiel destin funeste réservé aux blogs à Lucie, elle répond avec fierté qu’il reste une place pour les billets coup de gueule et les critiques persos dans le gigantesque champ de bataille des réseaux sociaux : « Les blogs auront toujours leur intérêt tant qu’il y aura des agences de presse qui leur feront confiance. T’as besoin de storytelling, d’expériences, de récit si tu veux toucher les gens, autant dans la mode que dans le food. Les gens qui achètent des likes, ils ne peuvent pas durer. À l’époque où j’ai commencé, on pouvait tricher encore plus facilement en mentant sur la fréquentation de ton site. Ceux qui le faisaient, aujourd’hui, ont disparu. Si tu commences un vrai travail sans être passionné, que tu le fais juste pour la thune… Tu ne dureras pas. C’est juste comme ça. »
Une déclaration qui peut paraître un peu naïve dans le monde cruel des #wokeuplikethis. Au final, les influenceurs ne sont pas aussi cruches qu’on pourrait le penser : chaque like qui fait battre leur coeur est le résultat d’une stratégie marketing, avec analyse de la concurrence, statistiques en temps réel et étude de marché. Mon dieu, mais qu’allons nous devenir ?
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