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Vous ne serez jamais invisibles

Des ingénieurs de l’Université du Texas ont déterminé les limites des performances des « capes d’invisibilité » électromagnétiques en termes quantitatifs. Cette technologie permet de rendre des objets indétectables par l’intermédiaire des ondes radio, des micro-ondes, du spectre de la lumière visible, et d’autres types de rayonnement électromagnétique. Le travail de l’équipe, décrit dans le dernier numéro d’Optica, confirme que même s’il est possible de masquer parfaitement un objet à partir d’ondes électromagnétiques de longueur limitée, cela a une conséquence directe : révéler l’objet sur d’autres longueurs d’onde. L’invisibilité ne peut donc jamais être complète.

La recherche sur l’invisibilité provoque une certaine agitation médiatique pour des raisons évidentes : le concept semble tout droit sorti d’une œuvre de science-fiction, qu’il s’agisse d’avions de chasse invisibles, de voleurs de diamants invisibles ou de sorciers invisibles errant dans les couloirs de Poudlard. En outre, l’idée d’invisibilité est restée purement théorique jusque dans les années 1990, période où les métamatériaux sont devenus à la mode. Tout à coup, il était possible de modifier les propriétés physiques d’un matériau à un degré sans précédent. Une étude publiée dans Science l’automne dernier décrit un matériau capable d’envelopper des objets de forme et taille diverses afin de les rendre invisibles, et qui pourrait être fabriqué en masse. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des formidables avancées qui ont été réalisées au cours des deux dernières décennies.

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Cette forme d’invisibilité repose sur un principe assez simple. Quand un rayon lumineux rencontre un obstacle, ses différentes composantes spectrales, c’est-à-dire les différentes fréquences constituant une lumière « homogène, » vont naturellement être déviées et réfléchies. Cette interférence entre la lumière visible et les objets qu’elle rencontre nous permet de nous représenter la forme, les dimensions, le volume, la couleur et la disposition des objets qui parsèment notre environnement ; elle nous permet de voir le monde, tout simplement.

Image: Andrea Alù et al

Or, la tâche de la cape d’invisibilité est de faire croire à l’observateur que les rayons lumineux n’ont pas été déformés par l’objet que l’on cherche à cacher. Naturellement, c’est plus facile à dire qu’à faire. Pour masquer un objet correctement, il faut d’abord reconstruire à la perfection les champs optiques tel qu’ils apparaitraient autour de l’objet si aucune lumière n’était diffusée.

La capacité à masquer tel ou tel objet varie donc énormément en fonction de l’objet concerné. Draper un corps humain d’une cape d’invisibilité en utilisant le spectre de la lumière visible est une tâche bien différente de celle qui consiste à cacher une petite antenne radio. Aussi, les chercheurs de l’Université du Texas ont quantifié les possibilités offertes afin de déterminer le potentiel « d’invisibilisation » de tel ou tel objet dans tel ou tel contexte.

Plus grande est la « diffusion électromagnétique d’un objet, » plus la lumière réfléchie et déviée excitera les fréquences harmoniques environnantes. On peut comparer cela à une corde de violon qui serait pincée ou frottée de plus en plus fort, provoquant à terme de fortes vibrations sur les autres cordes et au niveau du corps de l’instrument lui-même. Pour faire croire que le violon/l’objet n’existe pas, il faut prendre en compte ces « vibrations, » et pas seulement celles de la corde pincée.

Il y a donc une limite mathématique à l’« invisibilisation, » qui est fonction de la complexité du système. « Nos résultats confirment que rendre des objets macroscopiques parfaitement invisibles est impossible si l’on utilise des capes linéaires et passives de complexité arbitraire, » expliquent les ingénieurs. (Notons que ces recherches s’inscrivent dans la continuité de travaux antérieurs réalisés à l’Université du Texas, et qui ont montré que dans de nombreux cas, l’utilisation de capes d’invisibilité optiques sur des objets massifs, notamment des avions, les rendra en fait plus facilement détectables.)

Tout ceci signifie qu’il est inutile de fantasmer sur le principe de la cape d’invisibilité, puisqu’aucune technologie passive ne nous permettra de produire une invisibilité parfaite. Cela ne signifie pas que c’est impossible par définition, mais simplement que l’utilisation de technologies actives sera absolument nécessaire pour obtenir un résultat probant. On pense par exemple à une couverture électronique susceptible de d’afficher un décor correspondant à celui de l’environnement dans lequel l’objet masqué s’est évanoui (comme un caméléon). Des systèmes très simples, voire naïfs, pourraient fonctionner de manière assez convaincante : on pourrait par exemple utiliser des caméras pour filmer ce qu’il y a derrière l’objet, puis projeter ce film sur l’objet lui-même.

Évidemment, cette perspective est un peu moins spectaculaire qu’une cape d’invisibilité façon Harry Potter. D’ailleurs, même une technologie d’invisibilité active sera toujours limitée par la théorie de la relativité d’Einstein. La vitesse de la lumière est constante : or, si la lumière est forcée de faire un détour après avoir frappé l’objet caché, elle n’arrivera pas à l’observateur aussi vite que si elle avait traversé l’objet en question (c’est-à-dire, s’il n’y avait pas d’objet du tout). L’illusion possède des limites physiques.

L’invisibilité, ce n’est pas pour demain. Heureusement les micro-caméras sont là pour nous aider à espionner notre prochain correctement.