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Du plaisir de partir tout seul en vacances

solitude vacances bretagne

La perspective de partir en vacances a toujours été pour moi source d’anxiété. Sans doute car j’ai toujours abordé ce passage obligé soit avec ma famille, une bande de potes ou bien ma copine du moment, et que l’entreprise s’est immanquablement révélée être un prétexte pour m’engueuler à propos de sujets aussi réjouissants que la thune, la bouffe, les activités en plein air ou encore mon prétendu « égoïsme ». Ce qui revient, je pense, à dénaturer complètement la philosophie du plaisir et du délassement que l’on associe d’ordinaire aux doigts de pieds en éventail et aux petits plongeons dans l’eau.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres un peu moins calculées (un manque d’argent criant et la perte de mes papiers qui m’empêchaient de partir à l’étranger), j’ai décidé, un peu sur un coup de tête, de partir tout seul. J’ai choisi Belle-Île-en-Mer, parce que c’est une île, que je suis moi-même une île, et parce que ça me regarde après tout.

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Juste avant de décamper de la vie citadine, j’ai fait face à deux réactions typiques : « Je pourrais jamais faire ce que tu fais, quel courage », ainsi qu’une moue circonspecte, un mélange de pitié et de férocité dans le regard, comme si je subissais tout ce que je faisais, ou que j’étais dans le déni du désert insondable qu’est ma vie en sortant une excuse bidon de type « je suis une célibattante épanouie ».

La peur d’être seul

Le seul fait de voir ne serait-ce qu’une once d’extravagance ou d’héroïsme dans le fait de partir seul pendant une semaine dans le cul de la Bretagne montre bien que je ne traine qu’avec des gens qui ont une peur panique du vide – ou juste que j’habite à Paris. La solitude des grandes villes, ça a été prouvé et documenté maintes fois, ne réside pas tant dans la peur d’être seul que dans le fait de se sentir seul au milieu de millions de personnes. Personnellement, c’est toujours quand je suis entouré de gens que je me sens le plus isolé. Par exemple dans le métro bondé le matin, lorsque je me retrouve entouré de regards fuyants et d’enfants en surpoids, ou bien dans les lieux de socialisation comme les warehouses en deep banlieue, en particulier au moment où la lumière se rallume pour recracher cette somme d’individus uniformes qui suintent le dégoût de soi et des autres.

Qu’allais-je donc essayer de prouver en partant ainsi seul pour la première fois ? Que j’en avais dans le pantalon ? Que j’allais en sortir grandi ? Que l’expérience précèderait l’essence ? Calmons-nous, on était tout de même loin des ambitions de Thoreau parti se terrer au fond d’une cabane dans les bois pendant deux ans et qui écrivait dans Walden : « Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. »

De toute façon, en arrivant dans l’île aux plaisirs, toutes mes velléités transcendantalistes se sont trouvées balayées d’un revers de main. Ou plutôt d’un coup de vent, glacial, sur le port du Palais, où je me retrouvais planté là comme un con, après avoir voyagé en ferry pendant près de 45 minutes, m’être rendu compte que je n’aurais pas de réseau pendant une semaine, pas de wifi dans le petit studio que j’avais loué pour une somme presque modique, et que de toute façon la propriétaire était injoignable. Bref, assez pour me provoquer une petite coulée d’effroi dans le bas du dos d’entrée de jeu. Peur panique qui serait exacerbée le soir même par une terreur nocturne sans justification aucune, alors même que ma chambre donnait sur un petit port de plaisance tout ce qu’il y a de plus charmant.

Signe évident que ma petite entreprise ne consistait pas tant à me retirer du monde qu’à obéir à une certaine pulsion de mort, le seul livre que j’avais jugé bon d’emporter avec moi étant un recueil de Cioran. Rien de tel que de lire des aphorismes de type « la conscience est bien plus que l’écharde, elle est le poignard dans la chair » au bord d’une falaise avant de se jeter à l’eau. Plouf.

Extrait d’une journée virile

Ce côté antichambre de la mort n’était pas seulement prégnant à cause de mon état pré-suicidaire, mais parce que la seule population de Belle-Île à cette époque de l’année (j’ai eu la riche idée de partir « hors-saison » afin de ne croiser personne) se trouvait être composée quasi exclusivement de vieux. Vieux qui, s’ils ne me posent pas nécessairement de problème en temps normal (sauf peut-être quand ils se rangent sur le côté gauche de l’escalator ou qu’ils s’échinent de manière générale à ne pas crever) ne faisaient à ce moment-là que mettre en exergue ma propre mortalité. Ça plus le fait que je ne recherchais à ce moment-là que de la tranquillité, les bienfaits de la nature et le bruit des vagues comme seule pollution sonore accentuaient l’idée qu’en outre, je sois peut-être tout simplement devenu un prototype de chiantise. Ce qui est au moins aussi effrayant.

Bien évidemment, après une ou deux journées passées à me morfondre et à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire de moi, une certaine routine mêlée d’un confort pas si désagréable en bouche se mettait en place. Mes journées se déroulaient et se ressemblaient un peu toutes, lesquelles consistaient à pédaler sur mon vélo comme un cinglé, dénicher une plage sauvage (toutes essentiellement vides), bouquiner quelques instants le livre d’un écrivain misanthrope roumain de compétition, puis végéter sur ma serviette en attendant que la journée se termine en pensant vaguement à ma vie.

Enfin, la nuit tombée, rentrer chez moi, me balader le long du port en ayant l’air d’un creep, pour finir par m’endormir comme une masse avec la perspective de passer une nuit sans rêve. Ce qui pouvait être absolument déprimant produisit l’effet inverse sur ma santé, contrairement à tout ce qu’on dit d’ordinaire sur la solitude – à savoir que cette dernière favoriserait, au choix : des maladies cardio-vasculaires, une inflammation chronique, une dépression, puis, inévitablement, la mort.

Au lieu de ça, quelque chose d’assez inattendu se produisit. Je commençais à ne plus avoir 15 pensées qui se battent en même temps dans ma tête, je comprenais enfin ce que je lisais en n’ayant plus besoin de relire plusieurs fois la même phrase, et je me rendais même au restaurant seul, sans ressentir l’envie impérieuse de dégainer mon téléphone toutes les cinq secondes pour combler le vide de l’existence. C’est comme si on m’enlevait une par une chaque couche de mon hostilité pour me retrouver déplumé comme un oiseau qui entame sa mue.

Ce qui n’est pas si surprenant en soi. Dans son essai Solitude Volontaire, le philosophe Olivier Remaud écrit que « la solitude est aussi nécessaire à la société que le silence au langage, l’air aux poumons et la nourriture au corps ». Pour moi, ça s’est effectivement apparenté à un moment de respiration, mais plutôt la respiration d’un asthmatique qui vient de courir un sprint et qui a tout le mal du monde à reprendre son souffle. Ou celle du nageur qui sort la tête hors de l’eau après avoir fait de l’apnée trop longtemps. Et pile au moment où mes perles de stress s’achevaient de couler le long de mon flanc, où je commençais enfin à m’acclimater pour de bon à cet état semi-végétatif (appelez ça de la sagesse si vous voulez) qui n’a rien de naturel chez moi, commençait à germer une autre pensée dans un coin de ma tête, laquelle se mit à trottiner lentement mais sûrement en direction de mon état de béatitude benêt : « Ça aurait quand même été pas mal de faire tout ça avec quelqu’un ». Plouf.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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