Je suis né et j’ai grandi dans les Landes. Après le lycée, je suis parti faire mes études à Toulouse. J’étais plutôt content de quitter la campagne, le rugby et les fêtes de village. C’est la raison pour laquelle je m’en suis tenu éloigné quelques années puis, après avoir changé de métier pour devenir photographe, j’ai commencé à m’intéresser de nouveau à toutes ces traditions qui font l’identité d’un territoire.
Le tue-cochon en est une parmi les plus ancrée dans le terroir, et c’est celle vers laquelle j’ai voulu me rapprocher en premier.
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Moment important de la vie campagnarde, le rituel du tue-cochon se déroule entre les mois de décembre et février. L’événement en lui-même se déroule sur deux jours. Le premier matin, il faut tuer la bête. Avec le sang du cochon – qui n’attend pas –, on cuisine du boudin. Pour ce qui est de la viande, on la laisse reposer au moins 24 heures puis une fois que le boucher est venu découper la carcasse, on s’occupe de préparer les saucisses et de mettre les bons morceaux en salaison.
Pour quelqu’un qui n’y est pas habitué, l’abattage du cochon peut être un moment compliqué à passer. Juste avant, il y a comme de l’électricité dans l’air – les hommes et l’animal sont tendus. Ils ont beau être plusieurs, saigner un cochon de 250 kg, suspendu par la patte arrière à l’aide d’un tracteur, n’est pas évident. Un coup de sabot est vite parti. Pour le photographe aussi, c’est un moment difficile à appréhender : à 7 heures du matin, en janvier, la lumière naturelle est faible et les phares de tracteur sont puissants. C’est un moment très furtif, rapide, qu’il ne faut pas louper, tout en évitant de gêner tout le monde. Et puis il y a le cri, le genre de cri prompt à réveiller tout le voisinage. Dans ces circonstances, faire des images permet de se concentrer sur autre chose, de ne pas être un simple spectateur. Mais ce cri est vraiment hallucinant.
Ensuite, il est saigné vivant, sans être étourdi, le tout suspendu par la patte arrière. On le vide dans la cour, on l’entrepose pendant 24 heures dans une grange. Le lendemain, il est découpé dans la vieille cuisine qui sert à préparer les canards et les cochons. Évidemment, rien n’est aux normes d’un abattoir industriel. Mais lorsque la viande est destinée à la consommation personnelle, la pratique est tolérée.
Pour ceux qui sont rassemblés ce jour-là, c’est aussi le moment de prendre des nouvelles des uns et des autres, et d’échanger quelques petites blagues grivoises. Ils n’ont pas à se forcer car le tue-cochon, ils l’ont toujours fait – leurs parents et leurs grands-parents avant eux.
Élever son cochon permet d’avoir de la viande pas chère et de qualité, pour toute l’année. C’est exactement la même logique que de cultiver son potager. Pourquoi aller dépenser de l’argent pour ça, alors qu’ils peuvent le produire eux-mêmes. Ils achètent un bébé cochon en février ou en mars et lui donnent à manger pendant tout le reste de l’année pour le faire grossir. L’avantage, c’est que le cochon mange absolument de tout – c’est pratique pour réduire ses déchets, tous les restes de repas et les épluchures de légumes lui sont réservés.
La tradition du tue-cochon veut que l’on demande de l’aide à ses voisins et ses amis. En échange, il faut les nourrir, leur filer à boire. C’est un moment où la famille qui accueille doit faire preuve de générosité.
Il y aussi quelque chose d’un peu vieille-France dans le fait que les hommes et les femmes sont pratiquement tout le temps séparés : chaque tâche est effectuée par un groupe précis… et ça ne se mélange pas ! Les femmes dedans, les hommes dehors.
Aujourd’hui, cette pratique tend à disparaître. Le savoir se perd, les jeunes générations ne s’intéressent plus à ce rituel qui nécessite des compétences, du matériel, et du temps. C’est un lien important entre l’homme et sa nourriture, entre l’éleveur et sa bête, entre les hommes eux-mêmes qui est en train de disparaître.
Simon Lambert est un photographe indépendant basé à Paris. Il est membre de Kaïros et de l’agence Haytham Pictures.